Les experts-comptables face au prélèvement à la source de l’IR

Les experts-comptables face au prélèvement à la source de l’IR

03.10.2016

Gestion d'entreprise

Entre les inquiétudes des employeurs, leurs clients, et les incertitudes quant au texte final de la réforme, les experts-comptables sont sur leurs gardes, prêts à appliquer la loi, mais agacés par le manque de temps pour accompagner le changement culturel induit.

Les chefs d’entreprise semblent voir d’un mauvais œil la mise en place du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu. Un sondage réalisé au mois d’avril par Ifop pour KPMG et CGPME (1) révélait un manque d’information et une inquiétude face à l’impact de la réforme : 55 % estimaient alors que cet impact serait négatif sur les relations avec les salariés et 66 % sur l’organisation interne de l’entreprise. "Nos clients s’interrogent sur l’impact de la réforme sur leur système d’information et sur le traitement administratif des salaires", confirme Philippe Benech, associé BDO à Versailles et directeur des métiers de l’expertise sociale. Pour rappel, l’adoption de la réforme est prévue pour l’automne dans le cadre du projet de Loi de Finances pour 2017 et doit être opérationnelle au 1er janvier 2018. L’administration fiscale communiquera le taux de prélèvement de chaque salarié à l’employeur qui sera chargé de collecter l’impôt sur le salaire mensuel. Or, il semble que les employeurs soient mal à l’aise avec cette nouvelle contrainte : "Ils manifestent une volonté forte de ne pas s’immiscer dans la vie privée de leurs collaborateurs", ajoute Philippe Benech.

Anticiper et se montrer pédagogue

Techniquement, les experts-comptables ne devraient pas rencontrer de grandes difficultés. Philippe Arraou, président du CSOEC, se veut rassurant. "Le sujet n’est pas d’une complexité telle que nous ne sachions pas y répondre. Il s’agit d’un pré compte qui sera géré automatiquement par informatique. Même si le taux individualisé peut paraître compliqué, le mode opératoire ne devrait pas procurer une surcharge de travail dans les cabinets". En revanche, le président du conseil supérieur de l’OEC est préoccupé par l’impact de la réforme sur la relation avec les clients des cabinets: "L’ordre va encadrer la mise en œuvre mais les cabinets seront confrontés aux difficultés rencontrées par leurs clients. Nous redoutons notamment les questions posées par les salariés à leurs employeurs, sachant que ces derniers se tourneront vers nous avant d’y répondre. Un temps d’accompagnement est à prévoir". Lorsqu’ils réalisent les bulletins de salaires pour leurs clients, les experts-comptables sont en première ligne. "Nous jouons un rôle préventif dans cette phase d’anticipation, nous devons réassurer nos clients de notre présence à leurs côtés", témoigne Philippe Benech. Tout l’art pour les cabinets étant de devoir "faire face aux réticences devant un changement culturel, et expliquer la démarche et la mise en œuvre", ajoute Franck Danet, directeur général délégué de Soficom Baker Tilly  (170 collaborateurs).

Gérer et sécuriser des données sensibles

En théorie, le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu sera prélevé à partir du 1er janvier 2018 par les employeurs via la DSN. Mais en pratique s’inquiète Thierry Muller, associé EY, "il est possible que la mise en route de la DSN soit compliquée pour les petites entreprises". En outre, "les cabinets vont devoir accompagner un grand nombre d’entreprises, les TPE, puisque les plus démunies ne vont entrer en DSN qu’au 1er juillet 2017 et toutes les entreprises concernées par le prélèvement à la source dès 2018, le tout dans des délais très courts", regrette Elodie Tabel-Diffaza, responsable gestion sociale In Extenso. En résumé, "l’employeur se voit placer dans un rôle de collecteur de l’impôt qui sera en pratique difficile à tenir pour lui à si brève échéance", martèle-t-elle. Le projet fait grincer les dents. "Cette nouvelle réforme nous obligera à collecter davantage de données et à vérifier qu’elles soient correctes, voire à calculer les taux à prélever dans certains cas. Or, nous risquons de devoir faire face à des anomalies puisque nous recevrons les taux par l’administration fiscale, que les salariés pourront par la suite demander à corriger", s’inquiète encore Elodie Tabel-Diffaza. La question de la responsabilité se pose. "L’entreprise collectrice a des responsabilités nouvelles et de fait, nous aussi. D’ailleurs la masse financière à brasser étant de plus en plus importante, notre responsabilité augmente en proportion", note Charles-René Tandé, président de l’Ifec (contacté, ECF n’a pas répondu à notre sollicitation). Ainsi, les cabinets d’expertise comptable devront veiller à sécuriser ces données sensibles. "Les taux de prélèvement à la source sont des informations confidentielles, hébergées sur nos serveurs ou chez nos prestataires. Nous devons donc être vigilants sur le niveau de sécurité mis en place, rappeler les bonnes pratiques à nos équipes et montrer à nos clients quels moyens et quelles méthodes sont mises en œuvre pour garantir un strict respect du secret professionnel auquel nous sommes tenus", ajoute Philippe Benech.

Proposer de nouvelles missions 

La réforme de la collecte de l’IR ne représente pas à proprement parler une nouvelle mission pour les experts-comptables pour lesquels cette tâche s’intègre dans la mission sociale. Se pose néanmoins, comme pour la mise en œuvre de la DSN, la question de la facturation supplémentaire ou de la révision des tarifs. "Or, objecte Janin Audas, expert-comptable et commissaire aux comptes, président de 01 Audit Assistance, les TPE ont des capacités de financement des honoraires limitées".

En revanche, "le dispositif permettrait de s’inscrire dans un développement intéressant de nos missions. Le contexte de l’exercice de notre profession évoluant, nous pourrions notamment étoffer les offres en matière fiscale à l'égard des particuliers. Néanmoins, les modalités de mise en œuvre n'étant toujours pas précisées à l'heure actuelle, nous manifestons une certaine inquiétude sur l'effet final de nos missions", suggère Marc Luccioni, expert-comptable, CAC associé du groupe Avvens Crowe Horwath France — cet article a été réalisé avant que le projet définitif du prélèvement à la source de l'IR, qui est inclus dans le projet de loi de finances pour 2017, ne soit connu. "Je suis convaincu que les cabinets d’expertise comptable ont un rôle à jouer dans la gestion fiscale du patrimoine du dirigeant d’entreprise qui mérite une mission à part entière", déclare de son côté Philippe Arraou. A méditer…

(1) Baromètre sur le financement et l’accès au crédit des PME, avril 2016

Véronique Méot

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