Mediator : la responsabilité civile des laboratoires Servier confirmée

25.09.2017

Droit public

La Cour de cassation valide définitivement la condamnation des laboratoires Servier, fabricants du Mediator.

La Cour de cassation était saisie d’un pourvoi introduit par la société Les laboratoires Servier, contre un arrêt de la cour d’appel de Versailles l’ayant déclarée civilement responsable de l’insuffisance valvulaire aortique pr��sentée par une femme ayant été traitée par le Mediator au cours des années 2006 à 2009 (CA Versailles, 3e ch., 14 avr. 2016, n° 15/08232). Rejetant le recours, la Première chambre civile confirme définitivement la condamnation du laboratoire pharmaceutique à indemniser la plaignante.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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C’est la première décision rendue au fond par la Haute juridiction judiciaire dans le dossier du Mediator, ce dernier comprenant également deux autres volets.

Un volet pénal, deux juges d’instruction du pôle de santé publique du TGI de Paris ayant ordonné, le 30 août dernier, conformément aux réquisitions du parquet, le renvoi devant le tribunal correctionnel de 14 personnes physiques et 11 personnes morales, dont les laboratoires Servier et l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), venant aux droits de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), les premiers pour tromperie aggravée et la seconde pour homicides et blessures involontaires.

Un volet administratif, le Conseil d’Etat ayant confirmé le principe de la responsabilité de l’Etat en raison de la carence fautive de l’AFSSAPS à retirer l’AMM du Mediator dès 1999, tout en précisant que l’Etat n’était pas tenu de réparer intégralement les préjudices liés au Mediator dans la mesure où il pouvait s’exonérer partiellement de sa responsabilité, en se prévalant de la faute commise par le laboratoire (CE, 9 nov. 2016, n° 393904, n° 393902 et n° 393926 : AJDA 2017. 426, note S. Brimo ; JCP G 16 janv. 2017, n° 58, note J.-C. Rotoullié ; Dr. adm., janv. 2017, comm. n° 3, note C. Lantero ; RDSS 2016. 1166, note J. Peigné).

Sur le plan civil, l’arrêt de la cour d’appel de Versailles rendu le 14 avril 2016 avait confirmé, en toutes ses dispositions, un jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre, condamnant, pour la première fois, le laboratoire pharmaceutique à indemniser une personne atteinte d’une insuffisance valvulaire aortique, dont la relation causale avec une exposition au Mediator avait été jugée plausible par les experts (TGI Nanterre, 2e ch., 22 oct. 2015, n° 13/06173 : D. 2016. 687, note J.-S. Borghetti). La position des juges du fond a été totalement validée par la Cour de cassation.

Indépendance de la procédure civile

Dans leur premier moyen, les laboratoires Servier estimaient que si l’action civile en réparation du dommage causé par une infraction pénale peut être exercée devant une juridiction civile, il doit toutefois être sursis au jugement de cette action tant qu’une juridiction pénale ne s’est pas prononcée définitivement sur l’action publique lorsque cette dernière a été déclenchée.

Même si l’instruction du dossier est close depuis le 30 août dernier, aucune décision définitive n’a été rendue au plan pénal. Le laboratoire en a déduit que le droit au procès équitable n’était pas respecté, dans la mesure où il se trouvait dans l’impossibilité d’invoquer devant la juridiction civile les éléments rassemblés dans le cadre de la procédure pénale, couverts par le secret de l’instruction.

La Cour de cassation confirme cependant que la demande de sursis à statuer invoquée par le fabricant du médicament doit être rejetée, l’article 4 du code de procédure pénale n’imposant un tel sursis que lorsque l’action civile a été exercée séparément de l’action publique en réparation du dommage causé par une infraction.

Or, en l’espèce, l’action introduite par la plaignante était fondée sur les dispositions autonomes des articles 1386-1 et suivants du code civil (devenus articles 1245 et suivants du même code), et non en réparation du dommage causé par les délits faisant l’objet des poursuites (fondées sur les chefs de tromperie aggravée, d’homicides et de blessures involontaires).

Dans ce contexte, le dernier alinéa de l’article 4 du code de procédure pénale dispose explicitement que la mise en mouvement de l’action publique n’impose pas la suspension du jugement civil, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d’exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil, la décision de prononcer un sursis relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond.

Au surplus, la société Servier ne saurait arguer d’une prétendue méconnaissance du droit à un procès équitable, dès lors qu’elle s’est abstenue, semble-t-il, d’entreprendre les démarches visant à ce que soient versées à la procédure civile les pièces du dossier pénal qu’elle considérait comme nécessaires aux besoins de sa défense.

Plausibilité du lien de causalité

Dans leur deuxième moyen, les laboratoires Servier contestaient que l’insuffisance aortique présentée par la plaignante puisse être imputée à la prise de Mediator, fût-ce par des présomptions, ces dernières n’étant pas, selon eux, suffisamment graves, précises et concordantes pour établir un lien de causalité direct et certain entre la survenance des troubles cardiovasculaires et le traitement médicamenteux.

Il est vrai que, devant la juridiction d’appel, et malgré l’impossibilité d’exclure formellement d’autres causes possibles, l’expertise judiciaire avait conclu à une causalité seulement plausible, et non hautement probable. Pour la Cour de cassation, la fragilité de la force probante se voit consolidée par le fait que le collège d’experts placé auprès de l’ONIAM a également plaidé en faveur d’une imputabilité de l’insuffisance aortique à la prise de Mediator, fondée sur la chronologie de la découverte de cette pathologie par rapport à l’ingestion prouvée du médicament.

En outre, dans la mesure où aucune hypothèse faisant appel à une cause étrangère n’a été formulée et puisqu’aucun élément ne permet de considérer que la pathologie de la victime est antérieure au traitement par le Mediator, les juges du fond ont pu valablement en déduire qu’il existait des présomptions suffisamment graves, précises et concordantes de nature à établir l’imputabilité des préjudices subis par la victime au médicament.

Cause exonératoire inopérante

La société Servier arguait enfin d’un troisième moyen, invoquant une exonération de sa responsabilité pour risque de développement. Une telle cause exonératoire est prévue par les dispositions de l’article 1386-11 (devenu article 1245-10) du code civil. A ce titre, la responsabilité du fabricant d’un produit défectueux peut être écartée lorsque l’état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit ne permettait pas de déceler sa défectuosité.

La Cour de cassation valide l’argumentation développée par la cour d’appel pour qui l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment de la mise en circulation du médicament administré à la plaignante, c’est-à-dire entre 2006 et 2009, permettait de déceler l’existence du défaut du Mediator.

En l’occurrence, la similitude avec d’autres médicaments commercialisés par le laboratoire Servier (notamment l’Isoméride) – médicament ayant une parenté chimique et un métabolite commun avec le Mediator (la norfenfluramine) et dont l’autorisation de mise sur le marché a été retirée en 1997 – aurait dû conduire le laboratoire à procéder à des investigations sur la réalité du risque signalé et, à tout le moins, à en informer les médecins et les patients.

L’implication du Mediator dans le développement de valvulopathies cardiaques a été par la suite mise en évidence par des études internationales et a conduit au retrait du médicament dans plusieurs pays européens (en Suisse en 1998, en Espagne en 2003, puis en Italie en 2004).

La Haute juridiction judiciaire n’a toutefois pas fait mention de la jurisprudence administrative ayant retenu la responsabilité de l’Etat du fait de la carence fautive de l’AFSSAPS à retirer l’AMM du Mediator, à compter du 7 juillet 1999, date de la séance de la commission nationale de pharmacovigilance lors de laquelle a été officiellement évoquée l’inversion du rapport bénéfices sur risques présenté par la spécialité litigieuse.

Il n’en demeure pas moins que, dans le cas d’espèce, à la date de mise en circulation du médicament – cette dernière s’entendant, dans le cas de produits fabriqués en série, de la date de commercialisation du lot dont il fait partie – le laboratoire pharmaceutique était en mesure de déceler le caractère défectueux du Mediator. Il ne saurait par conséquent invoquer une exonération de sa responsabilité pour risque de développement.

Remarque : le pourvoi incident de la victime, qui estimait insuffisants les dommages-intérêts qui lui avaient été alloués en appel (7650 euros tous chefs de préjudice confondus), a également été rejeté, la cour d’appel ayant souverainement apprécié l’existence et l’étendue du déficit fonctionnel permanent.

 

Jérôme Peigné, Professeur à l'université Paris Descartes
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