Le médecin du travail ne peut pas prendre parti sur des faits qu’il ne constate pas lui-même

Le médecin du travail ne peut pas prendre parti sur des faits qu’il ne constate pas lui-même

15.06.2018

HSE

Le médecin du travail peut, dans un certificat, faire le lien entre l'état de santé d’un salarié et les conditions de vie et de travail dans l'entreprise, rappelle le Conseil d’État, à condition qu’il s’appuie sur ce qu’il a lui-même constaté. Sinon, il enfreint ses obligations déontologiques. Un employeur "lésé de manière suffisamment directe et certaine" par un tel manquement peut tout à fait se tourner vers l’ordre des médecins.

S’il décide, dans un certificat, de prendre parti sur un lien entre l’état de santé d’un salarié et ses conditions de travail dans l’entreprise, le médecin doit le faire en s’appuyant sur des constats qu’il a lui-même fait, tant sur le salarié que dans le milieu de travail. Quant à l’employeur, s’il est lésé par le certificat, il peut légitimement se tourner vers l’ordre des médecins. Ainsi le Conseil d’État tranche-t-il, le 6 juin 2018, l’affaire qui oppose depuis plusieurs années le médecin du travail Dominique Huez à l’entreprise Orys, en confirmant l’avertissement que lui a infligé la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins en septembre 2016.

7 ans de procédure

Médecin du travail d’EDF, sur le site de la centrale de Chinon, Dominique Huez avait rédigé en décembre 2011 un certificat médical en faveur d’un salarié de la société Orys, entreprise intervenant à la fois sur le site d’EDF à Chinon, et d’Areva au Tricastin. Problème : les faits relatés dans le certificat médical remontent à avril 2011, lorsque le salarié travaillait au Tricastin, un site que le médecin du travail ne connaissait pas.

Dans le cadre d’un litige devant les prud’hommes l’opposant à son employeur (la société Orys),  le salarié s��appuie sur ce certificat médical. Orys porte alors plainte contre le médecin devant les instances disciplinaires de l’ordre des médecins, estimant qu’il a méconnu ses obligations déontologiques en délivrant "un rapport tendancieux" et en s’affranchissant des "constatations médicales qu’il est en mesure de faire" pour rédiger son certificat.

En janvier 2014, la chambre disciplinaire de première instance inflige un avertissement à Dominique Huez ; il fait appel, mais est débouté par la chambre disciplinaire nationale qui confirme l’avertissement. Le médecin s’est donc pourvu en cassation, demandant au Conseil d’État de se prononcer sur deux points : la recevabilité de la plainte d’Orys contre le médecin et la sanction infligée.

 

► Lire aussi : Des médecins du travail rappelés à l'ordre

 

Employeur lésé

La possibilité pour un employeur de former une plainte auprès de l’ordre fait débat. D’un point de vue réglementaire, cette possibilité tient à un adverbe, un "notamment" inséré en 2007 dans l’article du code de la santé publique (R. 4126-1) qui énumère les personnes autorisées – "à la suite de plaintes formées notamment par…". La suppression de l’adverbe est régulièrement discutée par les parlementaires à l’occasion de projets de loi, comme par exemple en 2015 lors de l’adoption de la loi santé.

Pour les hauts magistrats, ces dispositions autorisent "toute personne, lésée de manière suffisamment directe et certaine par le manquement d’un médecin à ses obligations déontologiques" à se tourner vers l’ordre pour une action disciplinaire. En mentionnant dans son certificat "l’enchaînement délétère de pratiques maltraitantes", le médecin du travail "lésait cet employeur de de manière suffisamment directe et certaine", juge le Conseil d’État.

Travail, santé et déontologie

Un médecin du travail qui, dans un certificat pour un salarié, "[prend] parti sur un lien entre l'état de santé de ce salarié et ses conditions de vie et de travail dans l'entreprise" ne méconnaît pas ses obligations déontologiques.

Mais attention, écrivent les magistrats, "le médecin ne saurait, toutefois, établir un tel certificat qu'en considération de constats personnellement opérés par lui, tant sur la personne du salarié que sur son milieu de travail". Ils rappellent que le code du travail confère au médecin du travail le droit d'accéder librement aux lieux de travail et d'y réaliser toute visite à son initiative.

Dans le cas de Dominique Huez, les obligations déontologiques ont bien été bafouées, analyse le Conseil d’État. Il a en effet, écrivent-ils, "pris parti sur le bien-fondé d'un 'droit de retrait' exercé plus de huit mois plus tôt sur un site de la société Areva situé au Tricastin qu'il ne connaissait pas", "laissé entendre que la société Orys ne respectait pas ses obligations en terme de protection de la santé des salariés sans préciser les éléments qui le conduisaient à une telle suspicion et qu'il aurait été à même de constater". Les "pratiques maltraitantes" sont reprochées à l’entreprise "sans là encore faire état de faits qu'il aurait pu lui-même constater".

 

Service public ? Secret médical ?

♦ Seuls le ministre de la santé, le préfet et le procureur de la République peuvent traduire devant la chambre disciplinaire du conseil de l’ordre "les médecins […] chargés d'un service public", lorsqu’il s’agit "des actes de leur fonction publique".

Dominique Huez entrait-il dans ce cas ? C’est ce qu’il défendait.

Même si l’entreprise au sein de laquelle le médecin exerce ses fonctions est chargée de missions de service public, délivrer un certificat médical à l’un des salariés "ne revêt pas le caractère d’un acte de fonction publique", détaille le Conseil d’État.

► Lire aussi : Le médecin du travail estime exercer un "service public" 

♦ Par ailleurs, le fait pour l’employeur "lésé de manière suffisamment directe et certaine par un certificat ou une attestation établie par un médecin du travail" de pouvoir introduire une action disciplinaire "n’a pas pour effet d’imposer au médecin poursuivi de méconnaître le secret médical pour assurer sa défense ou de limiter son droit à se défendre", écrivent les hauts magistrats.

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Élodie Touret
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