Les apprentis verront-ils le médecin de ville au lieu du médecin du travail ?

Les apprentis verront-ils le médecin de ville au lieu du médecin du travail ?

28.06.2018

HSE

Des députés LR ont introduit par amendement dans projet de loi avenir professionnel, la possibilité de recourir à la médecine de ville au lieu des médecins du travail pour assurer la visite d’information et de prévention, lors de l’embauche de l’apprenti. Hier, des sénateurs LR ont fait supprimer la disposition en commission des affaires sociales. Reviendra-t-elle plus tard ?

Si un médecin du travail ne peut pas rapidement organiser la  visite d'information et de prévention d'un apprenti, celui-ci ira-t-il juste voir un médecin de ville ? L'idée fait en tout cas l'objet d'un bras de fer entre les parlementaires dans le cadre de l'examen du projet de loi "pour la liberté de choisir son avenir professionnel". La disposition, adoptée par l'Assemblée nationale sur un amendement des députés LR, a été supprimée hier, mercredi 27 juin 2018, en commission des affaires sociales du Sénat, sur un amendement de sénateurs eux aussi LR. 

Que voulaient les députés ? Modifier l'article L. 4624-1 du code du travail portant sur la visite d'information et de prévention, en y ajoutant :

"Pour un apprenti embauché en contrat d’apprentissage, la visite d’information et de prévention [...] peut être réalisée par un professionnel de santé de la m��decine de ville lors qu’aucun professionnel de santé [médecin du travail, collaborateur médecin, interne en médecine du travail, infirmier, ndlr] n’est disponible dans les deux mois."

Une disposition que Muriel Pénicaud "espère de court terme"

Lors des auditions préparant l'examen du texte, cette mesure avait été préconisée à la commission des affaires sociales de l'Assemblée par Alain Griset, président de l’U2P. Passé relativement inaperçu, l'amendement y a été adopté le 23 mai en quelques minutes, défendu par Gérard Cherpion (LR, Vosges), sur la base de l'argument récurrent du nombre insuffisant de médecins du travail, alors que la visite peut désormais être menée par l'infirmier en santé au travail, l'interne en médecine du travail ou le collaborateur médecin, en plus du médecin du travail, une mesure justement destinée à pallier la raréfaction des médecins. 

La député rapporteure du projet de loi, Catherine Fabre (LREM, Gironde), avait émis un avis défavorable à l'amendement – qui avait cependant été adopté –, sans s'y opposer sur le fond. "Le sujet mérite une réflexion approfondie, mais comment justifier que l’exemption ne s’applique qu’aux apprentis, alors que le manque de médecins du travail concerne potentiellement tous les salariés ?", soulignait-elle.

En séance publique, le débat a été plus long et animé. Des députés ont bien tenté de revenir sur cette mesure, sans succès. "Je pense que les parlementaires qui l’ont adoptée en commission n’en ont pas mesuré toute la portée", plaide alors Francis Vercamer (UDI, Nord), défendant la médecine du travail comme "spécialité médicale". Il pose deux questions : "qui paiera le médecin de ville", alors que les entreprises cotisent pour la médecine du travail, et comment "le médecin de ville, qui ne connaît ni la médecine du travail ni l’entreprise", assurera-t-il la traçabilité des expositions professionnelles ?

Finalement visiblement convaincue par la mesure à laquelle elle était défavorable en commission, Catherine Fabre n'a pas soutenu les amendements de suppression. Quant à la ministre du travail, Muriel Pénicaud, elle défend désormais l'idée : 

"Cette disposition pragmatique sera, je l’espère, de court terme : elle n’est pas un objectif en soi. Elle vise seulement à ce qu’un apprenti puisse voir un médecin, lequel enverra l’information au service de médecine du travail le plus proche pour que le suivi puisse être assuré dans le cadre des visites régulières de l’entreprise.

J’espère que lorsque nous nous pencherons de nouveau sur la médecine du travail, nous trouverons les moyens d’éviter de telles situations. Pour l’heure, c’est un moindre mal : du moins le jeune sera-t-il suivi et recevra-t-il une information qui sera transmise à l’entreprise et au service de la médecine du travail."

Hier, les sénateurs, qui examinaient le texte en commission des affaires sociales avant d'envoyer leur version pour les discussions en séance publique à partir du 10 juillet. Bizarrie politique : la plupart des 24 sénateurs LR signataires de l'amendement de suppression (adopté), avaient aussi signé un amendement renforçant encore la mesure, en réduisant de deux à un mois le délai au bout duquel la visite de l'apprenti peut être réalisée par un médecin de ville. Ce second amendement a finalement été retiré. 

Inquiétudes des préventeurs 

"La visite d’embauche de l’apprenti, un jeune bien souvent, a pour objectif de vérifier que son état de santé est compatible avec le poste ou le métier envisagé. Elle est l’occasion de dispenser des conseils de prévention des risques professionnels qu’il est susceptible de rencontrer", rappelle Présanse, principale association représentant les services de santé au travail interentreprises. Elle s'inquiète du précédent que cela créerait et "alert[e] sur la question de santé" que pose une telle mesure.

Dans un communiqué, l'Aipals, service interentreprises de la région de Montpellier, dénonce aussi le danger. "Envisager l’intervention des médecins généralistes, qui ne connaissent pas les environnements de travail, les procédés techniques de fabrication, l���impact de l’utilisation des produits chimiques sur le corps, les moyens de protection ou encore les implications en matière du droit qui en découlent, n’est pas concevable. [...] il est clair qu’il n’y aura plus de prévention en santé au travail et les apprentis seraient livrés à eux-mêmes !" prophétise Pierre-François Canet, président de la structure. "Quand on a mal aux dents, on va voir un dentiste [...] quand on a des soucis au travail, physiques ou psychiques, on va voir son médecin du travail". 

Même ressenti pour ce médecin du travail : 

"Les apprentis sont une population à risque et en cours de formation, plus sujets aux accidents de travail et ne connaissant pas encore les effets des risques auxquels ils sont exposés et les moyens de s’en prémunir, s'inquiète le professeur Jean-Dominique Dewitte, président de la SFMT (société française de médecine du travail). Ils justifient non seulement un suivi médical mais aussi des informations sur les risques et sur les moyens de préventions que seuls des professionnels peuvent leur apporter." Il insiste aussi sur le rôle que peut alors avoir le professionnel de santé au travail dans le choix d'orientation du jeune. C'est le moment de détecter "les antécédents médicaux qui qui pourraient interférer avec la carrière envisagée".

 

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Serpent de mer

Remplacer le médecin du travail par le médecin de ville n'est pas une idée nouvelle. En 2014, avant la dernière réforme du suivi médical, François Hollande, dans un grand élan de simplification, défendait le fait de réserver les visites avec le médecin du travail aux salariés ayant des métiers difficiles ou dangereux, et de confier au médecin traitant la charge du suivi de tous les autres. Une idée rapidement abandonnée au profit de la réforme de la médecine du travail de la loi El Khomri qui s'en est suivie.

Ira-t-elle plus loin ce coup-ci ? Des sénateurs LR la remettront-ils en séance publique ? Sera-t-elle désormais défendue par les parlementaires LREM ? 

 

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Visite d'information et de prévention

La visite d'information et de prévention (dite VIP) est issue de la réforme de 2016. Elle remplace l'ancienne visite médicale. Elle s'insère dans le suivi individuel de l'état de santé "standard", c'est-à-dire hors risque particulier. Lors de la visite, réalisée dans un délai de trois mois après l'affectation au poste (et de deux mois pour les apprentis), le professionnel de santé doit :

  • interroger le salarié sur son état de santé
  • l'informer sur les risques éventuels auxquels l'expose son poste de travail
  • le sensibiliser sur les moyens de prévention à mettre en œuvre
  • identifier si son état de santé ou les risques auxquels il est exposé nécessitent une orientation vers le médecin du travail
  • l'informer sur les modalités de suivi de son état de santé par le service et sur la possibilité dont il dispose, à tout moment, de bénéficier d'une visite à sa demande avec le médecin du travail

Il peut renvoyer le salarié vers le médecin du travail s'il estime nécessaire et a obligation de le faire dans certains cas. 

Le travailleur bénéficie d’un renouvellement de la VIP selon une périodicité fixée par le médecin du travail et qui ne peut excéder cinq ans. 

Tout travailleur âgé de moins de 18 ans bénéficie de cette visite avant de commencer son travail (article R4624-18). 

Les jeunes de moins de 18 ans affectés à des travaux interdits mais susceptibles de dérrogation font l'objet d'un suivi individuel renforcé. Ils doivent être vus chaque année soit par le médecin du travail pour les salariés, soit par le médecin chargé du suivi médical des élèves et des étudiants et/ou des stagiaires de la formation professionnelle afin que leur soit délivré un avis médical d’aptitude.

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Pauline Chambost et Élodie Touret
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