Le projet de loi « Collomb » sous le feu des critiques

25.05.2018

Droit public

Depuis sa présentation, le projet de loi « asile/immigration » est unanimement dénoncé par les autorités administratives indépendantes françaises et certaines organisations internationales. Tour d'horizon des critiques les plus emblématiques, alors que la CNCDH vient de rendre son avis sur le texte.

« Ce n’est pas "une crise migratoire" à laquelle la France doit faire face, mais à l’incapacité des pouvoirs publics à répondre à la réalité des enjeux de l’accueil et de l’intégration des personnes étrangères ». En introduisant son avis en ces termes, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) met en exergue l’erreur de paradigme sur lequel s’appuierait le gouvernement pour construire son projet de loi « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif », et condamne une approche morcelée, technique et à court terme (Avis CNCDH, Ass. Plén., 2 mai 2018). Une politique, qui, pour la Commission, « interdit une véritable réflexion et un débat de fond sur les réponses à apporter [...] qui prenne acte de la réalité et de la pérennité du fait migratoire comme de ses enjeux, notamment géopolitiques, dans une perspective mondiale ».
Remarque : on notera que l’avis de la CNCDH, présenté tardivement, alors même que le projet de loi était déjà adopté en première lecture par l’Assemblée, fait suite à une lettre de sa présidente présentant les grands axes de la position de la Commission (CNCDH, lettre, 27 mars 2018)
De son côté, observant (statistiques de l’Ined et l’Insee à l’appui), que « le solde migratoire de la France se révèle être sensiblement le même depuis près de 40 ans », le Défenseur des droits estime qu’il conviendrait désormais de sortir de la distinction entre « vrais demandeurs d’asile et migrants dit économique », distinction devenue inopérante et aboutissant à une « logique de suspicion tendant à faire primer des considérations répressives au détriment des droits les plus fondamentaux » (Défenseur des droits, avis n° 18-09, 15 mars 2018). Une régression des droits, qui selon la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté résulte d’une « politique de reconduite » qui n’en est « pas plus efficace pour autant » (CGLPL, lettre 26 mars 2018).
 
Et, s’ils sont plus mesurés dans la forme, le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations Unies (HCR) (HCR, Note sur le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif, 7 mars 2018) comme le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe (Lettre, 8 mars 2018), ne manquent pas de signifier également, au-delà de quelques satisfecits adressés au gouvernement pour sa politique d’intégration des réfugiés, de réelles inquiétudes.
Remarque : ne sont évoquées ici que les critiques les plus emblématiques adressées au projet de loi, dès lors qu’elles sont placées sur le terrain exclusivement juridique. Ces critiques, qui se recoupent largement, sont toutefois nombreuses et s’ajoutent à d’autres concernant la politique d’immigration du gouvernement en général (CNCDH, Alerte sur le traitement des personnes migrantes, 17 oct. 2017 : JO, 19 nov. 2017), certaines situations particulières à Calais (Défenseur des droits, déc. n° 2017-206, 21 juin 2017), les mineurs isolés (Défenseur des droits, déc. n° 17-03, 7 févr. 2017) ou la rétention administrative (Défenseur des droits, déc. n° 2018-45, 8 févr. 2018). Elles s’accompagnent enfin d’un avis exceptionnellement critique du Conseil d’État qui, s’il a en définitive entériné le projet, n’a pas manqué d’en questionner la pertinence et l’utilité (CE, Avis, n° 394206, 15 févr. 2018).
Critique du droit de l’Union et de son application en France
Si le Défenseur des droits estime que le projet de loi est, dans une large mesure, conforme à l’esprit du droit européen, la CNCDH, qui entame une critique plus large de cette logique européenne en matière d’asile et d’immigration, condamne le fait que le gouvernement s’y conforme sans nuances.
 
Ainsi, alors que le ministre de l'intérieur a largement justifié la légitimité de son projet par référence au droit de l’Union et à l’application qui en est faite par certains États membres, la CNCDH s’interroge tant sur les contraintes posées ces normes que sur la manière de les transposer dans le droit français.
 
Elle rappelle à ce titre que « la politique nationale d’asile et d’immigration comme la politique européenne ne sauraient ignorer les objectifs mondiaux énoncés dans la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 19 septembre 2016 à l’unanimité des États Membres, renforçant et améliorant les mécanismes de protection des migrants dont la mise en œuvre doit être assurée par deux nouveaux pactes internationaux en cours d’élaboration, l’un sur les migrations et l’autre sur les réfugiés, dont l’adoption est prévue en 2018 ».
Remarque : la Commission s’inquiète plus largement des propositions de la Commission européenne concernant l’élaboration par voie de règlement des normes procédurales (en remplacement de la directive « procédures ») et plus particulièrement des dispositions concernant les « concepts de pays sûr », qui englobe trois notions différentes, le pays de premier asile, le pays tiers sûr et le pays d’origine sûr. Elle demande au gouvernement de « sortir de l’opacité des positions [qu’il défend] au niveau européen ». Son sentiment est identique concernant « l’inquiétante évolution du règlement Dublin envisagée au niveau européen », la Commission proposant d’en « geler » l’application et d’y mettre un terme.
Aggravation de la situation des demandeurs d’asile et des personnes protégées
Au-delà de cette critique structurelle, la CNCDH juge dans son avis que le projet ne règle aucune des difficultés identifiées dans l’exercice du droit d’asile, voire les aggraves parfois. Ainsi, déplorant que la gestion de l’hébergement des demandeurs d’asile soit guidée par une logique de surveillance et de tri, elle estime que rien n’est prévu pour assurer le respect des délais d’enregistrement des demandes d’asile.
 
Dans le même sens, le Défenseur des droits estime que « l’ensemble des mesures envisagées s’inscrit dans une logique de pénalisation et de sanction des demandeurs d’asile, tendant ainsi à un amoindrissement particulièrement inquiétant de leurs garanties procédurales ».
 
Sont ainsi notamment dénoncés par ces autorités, comme autant de réponses « en réalité inadaptées en ce qu’elles portent atteinte à la protection des demandeurs d’asile » :
 
- le développement de la procédure accélérée et l’augmentation mécanique du nombre de celles-ci en raison de la réduction du délai d’enregistrement des demandes ;
 
- la restriction du droit au séjour des demandeurs d’asile ;
 
- le développement de la vidéo-audience ;
 
- la fixation définitive de la langue de la procédure dès le dépôt de la demande d’asile.
 
Dans un langage plus diplomatique, le HCR attire lui-même l’attention sur le fait que « conjuguées entre elles et à d’autres facteurs, certaines dispositions du projet de loi pourraient notamment conduire à une réduction des garanties à l’accès à une procédure d’asile juste et équitable », toute en recommandant, notamment, de maintenir le délai de recours à un mois devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).
Quant au Commissaire aux droits de l’homme, il souligne que « si la volonté de raccourcir la durée globale de la procédure d’asile est un objectif louable, ceci ne doit pas se faire au prix d’une atteinte à l’effectivité de cette procédure ».
Absence de recours effectifs
En effet, il s’agit d’une critique récurrente et unanime : le droit à un recours effectif est de moins en moins garanti, que ce soit dans le cadre des procédures d’asile que dans les procédures de retour.
 
A ce titre, la CNCDH relève que la réduction du délai de recours devant la CNDA, n’est qu’une mesure d’affichage. Selon la Commission, son impact sera marginal en raison du délai moyen de jugement (actuellement de sept mois).
 
Et, pour le Défenseur des droits, qui juge le nouveau recours « excessivement court », la circonstance qu’une demande d’aide juridictionnelle déposée dans ce délai soit suspensive ou que la CNDA puisse être saisie d’un recours sommaire ne rétablit l’équilibre, car « il n’en demeure pas moins que l’accomplissement de ces premières démarches suppose déjà, pour une personne maîtrisant peu la langue et les rouages de l’administration française, de pouvoir bénéficier d’un accompagnement juridique adéquat ».
 
Pour sa part, dans une recommandation qui résonne, en filigrane, comme une critique de la procédure d’ordonnances de tri, le HCR souhaite qu’il soit prévu « des mesures garantissant la possibilité pour le requérant de faire valoir tout élément de sa demande, y compris jusqu’au jour de l’audience ».
 
La suppression du caractère suspensif de plein droit du recours devant la CNDA, dans certaines circonstances, affecte aussi sérieusement le principe du droit à un recours effectif. Et la création d’une nouvelle procédure juridictionnelle adéquate, jugée contraire à une bonne administration de la justice, ne saurait y palier.
 
La CNCDH recommande enfin de revoir les conditions d’exercice du droit au recours dans le contexte de la détention, dont les contraintes qui lui sont inhérentes en rendent « en pratique l’exercice [...] impossible », et juge que le délai de recours de 48 heures en matière de décision de retour non assorti d’un délai de départ volontaire, ou le délai de 24 heures pour interjeter appel d’une ordonnance de prolongation de maintien en zone d’attente, sont insuffisant.
Remarque : un premier président de la cour d’appel de Douai a récemment jugé que la notification d’une obligation de quitter le territoire en détention violait le droit au recours effectif (CA, ord., 17 avr. 2018, n° 18/00784) ; une question prioritaire de constitutionnalité est par ailleurs en cours d’examen devant le Conseil constitutionnel (CE, 14 mars 2018, n° 416737).
Allongement de la durée de rétention, une mesure symbolique « aussi lourde qu’inutile »
S’agissant de l’allongement de la durée de la rétention (à 90 jours dans le projet de loi tel qu’amendé par l’Assemblée nationale), la Contrôleure générale des lieux de privations de liberté estime de prime abord que « la durée de la rétention en vigueur (45 jours), est déjà inutilement longue », et rappelle que, dans ce cadre, seules 3,7 % des personnes quittent le centre de rétention à l’expiration de la durée légale alors que 53 % des retenus sont remis en liberté, toutes causes confondues.
 
Et à ceux qui s’appuient sur la directive « retour » pour justifier cet allongement, la Contrôleure répond que la durée maximale prévue par le texte ne constitue pas un objectif à atteindre.
Remarque : la question de la rétention des enfants a également soulevé de vives critiques, le Défenseur des droits (Défenseur des droits, déc. n° 2018-45, 8 févr. 2018), et le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) regrettant que le gouvernement ne se soit pas saisi du projet de loi pour mettre y un terme définitif (l’examen de cette question a d’ailleurs été renvoyé à une réflexion ultérieure lors des débats à l’Assemblée), la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté continuant à l’évoquer comme une préoccupation majeure (CGLPL, Rapport pour l’année 2016, mai 2017), et le Commissaire aux droits de l’homme considérant (non sans avoir rappelé les six condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme en 2012 puis en 2016), « qu’il n’existe aucune circonstance dans laquelle la privation de liberté d’un enfant du fait de son statut de migrant, qu’il soit isolé ou accompagné de sa famille, pourrait être décidée dans son intérêt supérieur ».

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Christophe Pouly, avocat
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