"Le plan Bompard pour Carrefour va concerner 13 000 salariés dont 5 200 ruptures de contrat"

"Le plan Bompard pour Carrefour va concerner 13 000 salariés dont 5 200 ruptures de contrat"

25.01.2018

Représentants du personnel

Pour le délégué national FO de Carrefour, la communication d'Alexandre Bompard, le PDG de l'enseigne, minimise les effets de la restructuration à venir de l'entreprise de distribution. Ce n'est pas 2 400 postes qui seraient supprimés mais sans doute au moins 5 000, tandis que 13 000 salariés seraient concernés par les conséquences de ce plan. Explications.

Nommé en juillet 2017 PDG de Carrefour en remplacement de Georges Plassat, Alexandre Bompard, un énarque qui a marié la Fnac à Darty après avoir dirigé Europe 1, vient d'annoncer des mesures en vue d'une transformation radicale du groupe de distribution qui emploie 110 000 salariés en France. Délégué national FO, Miguel Enguelz décrypte pour nous ces annonces largement reprises par la presse, notamment économique.

Le contexte des annonces

Le syndicaliste souligne que ces informations ont d'abord été délivrées par le PDG auprès des investisseurs lors d'une réunion dans la matinée du mardi 23 janvier. Ce n'est qu'ensuite que les salariés ont reçu, dans la journée, un mail leur présentant le plan du PDG ainsi qu'une courte déclaration vidéo de ce dernier.

L'information des instances et des organisations syndicales

Jusqu'à hier après-midi, où une rencontre était prévue avec la DRH, les organisations syndicales n'ont donc pas eu d'informations officielles. L'information consultation va commencer lors d'un comité de groupe demain, sachant qu'un bureau du comité européen se déroule aujourd'hui. Pour l'heure, aucun calendrier de négociation n'a été fixé. "Il va falloir d'abord que la direction nous présente le projet de façon détaillée", prévient Miguel Enguelz.

L'annonce de départs volontaires plutôt que de ruptures conventionnelles

Au micro de France Inter, hier matin, Alexandre Bompard a indiqué ne pas vouloir utiliser les nouveaux outils des ordonnances Macron, une allusion à l'accord de rupture conventionnelle collective (RCC), le PDG évoquant un plan de départs volontaires.

C'est nous qui ne voulions pas d'une RCC

"Nous avions clairement signifié à la direction que nous ne voulions pas de RCC, un nouvel outil que nous ne tenons pas à tester, alors que nous avons déjà utilisé dans l'entreprise des outils connus et bien rôdés que sont les plan de départs volontaires et les accords de méthode dans le cadre de la GPEC (gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences", commente Michel Enguelz. Précision de ce dernier : FO représente environ 46% des voix dans les hypermarchés et environ 43% au niveau du groupe, ce qui excluait donc toute possibilité pour la direction de pouvoir envisager un accord de RCC.

Le volume des départs annoncés

Alexandre Bompard a réussi à faire passer le message selon lequel les suppressions d'emplois concerneraient surtout 2 400 postes dans les fonctions de siège (Ndlr : acheteurs, administration, comptabilité, relations sociales, etc.) et cela sous la forme d'un plan de départs volontaires. Le plan envisagé comporte aussi la vente des 273 ex-magasins Dia, rachetés en 2014, la fermeture du siège corporate de Boulogne-Billancourt et la construction d'un nouveau siège dans l'Essonne permettant de centraliser plusieurs sièges, la réduction des surfaces d'hypermarchés de 100 000 m2, le passage en location gérance de certains magasins, etc. Ces mesures permettront, avec une automatisation des plateformes de préparation des commandes et une réorganisation des achats, la réalisation de 2 milliards d'économies, l'enseigne souhaitant investir massivement dans le numérique pour rattraper son retard dans la vente en ligne

Les 2 400 départs évoqués ne tiennent pas compte de l'avenir des 2 100 emplois des ex-magasins Dia

Pour le délégué national FO, la communication de l'entreprise minimise le nombre réel des suppressions d'emplois envisagés par le PDG de Carrefour. Il estime que les différentes mesures annoncées concerneront pas moins de 13 000 salariés et pourraient se traduire par 5 200 ruptures de contrats de travail. Michel Enguelz explique que les changements annoncés auront de nombreuses conséquences. Quel sera l'impact de la fermeture ou de la cession, quand elle s'avérera possible, des 273 Carrefour contact (ex-magasins Dia) ? "Ces magasins emploient 2 100 personnes et on voit mal comment certains pourraient ne pas fermer. Le chiffre de 2 400 ne tient pas compte de cet effectif", note-t-il. Par ailleurs, la volonté d'automatiser certains fonctions administratives dans les magasins pourrait entraîner la suppression de 500 à 800 postes dans les hypermarchés, souligne le délégué FO.

A cela s'ajoutent les conséquences de la fermeture de 100 000 m2 de surface commerciale (peut-être au profit d'autres boutiques et corners) dans les hyper : "Cela pourrait signifier 1 500 emplois en moins, notamment de vendeurs". Il faudrait encore tenir compte de l'automatisation programmée dans la logistique, sans oublier l'impact du passage en location gérance de certains magasins. Carrefour cherche en effet à faire basculer sous ce régime (un gérant prend en charge la gestion d'un magasin en payant une redevance à Carrefour) certains points de vente. "Les critères amenant à proposer cette location gérance nous font dire que 20 à 40 hypermarchés pourraient être concernés en plus des 5 déjà passés sous ce régime, ce qui représenterait 5 000 emplois. Si l'on y ajoute les supermarchés, avec une trentaine de magasins qui seraient concernés en 2018, cela impacte 1 200 emplois de plus", analyse le syndicaliste. Cela ne signifie pas que ces emplois seraient supprimés, mais qu'ils ne bénéficieraient plus des mêmes avantages conventionnels que les salariés Carrefour.

Vers un conflit social ?

FO, qui n'a pas participé aux actions lancées par la CGT au mois de décembre, a annoncé vouloir mobiliser les salariés le 8 février devant le siège de Carrefour. Le premier syndicat de l'enseigne estime qu'il faut instaurer un rapport de forces "pour obtenir des aménagements au plan présenté et être en mesure de négocier des mesures permettant aux salariés de s'en sortir le mieux possible, par la formation et le reclassement". L'organisation, qui fait pour l'instant cavalier seul, prend un risque mais elle estime que face à des nouveaux dirigeants "ne connaissant pas le secteur de la distribution", il faut démontrer "notre capacité à mobiliser afin que les forces sociales soient respectées", selon les mots de Michel Enguelz.

Prévues fin janvier, les NAO ont été ajournées. Le passage en CSE, qui commençait à faire l'objet de premiers contacts, n'est également plus la priorité, même si le calendrier s'imposera à terme.

Pour la CGT, il s'agit "d'un plan social déguisé"
Pour des syndicats qui critiquaient déjà, à l'instar de la CFDT, l'affaiblissement progressif ces dernières années du statut social des salariés et qui jugeaient excessive la distribution de dividendes aux actionnaires (notre article), le plan Bompard représente un choc. Dans un communiqué, la CGT dénonce "la méthode Bompard" qui consiste selon le syndicat "à informer la presse pour rassurer les actionnaires avant de tenir informés les salariés et leurs représentants syndicaux". Surtout, le syndicat, qui avait mobilisé les salariés en décembre dernier en alertant sur les risques d'un plan de suppression de 5 000 emplois, juge qu'il s'agit d'un plan social "déguisé".

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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