Luc Bérille (UNSA) : "Les réponses syndicales sont encore largement pensées pour les grandes entreprises"

Luc Bérille (UNSA) : "Les réponses syndicales sont encore largement pensées pour les grandes entreprises"

10.02.2017

Représentants du personnel

Un service d’appel réservé aux salariés des TPE, une communication ciblée sur le métier et la convention collective du salarié, une grosse campagne militante de terrain : ces trois éléments expliquent la progression de 5 points de l’UNSA aux élections TPE selon Luc Bérille, le secrétaire général du syndicat qui réagit également au débat de la présidentielle. Interview.

La forte progression de l'UNSA (de 7,35% en 2012 à 12,49%) aux élections des entreprises de moins de 11 salariés (TPE), marquées par une très faible participation (7,35% de votants seulement), a d'autant plus surpris que le syndicat animé par Luc Bérille semble bénéficier des reculs de la CGT, de la CFDT et de FO. Est-ce la préfiguration d'une montée en puissance de la fédération des syndicats autonomes, déjà représentative dans 97 conventions collectives ? Nous avons posé la question au secrétaire général de l'UNSA, rencontré mercredi 8 février dans ses locaux de Bagnolet (93), auquel nous avons aussi demandé ce qu'il pensait de l'actuel débat présidentiel. Interview.

Comment expliquez-vous les résultats de l'UNSA aux dernières élections TPE qui ont vu le recul de la CGT, de la CFDT et de FO ?

Toutes les organisations syndicales, y compris celles qui progressent en pourcentage comme la CFTC et la CFE-CGC, baissent en nombre de voix, sauf  l’UNSA. Nous sommes les seuls à progresser à la fois en voix et en pourcentage. Mon explication est simple : il arrive que les électeurs réagissent à une offre électorale ! S’ils nous ont choisi, c’est sans doute parce que l’offre syndicale que propose l’UNSA aux salariés des TPE a été perçue par une partie d’entre eux comme intéressante et correspondant à leur aspiration.

Quelle était l’offre syndicale de l’UNSA ?

Le constat que nous avions fait en échangeant avec les salariés de ces petites structures était que leur principale attente était d’être renseignés sur leurs droits, et d’être défendus. Notre analyse est qu’ils attendaient donc un syndicalisme de services où ils pourraient trouver un service de renseignement et de défense. Nous avons donc axé notre offre syndicale là-dessus, résumée par notre slogan de campagne : "A l’UNSA, on s’occupe de moi ".

Les autres syndicats n'avaient-ils pas la même approche ?

Jetez donc un œil sur les différents matériels électoraux !  Ils traduisent des conceptions syndicales très différentes. L’UNSA a deux caractéristiques : c’est une organisation syndicale jeune (23 ans seulement) et qui fonctionne sur le principe du respect de l’autonomie de ses composantes. Nous sommes donc très décentralisés, ce qui nous donne la capacité à nous adapter au terrain. Ce n’est pas le modèle confédéral, qui est un modèle très centralisé et parfois très hiérarchisé. Dans le modèle confédéral, c’est davantage le poids de l’appareil du haut qui régit les choses, et l’histoire de ces structures anciennes pèse aussi beaucoup. Ces confédérations restent marquées par une conception syndicale qui s’est forgée dans et pour les grandes entreprises. Les réponses syndicales sont encore conçues largement pour les grandes entreprises. Par exemple, quand il s’agit d’imaginer une représentation du personnel pour les petites structures, les confédérations vont se référer immédiatement au modèle du comité d’entreprise. Certaines organisations pensent les nouvelles commissions paritaires régionales comme un super comité d’entreprise. C'est très bien un CE mais est-ce pertinent pour les TPE ?

Pour vous, ces résultats doivent donc "interpeller" les syndicats…

Le taux d’abstention phénoménal est inquiétant. Bien sûr, ce n’était que le deuxième vote de ce scrutin TPE et donc il n’y a pas de réflexe électoral. D’autre part, on a perdu deux points de participation par rapport à 2012 du fait du report des élections, pour lequel la CGT a une responsabilité écrasante. Les salariés des TPE, c’est quand même 20% du salariat français.

Les salariés des TPE, c'est 20% du salariat français. Les syndicats s'y intéressent trop peu !

Ce sont des salariés qui ne sont jamais consultés sur rien, à l’exception de ce rendez-vous électoral. Mettre en balance un recours juridique sur des principes qu’on peut discuter et l’importance de ce rendez-vous électoral, ça traduit à mes yeux une conception syndicale et le regard qu’on porte sur les salariés des TPE. Du reste, on a bien vu récemment que la CGT, la première organisation syndicale de France, se donne comme priorité de renforcer son implantation dans les entreprises de plus de 1 000 salariés. Pour moi, cette abstention traduit le fait que les organisations syndicales se sont très peu occupées, historiquement, des salariés des très petites entreprises. Tout se passe comme si les organisations syndicales cherchaient à calquer sur les TPE les réponses trouvées pour les grandes entreprises. Non seulement ça ne marche pas mais ces propositions sont perçues par les salariés des TPE comme extérieures à leur quotidien. Ce "sentiment d’extériorité" doit nous interpeller.  

Votre réussite s'explique-t-elle par une communication catégorielle efficace (vis à vis des coiffeurs, des cabinets d'avocats, etc.), comme le suppose SUD, ou avez-vous bénéficié d'une image de neutralité politique, du fait que les salariés connaissent moins l'UNSA que les autres syndicats, comme le dit FO ?

Ces remarques montrent surtout une méconnaissance des TPE. Nous n’avons pas de secret de réussite ! D’abord, nous avons centré notre réponse syndicale sur la question du service. Depuis quatre ans, nous avons mis en place un numéro d’appel spécial TPE qui permet d'obtenir des renseignements. Ce numéro est ouvert à tous les salariés,  car nous avons, comme toutes les organisations syndicales, très peu d’adhérents dans les TPE. Pendant la campagne, ce numéro a été beaucoup diffusé et a donc été beaucoup appelé pendant la campagne, ce qui nous a amené aussi quelques adhésions. Les questions posées, c’était par exemple : "Je suis enceinte, comment cela va se passer pour mon congé maternité ?",  "J’ai du mal avec mes horaires : suis-je en heures supplémentaires ? Le patron va-t-il me les payer ou pas ?", etc.

Nous avons mis en place il y a 4 ans un numéro d'appel pour les salariés des TPE

Ensuite, comme l’objet de l’élection était pour les salariés de participer à la désignation de leurs représentants dans leur branche professionnelle, nous avons fait une communication sur leur convention collective. Un salarié de TPE a en effet deux sources de droit : le code du travail et sa convention collective. Un salarié d’une start-up, qui est une TPE, n’a pas les besoins et les préoccupations d’un salarié d’une boulangerie. Nous avons donc couplé la réponse à des questions générales sur les droits à des propositions de l’UNSA concernant la profession des salariés, selon les conventions collectives. Enfin, nous avons fait une très grosse campagne militante.

En quoi a consisté cette campagne ?

Ce type d’élection exige d’entrer en contact avec des milliers de salariés de TPE qui sont dispersés partout en France. Pour y parvenir, nous avons mobilisé des milliers de nos militants, du public comme du privé, retraités comme actifs, pour faire du porte à porte dans une grande campagne de terrain. Ils sont allés mettre des tracts dans les boites à lettres des cabinets médicaux, ils ont fait du porte à porte dans les galeries commerciales, etc. Nous avons démultiplié l’effet de notre offre de services et d’un matériel électoral efficace car facilement repérable en les faisant porter par nos militants auprès des salariés.

N’avez-vous pas bénéficié comme le dit FO d’une moindre exposition politique, notamment en rapport avec le débat sur la loi Travail en 2016  ?

Si c’était vrai, Solidaires devrait alors être en progression ! Je crois plutôt que cette élection s’inscrit dans un climat politique général où il y a une aspiration au renouvellement. Et l’UNSA apparaît comme un syndicat pragmatique, concret, qui renouvelle l’offre syndicale, et qui de plus est autonome, alors que le syndicalisme est souvent perçu par les salariés comme trop politisé.

Ceux qui pensaient que la loi El Khomri serait la mère de toutes les batailles ont fait chou blanc

Mais tout ela ne nous aurait pas profité si nous n’avions pas bâti une offre ver les salariés TPE et déployé un très gros travail militant. Aller à la rencontre des salariés des TPE nous a montré qu’il n’y avait pas d’hostilité à l’égard du syndicalisme. En revanche, les salariés étaient très surpris de rencontrer des syndicalistes car ils ne les voient jamais. Rencontrer ces salariés a été très enrichissant et cela nous a aussi permis de démentir la représentation qu’ils ont parfois d’un syndicalisme très politisé et polémique et très éloigné des gens. En tout cas, la grille de lecture politique ne fonctionne pas pour cette élection. Certains pensaient que la loi El Khomri serait la mère de toutes les batailles et que cela allait structurer pour des années le salariat français. Cela a fait chou blanc !

Ces résultats sont-ils pour vous de bon augure quant à la mesure de la représentativité nationale interprofessionnelle en mars prochain ? Ou au contraire, ne sont-ils pas trop flatteurs pour votre organisation compte-tenu de son implantation ?

Très franchement, notre objectif pour les élections TPE était supérieur à celui que nous avons atteint. Nous voulions tenter de doubler notre nombre de voix, pour atteindre 70 000 voix, mais compte-tenu de la faible participation, cela aurait signifié faire plus de 20% ! C’était un pari impossible.

Nous visions les 20% aux élections TPE. Compte-tenu de la faible participation, nous ne devrions pas être représentatif en mars prochain

Donc les résultats TPE étant versés dans la mesure générale de la représentation, nous allons donc progresser en mars prochain mais cela ne suffira pas pour que l’UNSA (NDLR : l'UNSA a obtenu 4,29% à la première mesure d'audience) devienne un syndicat représentatif en doublant son score en 4 ans pour atteindre 8%. Cela étant, nous avons aussi progressé en entreprise. Nous nous sommes implantés dans l’industrie, nous avons continué à progresser dans le commerce et les services, dans les banques et assurances, dans le transport, etc. Ce sont plusieurs milliers de sections et de syndicats implantés depuis 4 ans dans le privé, mais cela ne suffira pas à doubler notre résultat. J’attends néanmoins une progression spectaculaire de l’UNSA, en pourcentage et en voix, mais de là à atteindre 8%. Nous ne sommes pas chez Airbus ou chez Bouygues, où nous n’avons pas de feu vert pour entrer, notre développement se fait plus dans les PME où le jeu est plus ouvert.  

L’UNSA est déjà représentative dans 97 conventions. Et en mars ?

Il est possible que nous doublions le nombre de conventions où nous serons représentatifs.

Que vous inspire le débat sur la présidentielle en France ?

La catastrophe absolue en matière de conception de la démocratie sociale et de démocratie tout court, c’est Marine Le Pen et le Front national. C’est la conception d’un pouvoir autoritaire dans lequel le chef est en contact direct avec le peuple, et où les corps intermédiaires –parmi lesquels les organisations syndicales- n’ont plus de place sauf à devenir de simples courroies de transmission.

 La poussée populiste est très forte. Les gens ont le sentiment qu'on ne s'occupe pas d'eux

Or j’ai constaté, notamment en faisant campagne lors du scrutin TPE, que la poussée populiste était extrêmement forte. Sur le terrain, j’ai vu des gens ayant le sentiment qu’on ne s’occupe pas d’eux, que ni la classe politique, ni les institutions ne les écoutent. Il y a une accumulation de frustrations liées aussi aux questions économiques et sociales. Ce phénomène se nourrit tout seul, si bien que l’accession du candidat du FN au second tour de la présidentielle est probable et que son élection comme présidente de la République n’est plus à écarter, depuis le Brexit et l’élection de Trump aux Etats-Unis. A l’UNSA, c’est un sujet de préoccupation et nous attirerons l’attention des citoyens, qui sont libres de leur vote, sur le danger à voter FN . Car nous considérons, pour les raisons de démocratie sociale que j‘évoquais, que le FN n’est pas un parti comme les autres. 

Que diriez-vous des différentes propositions sur le dialogue social ?

Parmi les autres candidats, un remet totalement en cause notre modèle de relations sociales : c’est François Fillon. Sa proposition sur la suppression du monopole syndical de présentation des candidats au premier tour des élections professionnelles n’est pas spectaculaire mais ses conséquences le seraient.

La fin du monopole syndical au 1er tour est une idée dangereuse

Cela aboutirait à remettre en cause le principe d’une représentativité syndicale appuyée sur le vote des salariés qui permet ensuite le cadre de négociation que l’on connaît en France. C’est très inquiétant. C’est une position folle qui déséquilibrerait totalement les relations sociales. S’aventurer dans une situation où l’on n’aurait plus d’interlocuteurs et de mode de régulation organisés, cela me paraît très dangereux pour la démocratie car cela ouvre la voie à des affrontements et à de la frustration. C’est par ailleurs une absurdité économique de penser que les entreprises pourraient décrocher de nouveaux marchés, être innovantes et compétitives en se passant de dialogue social. Je l’ai dit d’ailleurs à Gérard Larcher, que François Fillon a mandaté pour rencontrer les partenaires sociaux. Je lui ai montré comment la logique de cette proposition entraînerait la remise en cause de la loi Larcher (*).

Que vous a répondu Gérard Larcher ?

Il est conscient de ces risques et il semble vouloir convaincre François Fillon de renoncer à cette idée. Mais cela semble difficile de renverser la vapeur dans son camp…

Que pensez-vous à l’UNSA du revenu universel défendu par Benoit Hamon ?

A l’UNSA, nous sommes plutôt favorables à une réflexion sur l’unification des différentes aides et formes de minima sociaux. De nombreuses personnes qui ont droit à ces aides ne les utilisent pas du fait de la complexité de ces dispositifs. Mais le revenu universel, c’est autre chose, c’est un pari sur la disparition ou la raréfaction du travail. Il y a en effet des modifications du travail du fait de la numérisation, des destructions d’emploi, mais il y a aussi des créations d’emplois. A terme, avec le développement de l’intelligence artificielle et des logiciels auto-apprenants, que va-t-il se passer au juste en matière d’emplois ? Nous en restons au stade de l’interrogation. Nous ne sommes pas sur l’idée qu’il faudrait prendre acte que l’emploi et le travail vont disparaître. Cela nous paraît anticiper beaucoup sur les éléments objectifs dont nous disposons. Par ailleurs, nous sommes très vigilants sur certaines lectures possibles du revenu universel, et je ne vise pas ici le programme de Benoit Hamon, si on les relie à des idées comme un salaire maternel, par exemple. Quoi qu'il en soit, nos mandats nous portent plus à lutter contre les inégalités au travail, pour l’égalité femmes-hommes et pour l’accès à l’emploi.

Plusieurs candidats proposent d'abroger la loi Travail. Qu'en dites-vous ?

De Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon en passant par Benoit Hamon, l’abrogation de la loi Travail est brandie comme un gri-gri qu’on agite, au risque d’être peu crédible.

Faisons le bilan de l'application des textes qui sont votés

Je trouve qu’on a attribué à la loi Travail, que j'ai moi-même critiqué sur certains points, des mérites et des déshonneurs sans commune mesure avec ce qu’elle contient. On a eu un débat caricatural sur cette loi qui commence tout juste à s’appliquer. De façon plus générale, d’ailleurs, je trouve que le discours politique ignore le temps de latence qui existe avant toute application réelle d’un texte. Je crois qu’il nous faut réfléchir �� la mise en œuvre de tous ces textes votés ces dernières années, de Sapin à Macron en passant par Rebsamen et El Khomri. De nombreuses dispositions ont été introduites qui changent l’approche de la négociation collective. Ces logiques nouvelles, il faut les maîtriser, les comprendre, s’en servir, et c'est ce que nous cherchons à faire en formant nos délégués syndicaux. Il faut aussi en mesurer la portée et les conséquences pratiques. Ce qu’on pensait se produire avec tel ou tel texte s’est-il réalisé ou a-t-il déclenché des effets imprévus ? En France, on idéologise beaucoup les débats mais on évalue finalement très peu l’effet des politiques…

Qu’attendez-vous du prochain quinquennat ?

Notre dernier bureau national a adopté un document d’interpellation des principaux candidats démocrates. Nous y insistons sur la nécessité d’un nouveau modèle de développement économique et social qui intègre comme une question clé le souci de l’environnement. Nous attendons des candidats des réponses sur cette question. Mais cet enjeu ne se traitera pas uniquement par des réponses politiques mais aussi par l’action de la société et des citoyens.

 

(*) L’article L1 du code du travail créé par la loi Larcher du 21 janvier 2008 prévoit que les projets de réforme envisagés par le gouvernement dans le champ des relations du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle sont soumis à une concertation préalable avec les partenaires sociaux représentatifs en vue de l'ouverture éventuelle d'une telle négociation.

 

L'UNSA demande aux candidats de "dynamiser la démocratie sociale"

Dans son document "d'interpellation" des candidats à la présidentielle, l'UNSA propose notamment :

  • d'inscrire le rôle central du dialogue social dans la constitution;
  • de clarifier les champs respectif de la loi et du contrat ainsi que les prérogatives des différents niveaux de production de la norme (interprofessionnel, branche, entreprise);
  • confier à la branche un rôle explicite de régulation économique et sociale;
  • favoriser l'adhésion syndicale et l'exercice des mandats syndicaux.

Le syndicat préconise également de cibler le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) sur les secteurs innovants en matière de transition énergétique et numérique et d'instaurer une véritable négociation du plan de formation.

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

Découvrir tous les contenus liés
Bernard Domergue
Vous aimerez aussi