L'indemnité de résiliation prévue par l'article 31 de la "loi Évin" est conforme à la Constitution

24.07.2018

Gestion d'entreprise

Le fait de prévoir une indemnité de résiliation dès l'exercice 2010, alors que le texte qui l'a instituée a été adopté en novembre 2010, soit après la date limite à laquelle les contrats collectifs de prévoyance pouvaient être dénoncés, ne porte pas une atteinte excessive à l'économie des contrats légalement conclus.

Instauration d’une indemnité de résiliation : rappel du contexte

La loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 sur la réforme des retraites, a majoré progressivement de 2 ans l’âge légal de départ à la retraite et donc, la capacité de liquider au « taux plein ».

Lors de la discussion du projet de loi, les conséquences importantes de cette réforme sur les obligations de provisionnement des organismes assureurs au titre des garanties de prévoyance, ont conduit le législateur à aménager une application progressive.

En effet, les organismes assureurs devant maintenir le bénéfice des prestations servies sous forme de rente et les garanties décès, dans le cadre de contrats collectifs, tant que l’assuré est en arrêt de travail ou en invalidité, et jusqu’à la liquidation de ses droits à une pension de retraite, leurs obligations de provisionnement étaient alourdies d’autant.

La loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques, dite « loi Évin », a donc été complétée d’un article 31, autorisant les organismes assureurs à lisser dans le temps les dotations supplémentaires aux provisions techniques rendues nécessaires pour faire face à leurs engagements ainsi majorés.

Plus précisément, le texte offrait la possibilité d’étaler linéairement à compter des comptes 2010 et jusqu’à la clôture des comptes de 2015, le supplément de provisions techniques afférentes aux contrats de prévoyance conclus au plus tard à la date de promulgation de la loi, et pour les assurés en arrêt de travail ou en invalidité nés après 1951.

Remarque : pour les assurés de la génération de 1951, les provisions devaient être intégralement constituées dès la clôture de l’exercice 2010 puisqu’ils étaient susceptibles de bénéficier de leur retraite dès 2011.

Corrélativement, en cas de résiliation du contrat collectif pendant cette période, quel qu’en soit l’auteur, le souscripteur était redevable d’une indemnité de résiliation égale à la différence entre le montant des provisions devant être constituées du fait de la réforme, d’une part, et la somme des dotations déjà comptabilisées, d’autre part.

Une QPC sur la constitutionnalité de cette mesure

Dans le cadre d’un contentieux concernant l’exigibilité d’une telle indemnité, un employeur, souscripteur d’un contrat collectif de prévoyance qui en avait notifié la résiliation avant l’adoption de la loi, à effet du 31 décembre 2010, a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité. La Cour de cassation a jugé la question suffisamment sérieuse pour la transmettre au Conseil constitutionnel (Cass. 2e civ. QPC, 17 mai 2018, n° 17-27.099). Le souscripteur considérait que cette indemnité, dont l’existence était inconnue, dans son principe même, à la date à laquelle il avait notifié à l’organisme assureur sa volonté de résilier le contrat, portait une atteinte excessive à l’économie des contrats légalement conclus.

Dans une décision du 13 juillet 2018, le Conseil constitutionnel juge que les dispositions incriminées sont conformes à la Constitution, eu égard au motif d’intérêt général poursuivi par le législateur. Compte tenu du surcoût important pour les organismes assureurs résultant du report de l’âge de départ à la retraite, lié au maintien des prestations (art. 7 de la « loi Évin ») ou des garanties (art. 7-1), il considère que les dispositions contestées ayant pour objet de garantir l’effectivité et la pérennité de la couverture des salariés, tout en évitant une hausse brutale des cotisations versées par les autres souscripteurs, ne portent pas une atteinte excessive aux principes protégés par la Constitution. Il précise qu’en adoptant ces dernières et en leur donnant toute leur portée dès l’exercice 2010, le législateur a ainsi poursuivi un motif d’intérêt général, qui légitimait l’adoption d’une indemnité de résiliation limitée au montant des provisions restant à constituer par l’organisme assureur.

Une question essentielle en suspens

Pour le Conseil constitutionnel, il ne fait aucun doute que le point de départ de cette période transitoire était le 1er janvier 2010.

Il limite sa décision à la question posée. Aussi, la principale interrogation restant en suspens est celle de l’articulation des deux branches de la double condition à la possibilité pour le souscripteur, d’échapper au paiement de cette indemnité. En effet, l’article 31 prévoit que « cette indemnité n’est pas exigible si l’organisme assureur ne poursuit pas le maintien de cette couverture alors qu’un nouveau contrat, une nouvelle convention ou un nouveau bulletin d’adhésion est souscrit en remplacement du précédent et prévoit la reprise intégrale, par le nouvel organisme assureur, des engagements relatifs au maintien de la garantie incapacité de travail-invalidité du contrat, de la convention ou du bulletin d’adhésion initial ; dans ce cas, la contre-valeur des provisions effectivement constituées au titre du maintien de cette garantie est transférée au nouvel organisme assureur ».

Littéralement, cet alinéa semble donner à l’organisme assureur résilié, la possibilité de refuser le transfert de ses engagements et d’exiger l’indemnité de résiliation, quand bien même le nouvel organisme assureur choisi par le souscripteur accepterait de couvrir l’intégralité de la charge des sinistres en cours (prestations en cours de service jusqu’à la retraite, maintien des garanties décès et revalorisations). Cette lecture se comprend au regard des obligations de provisionnement auxquelles a dû faire face l’organisme assureur initial et aux allocations d’actifs qu’il a dû placer en représentation de ses engagements. Il n’est pas certain que cela ait été la volonté du législateur, ce dernier ayant surtout voulu s’assurer coûte que coûte du versement des rentes ou des indemnités et du maintien des garanties accessoires jusqu’au départ en retraite.

Mais on doit reconnaître que ces indemnités représentant un surcoût important, ont pu dissuader un certain nombre d’entreprises de résilier leurs contrats de prévoyance. Il n’est pas certain que cet immobilisme temporaire ait eu des répercussions favorables sur les assurés et leurs employeurs, tant on constate que les négociations liées au remplacement des contrats ont généralement un effet positif sur le coût des couvertures prévoyance.

Même si le lissage des exigences de provisions techniques est terminé depuis la clôture des comptes de 2015, il existe des dossiers de ce type non résolus. Il reste pertinent de rappeler qu’à notre sens, et nonobstant le motif d’intérêt général évoqué par le Conseil constitutionnel, l’indemnité n’était due que par les entreprises dont au moins un salarié né après 1951 avait été placé en arrêt de travail ou en invalidité, au 9 novembre 2010. L’organisme assureur résilié doit donc justifier le principe et le montant d’une telle indemnité au regard de ces critères. A la veille d’une réforme des retraites dont le détail n’est pas connu, rappeler les conséquences sur la prévoyance de ces décisions et valider la manière d’y remédier peut ne pas être inutile.

Laurence Chrébor, Avocate associée Fromont-Briens

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