Les juristes d'entreprise déconnectent-ils pendant les vacances ?

Les juristes d'entreprise déconnectent-ils pendant les vacances ?

27.07.2018

Gestion d'entreprise

62 % des Français continuent de «répondre à leurs appels ou à leurs e-mails professionnels pendant leur période de congés», selon une récente étude* menée par l’agence d’intérim Qapa et relayée par Le Figaro. Qu’en est-il des juristes d’entreprise ? Les cadres dirigeants restent connectés pour gérer les urgences de l’été. Mais ils sont attentifs à la déconnexion de leurs équipes.

« Cela fait longtemps que je n’ai pas pris de vacances. Cela remonte à Noël où je me suis accordée quelques jours ». A vingt-quatre heures de l’enclenchement de son message d’absence pour 2 semaines de « off », Béatrice Bihr, secrétaire général et directeur juridique exécutif de Teva Pharmaceuticals, avoue ne pas pouvoir s’extraire entièrement de ses fonctions pendant l’été : « mes responsabilités m’empêchent de déconnecter totalement ». La quadra fera donc un tour quotidien sur son Iphone professionnel pour regarder ses e-mails mais n’ouvrira « que ceux qui [lui] paraissent importants ». Elle a d’ailleurs choisi de scinder ses congés. Elle reviendra une semaine au bureau avant de repartir pour une dernière période de repos hebdomadaire, une manière « de ne pas s’absenter trop longtemps ».

Même chose pour Édouard de Kervenoaël, le directeur juridique d’IKEA France. Il consulte ses courriels tous les jours en fin de journée. Surtout pour vérifier que l’un d’entre-eux ne contient pas le mot « urgent » en objet. Car il fait partie de la cellule de crise nationale du groupe scandinave et doit rester joignable. En cas de problème sur un magasin, visant la sécurité d’un salarié et/ou d'un client, par exemple, son rôle sera de coordonner une éventuelle mise en contact avec « des hommes de loi », comme un avocat ou un huissier, etc.

« Interrompre » parfois ses congés

Son numéro de téléphone personnel « tous [ses] N-1 l’ont », précise Pascale Neyret, directeur juridique groupe et secrétaire du conseil d’administration de Nexity depuis mi-octobre. « Lorsque l'on est manager, on se doit de répondre aux dirigeants ou à ses équipes en cas de problème ». Durant sa carrière, elle a plusieurs fois interrompu ses congés pour rentrer travailler afin de gérer une opération concurrentielle ou un nouveau deal qui se présentait. Béatrice Bihr préfère, elle, gérer à distance. Il lui est arrivé de travailler sur son lieu de vacances. Aux États-Unis, alors qu’elle était en voyage sur la côte est avec son mari, elle a « renoncé à une excursion », et s’est consacrée quelques heures à son travail pour mieux redémarrer ses congés ensuite.

Une question d’organisation. « Si la gestion du travail, par la rotation des équipes, a été organisée et que les collaborateurs sont autonomes », Pascale Neyret s’octroie tout de même du repos. Tout en « suivant sa boîte mails » pour rester informée de l’activité de son département qui compte 130 personnes. Elle suit aussi le flot des échanges « pour une meilleure gestion personnelle des mails, pouvoir réagir en cas de nécessité et éviter de se retrouver avec des milliers de courriels à gérer à la rentrée ». Pascale Neyret est également une adepte du travail dans le train. Au départ, comme à l’arrivée, elle « l’utilise beaucoup : 3 heures de lecture tranquille dans le  train, sans dérangement, équivalent à un temps précieux de concentration que nous avons du mal à dégager durant la semaine ».

« Consulter moins son portable, regarder moins sa montre »

Déconnecter c’est surtout changer de rythme pour ces cadres dirigeants. « Faire une grasse matinée », plaisante Pascale Neyret. « S’accorder une sieste », complète Béatrice Bihr. « Consulter moins son portable, regarder moins sa montre », commente Édouard de Kervenoaël. « Car le reste de l’année, c’est la course ». Il s’accorde du temps pour « profiter de [ses proches], dévorer les grands classiques de la littérature, ou faire du running et du tennis (…) ». Bref « Il recharge les batteries ! ».

Et qu’attendent-ils de leurs collaborateurs ? « Cela dépend de leur séniorité. Les juniors et les assistantes n’ont pas à être joignables, contrairement à mes bras droits », sur lesquels compte la secrétaire général de Teva Pharmaceuticals, mais uniquement « en cas d’urgence ». Son équipe, d’une quinzaine de personnes, comme le reste des salariés de l’entreprise, bénéficie d’une Charte sur la déconnexion mise en place avant la loi Travail du 8 août 2016. Pendant les congés, les week-ends, avant 8h00 du matin et après 20h00, l’envoie d’e-mails est dès lors prohibé. Sauf imprévu. Même chose chez IKEA. L’accord signé avec les organisations syndicales date, lui, de novembre 2017. Et Édouard de Kervenoaël a briefé ses équipes. Les RH ont aussi relayé l’info. Chez le géant du meuble en kit on affiche le respect de l’équilibre vie professionnelle/vie privée en incitant les salariés « à ne pas répondre aux courriels en dehors du temps de travail ».

« C’est important pour moi de couper »

Les jeunes recrues déconnectent. Même sans charte signée chez Intercloud, Hanae Desbordes, en CDI depuis un peu plus d’un an, ne consulte pas ses mails en vacances. « C’est important pour moi de couper. Je reviens pleine de ressources et stimulée pour la suite ». La semaine dernière, alors qu’elle était « dans [sa] région, le Morbihan », elle a été consultée une fois sur WhatsApp sur une question rapide concernant l’un de ses dossiers. Mais « c’est extrêmement rare ». En retour, elle évite également de « déranger les autres ». L’été dernier, alors que la jeune femme de 27 ans venait d’être embauchée et qu’elle gérait « seule la boutique », elle a été contrainte « de solliciter une fois par semaine son manager en vacances à l’autre bout du monde ». Car « sur certains sujets spécifiques », le directeur général ne pouvait pas l’aider : elle n’avait « pas le choix ».

« J’ai la chance d’avoir des managers qui nous poussent à déconnecter », estime Antoine Villeronce, legal counsel spécialisé en contrats chez Airbus depuis 2 ans. Au mois d’août, le trentenaire partira 2 semaines en Afrique du Sud. Et il prendra son téléphone portable professionnel dans ses valises, mais pense déjà « l’oublier ». Ce qui « n’est pas plus mal ». L’été, il ne se passe « pas grand-chose », contrairement au reste de l’année. En avril, Antoine Villeronce est parti plusieurs semaines au Vietnam et au Cambodge. Il avait alors emmené son ordinateur portable « au cas où » et pour « ne pas laisser seule » sa coéquipière en France. Mais il « ne veut pas prendre de mauvaises habitudes ». Le jeune homme qui avait « tendance à vouloir toujours en faire plus » en sortant de la faculté, veut désormais conserver du temps pour sa vie privée. « J’ai eu ce comportement, mais j’ai vite appris ».

Préparez la rentrée

La veille de la rentrée, Antoine Villeronce consulte ses e-mails, « pour atténuer la violence du retour. Se préparer mentalement et éviter de perdre tout le bénéfice des vacances en un seul jour », avec une pile de mails qui l’attend dès le lundi. Consciencieuse, Hanae Desbordes l’est aussi. Le voyage vers Paris est parfois l’occasion de se brancher à son application « Pocket », dans laquelle elle collecte des liens vers des articles de presse couvrant son domaine d’activité. Et en ce moment, c’est le Cloud Act qui occupe ses lectures.

* Étude menée auprès de 135 000 professionnels courant juin.

Sophie Bridier

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