Le Pacte de déréglementation comptable

Le Pacte de déréglementation comptable

11.09.2018

Gestion d'entreprise

Relèvement des seuils d'audit légal, titre d'expert-comptable en entreprise, extension de la confidentialité du compte de résultat, honoraires de succès pour l'expert-comptable, passerelle temporaire pour les titulaires du Cafcac... Le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) est sur le point de chambouler certaines spécificités du modèle comptable français.

Le probable relèvement des seuils d’audit légal (obligatoire) des comptes des sociétés va-t-il entraîner d'autres libéralisations comptables ? Il semble bien que ce soit le cas comme le laissait entendre notamment le rapport de Cambourg sur l’avenir de la profession des commissaires aux comptes qui répond à une politique d'Emmanuel Macron destinée à réduire les charges des entreprises même si certains sujets sont dans les cartons depuis plusieurs années et même si certains sujets, tels que le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, vont plutôt alourdir le travail des entreprises. Plusieurs amendements en ce sens viennent d’être adoptés par la commission spéciale de l’Assemblée nationale chargée d’examiner le projet de loi Pacte (projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises). Si elles deviennent définitives, les dispositions sous-jacentes vont assouplir la réglementation du commissariat aux comptes, de l’expertise comptable et de la comptabilité/audit des entreprises. D'une certaine façon, cela remet un peu plus en question le modèle comptable français... s'il existe.

Vers une confidentialité élargie du compte de résultat

Dans son principe, la hausse des seuils d’audit légal (obligatoire) des comptes — à 8 millions d’euros de chiffre d’affaires et 4 millions d'euros de total de bilan — vient d'être implicitement validée par cette commission spéciale du palais Bourbon — les seuils d'audit légal resteraient fixés par décret. Parallèlement, on vient d’apprendre que se profile un développement de la confidentialité du compte de résultat des entreprises. Un amendement — adopté donc — prévoit d'étendre le périmètre actuel. Rappelons que certaines entreprises peuvent réserver l'accès à ce document à certaines parties prenantes dès lors que ces entreprises ne dépassent pas certains seuils. L'amendement a pour ambition de relever les niveaux à 12 millions d'euros de chiffre d'affaires (contre 8 actuellement) et 6 millions d'euros de bilan (contre 4 actuellement), ce qui correspond au maximum permis par PDF iconla directive comptable de 2013 — le seuil d'effectifs resterait quant à lui fixé à 50 salariés. C'est toutefois un décret qui fixerait ces niveaux. Ces niveaux pourraient, via ce même amendement, également être utilisés pour diminuer le périmètre des entreprises tenues d'établir un rapport de gestion. Une obligation que vient pourtant déjà de réduire la toute récente loi pour un Etat au service d'une société de confiance, promulguée cet été. Les sociétés commerciales qui ne dépassent pas deux des trois seuils suivants — chiffre d'affaires de 8 million d'euros, total de bilan de 4 millions d'euros, 50 salariés — ne sont pas tenues, sauf exceptions, de produire ce document (nouvel article L 232-1 du code de commerce).

Passerelle pour les titulaires du Cafcac

Plusieurs mesures adoptées par cette même commission parlementaire visent à favoriser la cohabitation entre le commissariat aux comptes et l'expertise comptable. Tout d'abord, les titulaires du (seul) certificat d’aptitude aux fonctions de commissaire aux comptes (Cafcac) pourraient, sous conditions et pour une période limitée à 5 ans, s'inscrire au tableau de l'Ordre des experts-comptables. C'est donc une sorte d'équivalence au Dec (diplôme d'expertise comptable) qui leur serait offerte à titre temporaire pour exercer l'expertise comptable. "Le délai a été fixé à cinq ans afin d’inclure les étudiants et stagiaires engagés dans le cursus menant au Cafcac à la date d’entrée en vigueur de la loi", justifie l'amendement. C'est dans le même esprit qu'une incompatibilité devrait être levée. Il n'y aurait plus d'interdiction — absolue — à ce qu'un commissaire aux comptes fournisse, en tant qu'expert-comptable, une activité commerciale — à titre accessoire.

Assouplissements en vue pour l'expert-comptable

L'expert-comptable devrait lui aussi voir sa réglementation assouplie. Ainsi, le projet récurrent de l'expert-comptable en entreprise, c'est à dire d'un diplômé d'expertise comptable qui est salarié d'une entreprise non inscrite à l'Ordre, semble — enfin — sur le point d'aboutir. Présenté par le gouvernement, un amendement en ce sens a été adopté par la commission spéciale du Palais Bourbon. Non membres de l'Ordre, ces personnes physiques pourraient porter le titre d'expert-comptable en entreprise et obtenir des formations et des informations de l'Ordre. Une condition essentielle est prévue pour bénéficier de ce dispositif, celle d'obtenir l'accord écrit de l'employeur. Le gouvernement estime qu'il existe 20 000 diplômés d'expertise comptable qui exercent en entreprise. Autre projet récurrent, celui des honoraires de succès de l'expert-comptable. Là-aussi, ce sujet semble avancer puisqu'il a été été adopté par cette commission de l'Assemblée nationale. Certains garde-fous sont prévus afin de limiter les conflits d'intérêt. Les missions comptables comme celles participant à la détermination de l'assiette fiscale ou sociale ne pourraient donner lieu à des success fees. Enfin, les experts-comptables devraient se voir faciliter la fourniture de services de gestion de trésorerie. Aujourd'hui, ils ne peuvent pas être mandatés pour régler les dettes de leurs clients ni pour encaisser leurs règlements sauf s'il s'agit de payer leurs dettes fiscales ou sociales et dans la mesure où cette activité est accessoire. Cette impossibilité tient à la nécessité de passer par un fonds de règlement dédié qui n'a jamais été créé. Cet impératif semble être levé. Un amendement adopté par cette commission parlementaire donne le droit au professionnel de l'expertise comptable de recouvrer à l'amiable les créances de ses clients et de payer ses dettes. L'opération passerait par le compte bancaire du client et non plus par un fonds de règlement spécifique. Toutefois, les conditions de mise en oeuvre devraient être fixées par décret. C'est donc bel et bien une nouvelle vague de déréglementation de la profession comptable et de la comptabilité des entreprises qui se profile. Et ce n'est probablement pas la dernière.

Ludovic Arbelet

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