"Les industriels vivent le risque électrostatique comme un accident"

"Les industriels vivent le risque électrostatique comme un accident"

09.11.2017

HSE

Pour beaucoup d'industriels ayant des zones Atex, le risque d'une décharge électrostatique, reste un phénomène "mystérieux" rapporte Mohamed Boudalaa, ingénieur à l'Ineris. Et ce même quand l'accident, souvent grave, survient. Pourtant, les moyens de prévention existent et l'évaluation des risques est obligatoire.

"Quand je serre la main de mon chef, le matin dans son bureau, je me prends souvent une décharge électrique, lui ne sent rien, mais moi, vraiment, une grosse décharge", a un jour raconté un employé d'une usine à Mohamed Boudalaa, spécialiste à l'Ineris (institut national de l'environnement industriel et des risques) des risques d'incendie et d'explosion dus à l'électricité statique. "Je lui ai demandé de me décrire le bureau de son chef. Moquette, fauteuil en skaï… la totale pour créer une différence de potentiel entre son chef et lui", raconte Mohamed Boudalaa à l'occasion d'une conférence au salon Préventica de Strasbourg, le 8 novembre 2017. Une différence de potentiel qui n'est pas due à la position hiérarchique des deux hommes, précise bien l'ingénieur en plaisantant, mais à leur charge d'électricité statique.

"Ce n'est pas quelque chose de mystérieux"

Quand deux éléments (notre chef et son salarié) se rencontrent alors qu'ils ont une charge d'électricité statique différente (n'oublions pas la moquette, le fauteuil en skaï et ajoutons peut-être la veste et la cravate en nylon), cela provoque une décharge (du chef vers son salarié). Tant que cela se passe dans le bureau, ce n'est pas un problème. Il ne faudrait en revanche pas que le chef ait envie d'aller faire un tour près, par exemple, de bacs de solvants ou de poudres, entreposés dans des big bags, dans une zone Atex (atmosphère explosive). "Les industriels ont du mal avec ce phénomène, regrette Mohamed Boudalaa. Ils vivent le risque électrostatique comme un accident." Depuis plusieurs années, cet ingénieur se bat "pour expliquer que ce n'est pas quelque chose de mystérieux ou surnaturel, qui arrive de temps en temps, mais que l'on peut tout à fait le prévenir".

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Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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L'évaluation des risques

Loin de considérer l'électricité statique comme un phénomène parasite que l'on ne pourrait pas prévenir correctement, le code du travail prévoit, dans la partie réglementaire de prévention des explosions, que "le chef d'établissement procède à l'évaluation des risques spécifiques créés ou susceptibles d'être créés par des atmosphères explosives en tenant compte au moins […] de la probabilité que des sources d'inflammation, y compris des décharges électrostatiques, puissent se présenter et devenir actives et effectives" (article R232-12-26). Une évaluation complexe mais essentielle, car ce ne sont malheureusement pas les exemples d'accidents graves voire mortels qui manquent, causés par une décharge électrostatique.

L'étincelle

Mohamed Boudalaa raconte celui de cet opérateur qui, dans une usine de produits chimiques, faisait chaque jour la pesée de solvants depuis 20 ans, connaissant parfaitement les gestes. Ce jour-là, lorsqu'il prend son service, il voit une étincelle près de la cuve, mais, pour diverses raisons, il ne fait pas remonter cet avertissement et n'y pense même plus lorsque, plus tard, il vient accomplir sa tâche. Il y a une explosion, il est brûlé, gravement blessé. Et lorsque l'entreprise fait l'analyse de l'accident, cela lui retombe dessus : c'est l'erreur humaine. "Alors que le problème était organisationnel", déplore Mohamed Boudalaa.

Chaussures et vêtements "correctement testés"

Le premier moyen de prévention – après la conception soigneuse de l'installation, en s'assurant notamment de la pérennité des liaisons équipotentielles et des mises à la terre – est pourtant simple à mettre en œuvre : "de bonnes chaussures et de bons vêtements, correctement testés", indique l'ingénieur de l'Ineris. "Correctement testés", pour des vêtements antistatiques, c'est là que tout se complique, et qu'il ne faut pas se faire avoir par les promesses de certains fabricants. Les tenues de travail ne sont pas soumises à la directive européenne qui impose aux fabricants de certifier les appareils électriques, une conformité aux exigences qui assure qu'ils n'entraîneront pas un risque électrostatique.

"Supercherie"

Pourtant, fait remarquer une participante à la conférence, elle a bien acheté des tenues marquées "Atex Ex"… "Impossible, c'est une supercherie, avertit Mohamed Boudalaa. C'est à vous de vérifier les équipements non électriques avant de les utiliser en zone Atex." C'est-à-dire qu'il faut passer au crible les tuyaux, flexibles et gaines, big bags ou conteneurs de type GRV, tissus enduits, manches filtrantes, ou encore chaussures, blousons, gants, masques, protections auditives, etc. Depuis 5 ans, l'Ineris propose une certification volontaire, "Electrostatic Ineris", qui vise à répondre au fait que, pour tous ces équipements, les normes sont absentes et inadaptées. Le certificat est délivré si le niveau de sécurité de l'équipement est suffisant et approprié aux zones à risque où il sera utilisé. Et là, un logo "Ex" pourra correctement être apposé.

Élodie Touret
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