Les référentiels pénibilité, certains s'y sont quand même collés...

Les référentiels pénibilité, certains s'y sont quand même collés...

31.10.2017

HSE

Est-il si difficile de mesurer l'exposition à la pénibilité ? Nous avons cherché la réponse auprès de la poignée de branches qui sont parvenues, non sans peine pour certaines, à se doter d'un référentiel qui se charge de ce calcul. Plongée dans les méthodes utilisées et les résultats obtenus.

"Demander à un artisan ou un agriculteur d'avoir un chronomètre pour mesurer combien de temps par jour les charges lourdes sont portées par son salarié, c'est franchement infaisable et c'est franchement de la complexité inutile", argumentait cet été Muriel Pénicaud à l’Assemblée nationale, pour justifier sa réforme du compte pénibilité. Alors, la pénibilité est-elle si difficile à mesurer ? Nous avons cherché la réponse auprès de ceux qui s’y sont déjà collés : les quelques fédérations qui ont élaboré leur référentiel. Pour aider les entreprises à apprécier l'exposition de leurs salariés à la pénibilité, la loi Rebsamen a en effet prévu des référentiels de branche. Pour le moment, seulement une quinzaine d’entre elles profitent du dispositif en ayant des référentiels homologués.

 

Pour faciliter la déclaration à l’exposition qui revient à l’employeur, la loi prévoit deux solutions (article L 4163-2 du code du travail) :

• Un accord collectif de branche étendu (après négociation, donc), 

  • Un référentiel élaboré par les organisations professionnelles de la branche, et homologué après avis du Coct (conseil d’orientation des conditions de travail).
 
Une demande des employeurs… ou pas

"C’était une demande de nos structures parce que ce calcul est impossible à faire, techniquement et financièrement, de manière individuelle", explique d’emblée Hélène Godin, directrice ressources humaines réseau de l’UNA, union d'employeurs pour l'aide à domicile. Bernard Habert, chef du service juridique de l’ADMR, autre fédération d'associations d'aide à domicile, explicite : "L’obligation de mesurer peut être compliquée pour des associations [principaux employeurs du secteur, ndlr] qui sont parfois petites. Il y avait beaucoup d’inquiétudes et de questionnements de leur part, par exemple pour savoir si elles devaient embaucher une personne dédiée. L’idée était de leur simplifier la tâche en cas de déclaration, et de les protéger". Protéger parce que l’employeur qui applique le référentiel pénibilité est présumé de "bonne foi". Dans le cas particulier de cette branche, la CDFT Santé sociaux nous donne une version légèrement différente : c’est elle qui aurait réuni toutes les confédérations d'employeurs relevant de son secteur, dont ceux de l'aide à domicile, pour leur présenter l’intérêt d’un référentiel et la possibilité de se lancer. 

Il est vrai que les référentiels ne sont pas toujours issus des réclamations que les entreprises font remonter à leur branche. À en croire les témoignages recueillis, les fédérations ont le plus souvent pris les devants, face à des petits patrons peu informés. C'est que "les artisans ne sont pas à la page de la législation", semble observer Pierre-Luc Daubigney, qui a travaillé sur le référentiel de la CNPEF (confédération nationale des poissonniers-écaillers de France). Même constat et anticipation du côté de la CS3D (chambre syndicale désinfection, désinsectisation, dératisation), qui espère bien que son référentiel participera aussi à améliorer l’attractivité du secteur, qui peine à recruter.

"On naviguait à vue"

Sur les 13 référentiels homologués listés sur le site du ministère du travail, neuf ont été réalisés avec l'aide d'un cabinet de conseil. Et pourtant, le prix d’une telle prestation pourrait être dissuasif : 200 000 euros dans le cas de la branche de l’aide à domicile, par exemple, nous assure un syndicat. Mais faire appel à un ergonome pour réaliser les observations de terrain était une nécessité, aussi bien pour des raisons de compétences techniques, que pour donner du crédit aux résultats une fois qu’ils seraient présentés aux représentants des salariés, explique Dominique Wazzau, président de la commission sociale de la CS3D, qui a fait le choix d’un consultant indépendant.

"On avait déjà une expérience de la pénibilité, et donc déjà une idée très précise de la manière de réaliser un référentiel de la façon la plus fiable possible", explique Bernard Cottet, directeur général de Didacthem, principal cabinet sollicité. Ceux qui ont, au contraire, choisi de mettre les mains dans le cambouis seuls, ont travaillé à tâtons. "On était en contact constant avec la DGT", raconte Pierre-Luc Daubigney, chargé de mission pour la CNPEF. "C’était long et pénible parce qu’aucune méthode n’existait, reconnaît-il, on naviguait à vue".  

Peu de surprises

La plupart ont commencé par faire un panorama de leur branche, décidant parfois d'en exclure certains pans. Ainsi les poissonniers ont-ils choisi de ne réaliser leur référentiel que pour les poissonneries traditionnelles de détail, et de ne pas s'intéresser aux grossistes, des entreprises plus importantes, "bien armées individuellement". Après cette étape préalable, le travail débute toujours par un recensement des professions de la branche. Ensuite, place à l’observation sur le terrain, dans des entreprises représentatives. L'étape est parfois précédée d'une étude de la littérature scientifique déjà existante. Les calculs sont faits avec EPI portés, comme le prévoit la loi.

En ce qui concerne les poissonniers, le chargé de mission Pierre-Luc Daubigney a dû s'y reprendre à plusieurs fois : au début, certaines de ses données n'étaient fondées que sur des entretiens avec les professionnels, mais la DGT lui a demandé de les compléter par une enquête de terrain. "Quand vous connaissez le métier, il est facile de savoir que vous n'êtes jamais au-dessus. En plus, les seuils sont tellement élevés qu'un simple petit calcul vous permet de confirmer que vous êtes en-dessous. Mais la DGT n'a pas voulu de ces entretiens professionnels, ce n'était pas assez scientifique pour elle", raconte-t-il.  

Les observations et mesures nécessitent parfois un petit investissement, comme par exemple un sonomètre, pour mesurer le bruit. Pour Pierre-Luc Daubigney, "tels que décrits, certains critères sont impossibles à mesurer". Il donne l'exemple des vibrations, difficiles à mesurer étant donné qu'"aucune route n'est identique, qu'aucune camionnette n'est identique". Dans son rapport, il a pourtant bien dû éluder le problème : "Comme on ne peut pas observer l'ensemble des conditions, on appelle à la prudence". 

Des résultats sous différentes formes 

Les formes que prennent les résultats varient beaucoup d'un référentiel à l'autre. Ils sont plus ou moins faciles à lire selon les cas.

Exemple de calcul pour un employé d'aide à domicile

Un employé à domicile effectue 55 % de son temps de travail en entretien du logement, 15 % de son temps de travail à réaliser des toilettes, 15 % de son temps de travail à la préparation des repas et 15 % en déplacement...

La principale difficulté à relever est la polyvalence des tâches sur un seul poste. "Une même personne peut être à la fois réceptionnaire, préparateur et livreur", fait remarquer Bernard Cottet pour le commerce de gros. Le diagnostic est donc souvent établi par activité, et les résultats correspondent à une activité réalisée 100 % du temps. À l’employeur de pondérer en fonction du temps de travail passé sur chaque activité.

Le référentiel en main, "l'employeur doit encore faire une règle de trois, addition, soustraction...", reconnaît Bernard Cottet. Alors son cabinet Didacthem est en train de développer une offre d'applications web. Un outil qui s'approche de la calculette dont les métiers de l'agriculture sont dotés. Ce secteur n'a pourtant pas de référentiel homologué, mais face aux doléances de la FNSEA, le ministère a payé un cabinet pour réaliser un "guide méthodologique de déclaration des facteurs de pénibilité", accompagné d'une calculette sous format Excel. 

Certaines branches ont choisi de réaliser des fiches par profession, par activité, ou encore par "groupe homogène d'exposition". La fédération des professionnels des entreprises de l'eau a opté pour une approche par métiers, et elle a notamment présenté ses résultats dans des fiches synthétiques permettant d'identifier rapidement si le facteur concerne l'activité, puis si le seuil est dépassé, ne l'est pas (c'est-à-dire la quasi-totalité des situations) ou si l'entreprise doit elle-même l'évaluer (essentiellement pour le travail de nuit ou en équipes successives alternantes). 

Objectiver la pénibilité 

Et alors, verdict ? Dans les 13 référentiels consultés, très peu de seuils sont dépassés. Pour l’ensemble des responsables interrogés ce n’est pas vraiment une surprise. Dans certains secteurs, comme la désinfectisation ou l’aide �� domicile, les employeurs ont cependant été étonnés du temps accordé aux tâches qui relèvent du cœur du métier, réalisant à quel point les déplacements d’un client à l’autre et le travail administratif prennent du temps. Ensuite, comme le fait remarquer Helène Godin, DRH de l'UNA, "le législateur n'a pas prévu de proratiser les seuils légaux". Une personne à temps partiel passe ainsi facilement en-dessous des seuils, alors même qu'elle serait exposée au titre du compte en travaillant à temps plein.

"Cet exercice a eu le mérite de mieux objectiver. On sait maintenant quels travaux sont pénibles au sens propre du terme [sans forcément être au-dessus du seuil de pénibilité prévu par la loi, ndlr ]" estime Hélène Godin. "Ce qui nous importait, c’était d’avoir un état des lieux objectif qui fasse consensus comme base de travail pour une négociation de branche sur la QVT", nous explique de son côté Loïc Le Noc, secrétaire fédéral CFDT Santé sociaux. Le référentiel de la branche aide à domicile classe les activités en vert, orange, ou rouge. Seules celles en rouge dépassent le seuil légal. Désormais, assure-t-il, "notre but est de supprimer tout le orange".

 

Lire aussi Le compte pénibilité, "une opportunité pour réellement discuter de la pénibilité"

 

Parce qu'il y a quand même prévention dans "C3P", le référentiel permet bien sûr d'évoquer les mesures de prévention pour diminuer la pénibilité, peu importe qu'elle soit en-dessous des seuils légaux. Même si certaines branches assurent que les mesures sont déjà connues, le document a le mérite de les lister, il peut ainsi servir d'outil de communication. Plus prosaïquement, Brigitte Guillot, secrétaire générale de la CS3D, y voit un intérêt supplémentaire : de bonnes relations avec la DGT. "Ils étaient encourageants, conciliants. Ils ont maintenant une vision de nous favorable parce qu'ils savent qu’on a joué le jeu", explique-t-elle.  

 

Contre l'avis des organisations patronales

"C’est vrai qu’on n'était pas très à l’aise, il fallait ensuite pouvoir assumer les résultats", raconte Luc Hery, secrétaire du Cnec (conseil national des entreprises de coiffure), en se remémorant la démarche.

Élaborer un référentiel, c’était aussi reconnaître une certaine pénibilité, et se conformer au compte pénibilité tel que conçu par la loi. Or, tout comme l’avait dénoncé Myriam El Khomri alors ministre du travail, le patronat aurait incité les fédérations à ne pas mettre de référentiel sur pied. C’est en tout cas ce que plusieurs concernés nous ont assuré.

"On nous a expliqué qu'il était urgent d'attendre", explique également Dominique Wazzau de la CS3D"Les syndicats employeurs nous ont reproché de faire le référentiel", explicite Pierre-Luc Daubigney pour la CNPEF

 

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

Découvrir tous les contenus liés
Pauline Chambost
Vous aimerez aussi