Le volet construction du projet de loi "société de confiance"

05.12.2017

Immobilier

Le projet de loi pour un État au service d'une société de confiance propose d'expérimenter le rescrit juridictionnel pour sécuriser les opérations de grande ampleur.

Libérer les initiatives, alléger les contraintes, sécuriser et accompagner les administrés pour promouvoir un État "bienveillant et ouvert" : le lyrisme gouvernemental donne le "la" du projet de loi pour un État au service d’une société de confiance qui a été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 27 novembre 2017. Outre le droit à l’erreur, largement commenté, trois des quarante-huit mesures proposées intéressent directement des acteurs du monde de la construction ( Projet de loi, AN n°424, 27 nov. 2017).

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La gestion immobilière regroupe un ensemble de concepts juridiques et financiers appliqués aux immeubles (au sens juridique du terme). La gestion immobilière se rapproche de la gestion d’entreprise dans la mesure où les investissements réalisés vont générer des revenus, différents lois et règlements issus de domaines variés du droit venant s’appliquer selon les opérations envisagées.

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Vers une généralisation du "permis de faire"

Instaurer une société de confiance, c’est laisser le choix aux maîtres d’ouvrage de déterminer eux-mêmes les techniques les plus appropriées à leurs projets pour remplir leurs obligations en matière de normes de construction (art. 26). Priorité est ainsi donnée au résultat et non plus aux moyens qu’il faut mettre en œuvre pour respecter la réglementation. Les pouvoirs publics misent sur ce changement de paradigme pour favoriser la libération du marché de l’innovation dans le secteur du bâtiment.

Le gouvernement reprend, en fait, la démarche déjà entreprise sous le précédent quinquennat lors de l’instauration du « permis de faire » expérimental. Mais cette fois-ci, il veut aller plus loin et plus vite.

Créé en juillet 2016, le "permis de faire" offre à l’État, aux collectivités territoriales, à leurs groupements, aux organismes d’HLM et à certaines SEM et SPL, la possibilité de déroger aux normes de construction, à titre expérimental pendant 7 ans, pour la réalisation d’équipements publics et de logements sociaux. Ces dérogations, dont les modalités d’application ont été partiellement précisées par un décret du 10 mai 2017, sont autorisées sous réserve que soient atteints des résultats similaires aux objectifs sous-jacents aux règles auxquelles il est dérogé (L. n° 2016-925, 7 juill. 2016, art. 88, I).

Alors même que l’expérimentation n’a pas encore été lancée en pratique, le gouvernement propose d’ouvrir davantage le dispositif, et de ne plus le limiter aux seuls secteurs du logement social et des équipements publics, afin de créer rapidement un choc d’offre dans le domaine de la construction.

Cet élargissement du champ d’application du "permis de faire" devrait s’effectuer par voie d’ordonnances, en deux étapes : une autorisation à déroger puis un droit permanent à choisir les moyens de respecter ses obligations réglementaires.

Une première ordonnance, prise dans les 3 mois de la publication de la loi, devrait donc instaurer une procédure d’autorisation à déroger aux règles de construction. Elle imposera toutefois aux maîtres d’ouvrage d’apporter la preuve qu’ils parviennent, par les moyens innovants qu���ils mettront en œuvre, à des résultats équivalant à ceux prévus par les normes réglementaires. Le "permis de faire" expérimental pourrait être abrogé à l’occasion de l’adoption de ce premier texte.

Une seconde ordonnance, plus ambitieuse, qui devrait voir le jour dans les 18 mois de la loi, prendrait le relais de la précédente et créerait, quant à elle, un véritable droit, pour les maîtres d’ouvrage, de choisir les moyens pour s’acquitter de leurs obligations, soit en appliquant les normes de référence définies à l’avance par le pouvoir réglementaire (ce qui vaudrait alors présomption d’atteinte des résultats fixés par la loi), soit en démontrant, selon un mode de preuve prédéterminé, qu’ils ont réussi à atteindre des résultats équivalents en utilisant des techniques innovantes.

Dans un souci de faire évoluer et de simplifier les règles de construction, cette ordonnance autoriserait concomitamment la réécriture des normes applicables pour permettre aux maîtres d’ouvrage de connaître parfaitement les objectifs qui leur sont assignés.

Sécurisation des opérations complexes : la mise à contribution du juge administratif en amont

Parce que la confiance suppose aussi la stabilité, le projet de loi envisage de sécuriser les projets de grande ampleur en expérimentant, pour 3 ans, un mécanisme juridictionnel nouveau, appelé "demande en appréciation de régularité" (art. 31). Il s’agit de permettre au bénéficiaire ou à l’auteur d’une décision administrative non réglementaire – individuelle ou sui generis - de saisir le tribunal administratif pour qu’il en apprécie la légalité externe. Cette procédure expérimentale pourrait s’appliquer dans le ressort de quatre tribunaux administratifs.

Il reviendra à un décret de déterminer le champ d’application matériel et géographique de cette expérimentation ainsi que de préciser ses modalités de mise en oeuvre (notamment au regard du droit des tiers), mais il est d’ores et déjà indiqué que les actes susceptibles d’être concernés par ce "rescrit juridictionnel" devront remplir une double condition restrictive : être pris sur le fondement du code de l’expropriation, du code de l’urbanisme ou d’une procédure de déclaration d’insalubrité ( C. santé pub., art. L. 1331-25 et s.) et s’inscrire dans le cadre d’une opération complexe, exception faite des décisions prises par décret. Pourraient ainsi être concernées les déclarations d’utilité publique (et incidemment les arrêtés de cessibilité), les déclarations d’insalubrité irrémédiable (pour prévenir la remise en cause ultérieure de la déclaration d’utilité publique de l’acquisition de l’immeuble insalubre) ou les décisions de création de ZAC.

L’objectif est donc de permettre aux opérationnels d’aller au-devant des contentieux, en purgeant les vices de forme, de procédure ou de compétence qui pourraient entacher la légalité de leurs décisions. Le juge administratif, saisi dans les 3 mois de la publicité de l’acte, statuerait en premier et dernier ressort, dans un délai fixé par décret, court sans doute mais qui ne devrait pas être impératif. L’examen serait limité aux moyens de légalité externe invoqués par le demandeur ainsi qu’à tout motif de cet ordre que le juge estimerait devoir relever d’office, y compris s’il n’est pas d’ordre public. Une validation de l’acte fermerait la porte à toute contestation future sur les points étudiés, y compris par voie d’exception dans le cadre d’un litige contre une décision ultérieure. Naturellement, une telle procédure est à double tranchant et pourrait mettre en évidence l’illégalité de l’acte qu’il est question de sécuriser. Dans ce cas, aucune annulation ne pourrait être prononcée - puisque ce n’est pas l’objet du recours - mais l’administration pourrait retirer ou abroger l’acte dans des conditions spécifiques.

Le gouvernement compte sur ce dispositif pour accélérer les éventuels contentieux au fond sous cette réserve que la demande de rescrit aura pour effet de suspendre l’examen du recours en annulation exercé, le cas échéant, contre la décision en cause. L’objectif est louable mais la méthode (si elle est retenue) sera très certainement vecteur d’une complexité supplémentaire, c’est pourquoi le choix prudent de l’expérimentation et surtout de l’évaluation du dispositif apparaît tout à fait bienvenu.

Expérimentation de la dispense d’enquête publique pour certains projets

L’article 33 du projet de loi prévoit d’expérimenter la suppression de l’enquête publique pour certains projets ICPE ou IOTA ayant fait l’objet d’une participation du public par voie électronique (C. envir., art. L. 123-19), lorsqu'une concertation préalable a été antérieurement réalisée sous l’égide d’un garant désigné par la commission nationale du débat public (C. envir. art., L. 121-15-1 et L. 121-16-1). Il s’agirait donc de privilégier la participation du public en amont du processus décisionnel, dans le sillon d’une évolution déjà engagée par l’ordonnance n° 2016-1060 du 3 août 2016.

Cette expérimentation serait circonscrite, pour 3 ans, à quelques régions et limitée aux projets nécessaires à l’exercice d’une activité agricole, relevant soit du régime des installations classées (C. envir., art. L. 511-2) soit de la législation IOTA (C. envir., art. L. 214-3). Un décret en Conseil d’État viendrait en détailler le périmètre et les modalités.

Sophie Aubert et Bruno Pérot, Dictionnaire permanent Construction et urbanisme Bruno Pérot
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