Les cancers professionnels "souffrent de carences à tous les niveaux"

Les cancers professionnels "souffrent de carences à tous les niveaux"

06.04.2018

HSE

Des poly-expositions qui ne sont pas prises en compte, un processus administratif difficile à suivre pour des patients gravement malades, un système complexe et peu adapté à la réalité des cancers dûs au travail… Une chercheuse a étudié des dossiers suivis par le Giscop 93. Elle décrit les écueils et angles morts de la reconnaissance des cancers professionnels.

Le CEET (centre d'études de l'emploi et du travail) propose un "nouveau défi en santé au travail" : réduire les "angles morts" du processus de reconnaissance des cancers professionnels. Dans une étude publiée en février 2018, Sylvie Platel, chercheuse en santé publique, spécialisée en santé au travail, montre que, de la connaissance à la reconnaissance ou à l'indemnisation, "les cancers professionnels souffrent de carences à tous les niveaux".

En France, on parle de 14 000 à 30 000 nouveaux cas chaque année, c'est-à-dire entre 4 et 8 % des 385 000 cas de cancers.

Cadre "étroit"

Les 22 tableaux de maladie professionnelle inscrivant un cancer – qui permettent à la victime de bénéficier de la présomption d'imputabilité du caractère professionnel de sa pathologie, dès lors qu'elle remplit certains critères (durée d'exposition, travail exposant à un agent cancérogène, etc.) – constituent, écrit Sylvie Platel, un cadre "étroit, excluant de nombreuses situations d'exposition à des substances avérées cancérogènes par le Circ (centre international de lutte contre le cancer)".

 

Compromis social

C'est le système même de la reconnaissance via tableaux en France qui créé ce "cadre étroit" : la prise en charge par la branche AT-MP – et donc par les employeurs – n'est pas tant le fruit de constatations médicales que d'un compromis social.

Les négociations paritaires pour la révision du tableau 57, qui concerne les troubles musculo-squelettiques, en est l'illustration.

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Giscop 93

Pour mieux comprendre, Sylvie Platel s'est focalisée sur un "parcours d'indemnisation" atypique, qui débute avec le travail du Giscop 93, groupement d'intérêt scientifique sur les cancers d'origine professionnelle, qui mène depuis 15 ans une "recherche-action" en Seine-Saint-Denis.

Elle a suivi 65 patients : 60 hommes et 5 femmes, pour la plupart atteints d'un cancer broncho-pulmonaire, après avoir été poly-exposés à des cancérogènes, dont souvent l'amiante. La chercheuse a pu avoir accès, pour ces dossiers, aux "procédures médico-administratives" de la CPAM. Ce ne sont pas tant les chiffres, qui sont intéressants dans son travail, le panel n'étant pas assez large, que la description des écueils tout au long du processus.

Poly-expositions

En chemin, nombreux sont les questionnements, raconte la chercheuse, "tant pour l'identification des toxiques, que pour leur lien avec le cancer et l'adéquation avec les possibilités offertes par le système de reconnaissance".

Première observation : "force est de constater que les expositions aux cancérogènes, qui ont été identifiées par le Giscop 93 chez les 65 patients, sont parfois très éloignées des critères des tableaux de MP". Seuls 15 dossiers ont pu s'inscrire partiellement dans un tableau ; 25 autres se sont dirigés vers la déclaration en MP hors tableau, c'est-à-dire via les CRRMP (comités régionaux de reconnaissance en maladie professionnelle).

Sylvie Platel découvre alors plusieurs écueils, à commencer par la difficulté à retenir la poly-exposition. Alors qu'elle était bien mentionnée comme "facteur aggravant dans le document médical de déclaration en MP" pour 15 dossiers, elle n'est pas prise en compte par la CPAM, qui ne retient que certaines substances. Un "effet entonnoir" qui "tient à la méthodologie des acteurs et également au contexte de la pathologie".

La maladie

Il faut bien réaliser que ces dossiers de reconnaissance, longs à mener, concernent des personnes gravement malades, très affaiblies et luttant contre leur cancer.

 

"La déperdition d'informations, observée entre l'expertise du Giscop 93 et l'enquête médico-administrative, peut ainsi parfois s'expliquer par le décès des patients, par un état de santé qui se dégrade au fil de la procédure et empêche les malades d'en suivre les obligations. D'autres patients encore, en phase de traitement, sont peu disponibles pour répondre aux demandes d'entretiens de la CPAM. Et, quand la famille prend le relais pour compenser une incapacité du patient à répondre directement, les lacunes dans la description des tâches accomplies sont grandes, empêchant la qualification des risques cancérogènes. Ces déperditions et lacunes sont répercutées à l'étape du CRRMP, qui statue sur la base des éléments fournis par la CPAM."

 

La preuve

Devant le CRRMP, la question de le preuve est un nouvel obstacle. Alors que les demandeurs ignoraient souvent, avant l'expertise du Giscop, à quels cancérogènes ils avaient été exposés – parfois plusieurs décennies avant même que leur cancer se déclare –, ils doivent apporter les preuves de ces expositions.

Le CRRMP va chercher à parvenir, en prenant aussi en compte des facteurs tels que le tabagisme, à un degré d'"évidence suffisante". "Or, déplore Sylvie Platel, l'insuffisance des données statistiques et épidémiologiques sur les cancers en lien avec le travail est avérée. […] De nombreux métiers ne disposent d'aucune information." Surtout lorsqu'il s'agit de poly-expositions.

Angles morts

Sur les 65 dossiers suivis lors de l'étude, 35 ont abouti à une reconnaissance en maladie professionnelle. C'est souvent l'exposition à l'amiante qui a permis une issue favorable, alors que, pour la plupart, l'amiante n'était pas le seul cancérog��ne expliquant le cancer professionnel. "Ce résultat masque la réalité des expositions aux autres cancérogènes professionnels supportés par les patients étudiés", commente la chercheuse.

Dans ce contexte, comment provoquer une prise de conscience de la nécessité de faire évoluer le système de reconnaissance ? Ce sont ces "angles morts" qu'il faudrait réussir à combler, pour Sylvie Platel. "L'examen des décisions de reconnaissance, regrette-elle, ne donne que peu de matière à réflexion, ni pour faire émerger de nouvelles situations d'exposition aux cancérogènes dûment reconnues, ni pour faire évoluer le système de tableaux ou outiller les politiques de prévention sur les lieux de travail."

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Élodie Touret
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