"Les colonies de vacances doivent retrouver le sens du vivre ensemble"

"Les colonies de vacances doivent retrouver le sens du vivre ensemble"

13.07.2016

Représentants du personnel

Les colonies de vacances font partir moins d'enfants (1,2 million par an contre 4 millions dans les années 60) et il s'agit plutôt d'enfants venant de milieux sociaux privilégiés. Un rapport réalisé à la demande du ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports préconise des pistes pour relancer la mixité des colos, notamment en aidant financièrement les CE à faire partir des enfants. Interview de Jean-Marie Bataille, qui a animé le groupe de chercheurs ayant réalisé ce rapport.

En 2015, le ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports lançait #GénérationCampsColo (lire notre article et voir notre vidéo). Ce dispositif consistait à passer un appel d'offres afin que les organisateurs de colonies de vacances imaginent des projets de nature à redynamiser les colos et notamment leur objectif social. Une enquête réalisée à la demande du ministère par un groupe de chercheurs (sociologues, éducateurs, etc.) montre que ce dispositif n'a pas permis de remplir les objectifs assignés sur la qualité, l'innovation et les mixités. Au delà de ce constat, le rapport préconise plusieurs pistes pour permettre une relance de colonies de vacances permettant une vraie mixité, qu'il s'agisse des âges, des sexes et des milieux sociaux : moins de technocratie dans l'approche des séjours, un plus grand nombre d'enfants par séjour pour un coût moins élevé, davantage d'activités simples à mettre en oeuvre localement plutôt que des interventions extérieures coûteuses, des structures d'habitat légères, une aide aux CE pour faire partir des enfants extérieurs à l'entreprise, etc. Interview du pédagogue Jean-Marie Bataille, également directeur de la maison d'édition Le social en fabrique, qui a animé le groupe de chercheurs (sociologue, éducateurs, géographe, etc. ) ayant réalisé ce rapport (*).

Les colos se portent mal (en moyenne, 30 000 enfants de moins par an depuis 1994) et elles auront, dites-vous, disparu dans les années 2030. A qui la faute ?

Jean-Marie Bataille : J'ai employé cette formule car je pense que la disparition des bâtiments spécifiques aux colos, qui constituent un investissement immobilier trop lourd à assumer pour des acteurs sociaux, est programmée; elle s'est d'ailleurs déjà réalisée en Italie. Depuis les années 70, les acteurs du secteur sont entrés dans une logique commerciale très forte. De grandes sociétés privées ont investi ce domaine et elles cherchent à satisfaire une classe moyenne et supérieure solvable en multipliant les séjours à l'étranger ou très spécialisés. Leur objectif consiste à être rentable : il faut assurer le bon remplissage des colos, utiliser des bâtiments ayant les normes hôtelières, proposer de multiples activités. Pour mesurer le changement, nous devons nous replacer dans les années 50-60 qui ont été l'âge d'or des colos. On l'a un peu oublié mais à cette époque, le but, c'était d'abord de faire sortir les gamins des villes ! C'est l'origine des premières colos organisées par les entreprises qui datent de 1936. Vous avez alors des services sociaux d'entreprises qui font partir les enfants.

L'enfant est-il devenu un consommateur comme un autre ?

Chez Peugeot, par exemple, c'est un cadre par ailleurs chef scout qui organise ces séjours avec une réflexion qu'on dirait aujourd'hui pédagogique. Les Houillères du Nord décident aussi d'envoyer des milliers d'enfants de mineurs en colonies de vacances. En pleine crise, c'est un moyen de redonner quelque chose aux familles, via les enfants. Et il y a déjà, avec l'émergence des cadres, cette idée qu'il faut favoriser les échanges entre les enfants de la classe ouvrière et les autres. Il me semble qu'aujourd'hui, il faut s'interroger sur ces objectifs initiaux au vu de ce que les colos sont parfois devenues. L'enfant est-il un consommateur comme un autre et les colonies de vacances un produit de consommation ? Nous pensons que le sujet des colonies de vacances relève d'un projet social collectif où la question de la mixité des âges, des milieux, des sexes, doit être posée.

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

Découvrir tous les contenus liés
Depuis la crise économique de 2008, moins de CE organisent des colos : seulement 76 CE le feraient encore, contre une centaine en 2010...

Nous avons repris ici les chiffres du ministère. Beaucoup de CE s'inscrivent dans une logique d'aide au départ individuelle et il y a des secteurs, comme les grandes sociétés de services, qui n'ont jamais organisé de colos. Par ailleurs, la désindustrialisation a joué, bien sûr. Mais des CE ont participé, d'une certaine façon, à la transformation du modèle des colos en poussant les prestataires, notamment les petits, à baisser leurs prix, ce qui les a mis en difficulté. J'ai également noté que les CE qui achetaient pour les enfants des salariés des séjours où il y avait d'autres publics n'ont pas été épargnés dans les années 90 par les violences vécues dans certains groupes car il y avait une grande tension dans la société française. Ces CE ont eu peur et ont dit stop, fini les colos, ou alors on achète toutes les places d'un même séjour. D'autres CE très importants, je pense par exemple à la CCAS (le CE de la branche des industries électriques et gazières), sont en pleine interrogation. Certains salariés permanents de ces CE se demandent s'ils n'ont pas perdu quelque chose d'essentiel dans l'esprit des colos, leur rôle social vis à vis des enfants, et ils essaient de sensibiliser à cette question les élus. Il y a comme une tentative de retrouver un contact avec les valeurs essentielles.

Quelles sont ces valeurs essentielles ?

La mixité sociale, par exemple. Mais nous sommes mal partis sur ce sujet. Personne ne souhaite spontanément prendre le risque d'envoyer ses enfants avec d'autres enfants inconnus pouvant poser problème. Il faut donc aborder cette question autrement. En faisant ce rapport, nous nous sommes rendus compte que des organismes parviennent à faire de la mixité sociale. Les Scouts, par exemple, ont déjà réussi la moitié de leur pari d'augmenter de 50 000 le nombre de jeunes inscrits, et en recrutant dans les quartiers, comme on dit. Il y a aussi des pratiques simples, tournées vers l'essentiel, dont il faudrait s'inspirer : nul besoin pour une colo de multiplier les activités, on peut commencer par partager l'élaboration du repas et de la vaisselle. Plein d'exemples nous montrent que cela marche, que cela crée du lien entre des enfants de sexe, d'âge, d'origine ou de milieux différents. Nous pensons aussi qu'il y a un potentiel car il y a des demandes non formulées. Je pense aux milieux moins favorisés, mais aussi à ces enfants malades (autistes, diabétiques, etc.) ou en sur-poids que leurs parents n'osent pas inscrire en colo, ou ceux qui n'y enverront plus leurs enfants parce qu'une fois, on les a obligés de consommer un aliment que leur culture ou leur religion interdit.

Votre rapport propose que les CE soient aidés pour faire partir d'autres enfants...

L'idée, c'est de verser une subvention publique de 20€ par enfant que le CE fait partir en colonie de vacances, y compris lorsqu'il ne s'agit pas d'un enfant du personnel. Bien sûr, il faut aux élus des CE des interlocuteurs, du monde public ou des associations, qui puissent les aider et les orienter pour que cela se traduise par des actions.

L'état général de la société nous concerne tous. Nous avons tous besoin de nous parler, d'échanger

Mais il y a une prise de conscience dans le monde de l'entreprise que l'état général de notre société nous concerne et que nous pouvons agir à notre niveau. C'est de la responsabilité sociale. Notre société est aussi porté par des bénévoles qui ont des idéaux, des valeurs, qu'il faut cultiver, utiliser. Nous sommes dans un moment de grandes tensions, que celles-ci viennent du terrorisme ou de la loi Travail. C'est une évidence que nous avons plus que jamais besoin de passer à autre chose, de nous parler, de partager, d'échanger. Les bénéfices sociaux d'une politique en faveur de la mixité et des échanges seraient immenses. 

Cette mixité que vous jugez souhaitable n'est pas seulement sociale mais elle concerne aussi les sexes...

La politique de la ville fabrique des activités pour les garçons comme si l'on considérait qu'il faut les occuper pour maîtriser leur "testostérone" (*). Plus on fait cela, plus on renforce les stéréotypes et plus on exclut les filles. Pour que les individus sortent de ce cadre, il faut leur proposer autre chose. Associez le foot à la préparation du repas ou à une autre activité de bien-être et vous verrez que l'intérêt et les échanges des enfants se déplacent...

Êtes-vous optimiste sur l'évolution des colos et de notre société ?

J'aimerais l'être car il y a des attentes et, je crois, une envie de revenir aux valeurs essentielles. Mais le ministère a curieusement réagi à notre rapport. Ils l'ont refusé en nous disant : "Mais vous n'avez pas compris, il faut sauver les colonies de vacances car c'est un marché". Pour nous, l'enjeu n'est pas là. Nous constatons qu'il y a une disparition inéluctable des bâtiments des colonies. Il faut donc réinventer d'autres formules. Les colonies de vacances ne continueront d'exister que si nous retrouvons de fortes valeurs sociales et une véritable mixité, et pour cela il faut changer beaucoup de choses.

 

(*) "Des séparations aux rencontres en camps et colos", rapport d’évaluation du dispositif #GénérationCampColo, avril 2016, rapport réalisé par Magalie Bacou, Jean-Marie Bataille, Baptiste Besse-Patin, Jean-Michel Bocquet, Éric Carton, Véronique Claude, Cyril Dheilly, Aude Kérivel, Yves Raibaud. En vente sur : www.lesocialenfabrique.fr/des-separations-aux-rencontres.html

(**) L'offre de loisirs subventionnés s'adresse en moyenne à 2 fois plus de garçons que de filles, constate le rapport.

 

Bernard Domergue
Vous aimerez aussi