Monde rural : comment déraciner la désespérance et... le FN ?

Monde rural : comment déraciner la désespérance et... le FN ?

27.04.2017

Action sociale

Le premier tour de la présidentielle a été marqué, entre autres, par des scores très importants de Marine Le Pen dans de nombreux villages de France et de Navarre. Nous avons demandé à des responsables politiques et associatif, ainsi qu'à un observateur, d'analyser ce phénomène du vote FN à la campagne et de proposer des réponses pour réduire les sources de désespérance.

Commençons par un chiffre qui a guidé les premiers pas de cette enquête. Selon l'institut Ifop, Marine Le Pen est arrivée en tête dans plus de 19 000 communes quand son rival du second tour, Emmanuel Macron dépasse péniblement les 7 200. Très concrètement, une majorité de communes (1) a mis en tête des 11 candidats la porte-drapeau du Front national. Dans les années 2000, du temps de la qualification de Le Pen père pour le second tour, le vote frontiste était davantage le fait des zones périphériques et des quartiers pauvres des villes, le rural dit profond étant globalement épargné.

Ecarts énormes de voix entre villes et campagne

Que s'est-il donc passé entre 2002 et 2017 pour que le vote Le Pen se soit ainsi répandu ? Pourquoi des zones qui n'ont pas vu l'ombre d'un étranger ni d'un voile (motifs souvent avancés pour expliquer le vote FN) se jettent dans les bras de l'extrême droite ? Les écarts, en effet, entre ville et campagne sont saisissants. En Haute-Garonne, la ville-centre de Toulouse accorde 9,37 % des voix à Marine Le Pen contre 16,71 % pour tout le territoire départemental. A Paris, ville concernée par les "maux" dénoncés par le FN, le parti ne recueille que 5 % des voix.

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Restaurer l'égalité républicaine

"Dans les campagnes, analyse le sénateur (RDSE) de Lozère Alain Bertrand, existe un sentiment très fort d'abandon qui explique, en partie, le vote extrêmiste. Les gens ne comprennent pas pourquoi on continue à entasser des populations à Lyon, Marseille ou Lille quand le rural manque de population." En 2014, cet élu qui fut un proche de feu Georges Frêche remettait un rapport à la ministre Sylvia Pinel sur "l'hyper-ruralité" avec l'objectif de "restaurer l'égalité républicaine" (lire le rapport). Selon lui, cette dernière n'existe plus. Le sénateur nous raconte une anecdote éclairante : pour pouvoir nous rappeler, il a dû faire un kilomètre en voiture, le mobile ne passant pas de son domicile. "Les gens ont un sentiment de sous-citoyenneté, souligne Alain Bertrand, alors même qu'ils payent la même TVA que toute le monde."

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30 ans d'abandon des politiques d'aménagement du territoire

"Quand on vit dans de petits villages, poursuit Vanik Barberian, c'est très difficile de se déplacer, de se faire soigner, de trouver un travail."Le président de l'association des maires ruraux de France dénonce trente ans d'abandon des politiques d'aménagement du territoire. " Le premier gouvernement de François Hollande avait un ministère de la ville, mais rien pour la ruralité. La politique, c'est aussi des symboles !" Le déménagement des services publics signe plus qu'autre chose encore un sentiment d'abandon. Et de citer un exemple personnel : "En tant qu'habitant du sud de l'Indre, j'ai une gare à 15 mn, mais les trains venant de Paris ne s'y arrêtent plus. Je dois faire trois quarts d'heure de voiture pour me rendre à Châteauroux", raconte-t-il.

Quand le vote FN recule...

Le tableau de la situation peut paraître désespérant. Tout cela sent l'abandon, la fin d'une époque et le pessimisme ravageur. L'impression est erronée car tous les ruraux ne baissent pas les bras. Là où ils se démènent, là où ils favorisent l'initiative et les solidarités, la désespérance recule et le vote frontiste aussi. C'est le cas dans le village de Vanik Barberian, Gargilesse-Dampierre : "Le Pen est arrivée en 4e position avec 11 % des voix quand elle a fini en tête dans l'Indre avec plus de 24 % des suffrages", se félicite-t-il, en soulignant la détresse de nombreux maires ruraux devant les scores du FN dans leur propre village.

Généraliser la journée citoyenne

Les propositions ne manquent pas pour faire refleurir l'espoir. Une centaine de communes, majoritairement rurales, ont mis en place la journée citoyenne, prenant l'exemple du village alsacien de Berrwiller (lire notre entretien). "Ce que nous observons dans les communes qui se sont engagées sur cette voie, explique Jean-Louis Sanchez, patron de l'Odas (2), c'est un recul, ou du moins une stabilisation, du vote FN et chez ceux qui ne votent pas pour ce parti, un renforcement du sentiment d'appartenance à la commune." Le délégué général de l'Odas plaide pour sa généralisation, pour faciliter le bénévolat et pour encourager les élus locaux à monter des projets, en réduisant le poids des normes.

"Démétropoliser" le pays ?

Les élus ne sont pas tendres non plus avec les effets, selon eux, néfastes des lois de décentralisation qui ont créé le pouvoir des métropoles et agrandi la taille des intercommunalités. Alain Bertrand qui a voté contre loi Notre souhaite renverser la vapeur en allant vers la "démétropolisation" du pays. "Il faudrait faire venir des facs, les grandes écoles dans les territoires ruraux et obliger les grandes entreprises à choisir des sous-traitants ruraux", explique-t-il.

Pour le président des maires ruraux, la priorité est d'abord l'équité fiscale. "Actuellement, la dotation générale de fonctionnement (DGF) versée aux communes rurales est deux fois moins importante ramenée à l'habitant qu'ailleurs", dénonce-t-il. Vanik Barberian demande également un allégement des normes qui compliquent la mise en oeuvre des projets. 

Des chantiers d'insertion fragilisés

Mais cette question de l'avenir du monde rural n'est pas simplement une affaire d'élus. Elle concerne également les associations dont le rôle est souvent invoqué quand les services publics ont pris la poudre d'escampette. A la tête de la Fédération des acteurs de la solidarité, Florent Guéguen note que les chantiers d'insertion ont été fragilisés par les baisses de financement de certains départements. "C'est de l'activité non délocalisable, qui est au service de l'intérêt général", plaide-t-il. Son organisation a demandé le doublement du nombre de postes d'insertion par l'activité économique et leur ciblage sur les territoires en difficulté, notamment dans les campagnes.

Aller au charbon, plutôt que s'indigner

De façon plus concrète, Florent Guéguen veut encourager toutes les initiatives de terrain qui permettent de faire reculer le sentiment d'isolement. C'est, par exemple, le sens de l'action entreprise en Bourgogne-Franche-Comté par la fédération régionale des acteurs de la solidarité et la caisse de la Mutualité sociale agricole (MSA) pour aller aux devants des situations de détresse et construire des solutions pour et avec les gens dans la "mouise". "Je crois qu'aller au charbon pour faire reculer les raisons qui poussent certains à voter pour le Front national est beaucoup plus efficace que la seule indignation morale." 

 

(1) On parle très souvent d'une France des 36 000 communes. Du fait des fusions récentes, ce nombre a été ramené, fin décembre 2016, au chiffre de 35 585.

(2) Observatoire national de l'action sociale.

Noël Bouttier
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