Les prestations de vacances servies par le CE : un cadre réglementaire insatisfaisant mais qui pourrait être bientôt modifié

Les prestations de vacances servies par le CE : un cadre réglementaire insatisfaisant mais qui pourrait être bientôt modifié

03.11.2016

Représentants du personnel

Nous vous proposons régulièrement des chroniques rédigées par des membres du comité des CE auprès du Conseil supérieur de l'Ordre des experts comptables. Aujourd'hui, l'expert-comptable Vincent Beyron revient sur le régime social appliqué aux prestations de vacances servies par le comité d'entreprise et s'interroge sur sa possible réforme.

Les prestations favorisant le départ en vacances ne sont pas, en principe, assujetties aux cotisations sociales. Leur champ dépasse celui des seuls chèques ANCV (agence nationale des chèques vacances), et s’applique à toutes les colonies, voyages, locations immobilières, etc...

Il convient dans un premier temps de rappeler la position de l’Urssaf, avant de montrer combien ce cadre reste insatisfaisant.

1 – L’Urssaf : quasi seule source actuelle de droit

Rappelons que, au sens de l’article L242-1 alinéa 1 du code de la Sécurité sociale, toute prestation distribuée par le CE est assimilable, par l’administration, à un supplément de salaire. Elle est donc assujettie aux cotisations sociales, sauf si son exonération est expressément prévue ; ce qui n’est actuellement le cas que pour les services à la personne à domicile (aides ménagères, CESU, etc...).

L’Urssaf a défini un certain nombre de tolérances, qui sont très favorables aux comités, en comparaison du silence de la loi, avec notamment une exonération totale des prestations entourant le départ en vacances.

Attention, et c’est là où le bât blesse, ces tolérances n’ont pas la portée d’un texte législatif, et ne peuvent être invoquées qu’envers l’Urssaf ! Si bien, qu’en cas de saisine d’un juge, celui-ci pourra être amené à assujettir l’ensemble des prestations aux cotisations sociales, dès le 1er euro.

Les comités d’entreprise sont donc obligés de se contenter de ces tolérances, qui sont auto-proclamées par l’Urssaf, en marge de tout texte législatif.

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

Découvrir tous les contenus liés
2 – La position de l’Urssaf

L’Urssaf a reprécisé en juillet 2016 sa position sur les aides aux départs en vacances. Il convient de prendre en compte cette position, car le contrôleur, comme le comité d’entreprise, pourront s’en prévaloir en cas de contrôle.

L’Urssaf rappelle en premier lieu un certain nombre d’éléments fondateurs :

- « Le principe de non-discrimination interdit aux CE de réserver ces avantages à certains salariés en fonction de leur statut professionnel. Il n'est pas possible d'exclure des bénéficiaires en fonction du niveau de rémunération du salarié (mais le CE peut adapter le niveau de prise en charge en fonction de la rémunération), de la forme du contrat (CDD, CDI, temps partiel)...

- « Les critères déterminés par le CE devront être connus de tous les salariés au sein de l’entreprise. »

Ces points ne nous semblent pas contestables. Mais ensuite, la position devient plus restrictive :

- « Toute participation, prime ou avantage alloué par le CE à l’occasion de vacances, quelle que soit sa forme ou sa dénomination, sera également considérée par l’Urssaf comme un complément de rémunération soumis à cotisations, dès lors :

  • qu’elle est d’un montant uniforme,
  • qu’elle est versée à tous les salariés de l’entreprise ou
  • qu’elle est sans justification des dépenses engagées. »

Trois remarques s’imposent :

  • Le montant uniforme, qui est par essence non discriminatoire, est rejeté avec force par l’Urssaf;
  • Il en est de même pour le versement à tous les salariés ;
  • La justification des dépenses engagées parait une donnée floue : si elle est aisée à établir en cas de voyage organisé par le CE, ou en cas de participation à une location ou une colonie de vacances, comment peut-on justifier qu’un chèque ANCV a bien été utilisé à l’occasion d’un départ en vacances ?

Et l’Urssaf créée ensuite ses propres critères d’appréciation :

« Il est exclusivement permis de moduler les prestations selon des critères sociaux objectifs et prédéterminés (ex. : aide aux vacances modulée selon les revenus du ménage, différenciation des bons d’achat de rentrée scolaire selon l’âge ou le niveau d’études de l’enfant…).

La participation du comité d’entreprise doit donc être attribuée de manière personnalisée. »

Cette position :

  • Rend la modulation obligatoire ;
  • Crée une insécurité, car elle ne définit pas les critères objectifs, se contentant de donner quelques exemples ;

Certains exemples pourraient, au contraire, être discriminatoires, notamment celui tenant aux revenus du ménage, qui intègrent des ressources d’autres personnes que le salarié. Par ailleurs, le terme « personnalisé » semble une invitation ouverte à un traitement individuel des salariés, qui ne peut que renforcer le risque de discrimination.

3 – Orientation vers une source légale réglementant le régime des avantages versés par les CE ?

Le gouvernement a demandé en septembre 2016 à l’Inspection générale des finances une mission d’étude en vue :

  • D’étudier l’élargissement des avantages aux employeurs n’ayant pas de CE ;
  • De fixer des règles légales se substituant aux tolérances actuelles de l’Urssaf ;
  • De plafonner le cas échéant, le montant des prestations exonérées (*).

On ne peut qu’applaudir les deux premiers objectifs. Le troisième pourtant s’apprête en revanche à faire couler beaucoup d’encre, d’autant que son étude préalable d’impact ne peut être que limitée. En effet, les comités d’entreprise ne sont répertoriés nulle part, et leurs pratiques sont extrêmement diverses.

A l’occasion de cette étude, des questions de principe se posent :

  • Toutes les activités seraient-elles visées par ce plafonnement ?  Et cela ne va-t-il pas conduire à interdire aux CE de gérer la cantine, dont les budgets sont parmi les plus élevés ?
  • Les CE modulent fréquemment le montant de leur participation en fonction de la situation du salarié. Ainsi, les familles à revenus modestes concentrent les aides les plus importantes. Un éventuel plafonnement ne va-t-il pas alors desservir les salariés les plus défavorisés ?
  • Comment fixer des critères objectifs, en cas de modulation de la participation du CE, les règles des Urssaf étant bien trop interprétatives ? Ne peut-on alors s’inspirer du décret du 9 janvier 2012, relatif aux contrats de prévoyance et de santé, qui a définitivement fixé 5 critères (art. R242-1-1 du code de la sécurité sociale), ainsi que le principe d’une modulation suivant la composition du foyer (art. R242-1-4 alinéa 2) ?

Des questions pratiques apparaissent aussi :

  • Comment répartir, par salarié, la somme fixe dépensée par le CE pour une activité payée au forfait (ex : goûter de Noël, abonnement aux plateformes de billetterie, abonnement juridique à l’usage des salariés, etc.) ? Par ailleurs, comment intégrer les activités sportives gérées dans une association contrôlée par le comité dans ce plafond ? 
  • Comment répartir le plafonnement, lorsque le seuil d’exonération est partagé entre l’employeur et le CE (cas par exemple des titres de repas, ou des CESU) ?
  • Comment les CE ne disposant pas de logiciel spécialisé vont-ils pouvoir calculer le montant à imputer à chaque salarié, sinon au prix d’un lourd travail administratif ?

Il est vraisemblable que les dispositions des articles D7233-8 et suivants du code du travail, qui s’appliquent actuellement aux seuls services à la personne à domicile distribués par le CE, soient étendues, avec les conséquences suivantes��:

  • Il appartient au CE de communiquer à l’employeur, au plus tard le 10 janvier, un état récapitulatif et nominatif des aides versées durant l’année civile ;
  • L’employeur intègre ces montants à sa déclaration annuelle, ce qui en clair le rend responsable du calcul et du versement des cotisations. Il est ainsi sous-tendu que ces sommes doivent apparaitre sur le bulletin de salaire des intéressés ;
  • L’employeur émet à chaque salarié, une attestation fiscale avant le 1er février, précisant l’exonération du montant perçu.

D’autres questions se posent alors :

  • Les cotisations concerneront-elles uniquement la maladie, les allocations familiales et le chômage, ou comprendront-elles les retraites et la prévoyance ?
  • Comment organiser la remontée d’informations auprès de l’employeur ? Et en cas de manquement, comment la responsabilité sera-t-elle partagée entre le CE et le chef d’entreprise, qui préside le comité ?
  • Quelles seront les modalités de refacturation de ces sommes au CE ? Et comment traite-t-on les litiges ?
  • L’exonération fiscale actuelle à l’impôt sur le revenu va-elle disparaître sur le montant dépassant  ce plafond ?

De cette situation, deux constats s’imposent :

  • D’un côté, le système actuel des tolérances fixées par l’Urssaf est avantageux pour les comités d’entreprise. Mais il est aussi juridiquement très instable ; d’autant que les motifs de redressement, la plupart du temps basés sur la discrimination, varient grandement d’un contrôleur à l’autre.
  • De l’autre, la loi pourrait fixer, dans un futur proche, des règles s’imposant à tous, ce qui procèderait sans nul doute, d’une plus grande sécurisation dans les pratiques des CE, mais laisserait place à de nombreuses questions.

Ces règles seraient indissociables de la fixation de plafonds et pourraient réduire le régime de faveur actuel. Parle-t-on d’un plafond de 322 € par an et par salarié, comme cela a pu être cité par l’AFP, seuil qui risque d’être déstabilisant pour les élus, les salariés et pour toute l’économie du tourisme ? Ou parle-t-on du seuil de 1.830 € par an et par salarié, qui s’applique actuellement aux seules aides au domicile de la personne, beaucoup plus indolore pour la plupart des CE ?

Réponse dans quelques mois. Mais une année électorale est-elle propice à des décisions peu populaires, surtout lorsqu’elles visent les revenus les plus modestes ?

Vincent Beyron, expert-comptable, membre du comité CE du Conseil supérieur de l'Ordre des experts-comptables

 

(*) Voir l'article d'actuEL-CE.fr du 14 octobre sur la mission de l'inspection des finances et l'article du 20 octobre sur l'annonce du report de la réforme par le gouvernement.

Ordre des experts-comptables
Vous aimerez aussi