"On ne réforme pas le code du travail sans les acteurs économiques et sociaux"

"On ne réforme pas le code du travail sans les acteurs économiques et sociaux"

03.01.2017

Convention collective

Spécialiste du dialogue social, Henri Rouilleault a publié en 2010 un ouvrage "Où va la démocratie sociale ?". Il analyse l'état du dialogue social interprofessionnel 5 mois avant la fin du quinquennat de François Hollande et évalue les marges d'évolution possibles en 2017.

Le dialogue social interprofessionnel est-il vraiment en panne en cette fin de quinquennat ?

Convention collective

Négociée par les organisations syndicales et les organisations patronales, une convention collective de travail (cct) contient des règles particulières de droit du travail (période d’essai, salaires minima, conditions de travail, modalités de rupture du contrat de travail, prévoyance, etc.). Elle peut être applicable à tout un secteur activité ou être négociée au sein d’une entreprise ou d’un établissement.

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Sur les trois dernières mandatures, il y a eu de bonnes intentions au début et des difficultés à la fin. Sous la présidence de Jacques Chirac, un processus de négociation avait été mis en place en 2003 pour réformer les retraites afin d’éviter de renouveler la situation de 1995. C’est le contrat "premières embauches" (CPE) qui a fait déraper le dialogue social en 2006. Cet échec a débouché sur la loi Larcher du 31 janvier 2007 qui prévoit, lorsque le gouvernement envisage une  réforme du droit du travail, une concertation obligatoire des partenaires sociaux et l’option à leur demande d’une négociation préalable entre eux. Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, les choses commencent bien avec la négociation sur la modernisation du marché du travail, patronat et syndicats refusent le contrat unique de travail et donnent naissance à une innovation sociale : la rupture conventionnelle ; mais ça se gâte en fin de quinquennat avec les accords de compétitivité que Nicolas Sarkozy veut imposer. La négociation ne prend pas et il dénonce alors le "corporatisme des corps intermédiaires". La même observation peut être faite pour le quinquennat de François Hollande. Il débute avec la loi du 14 juin 2013, basée sur l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 sur la sécurisation de l’emploi, avec des dispositions significatives comme la généralisation de la complémentaire santé, les droits rechargeables au chômage, l’incitation à la négociation sur les PSE,… qui entrent peu à peu dans les mœurs.

A quel moment datez-vous la rupture ?

Début 2014, lors de l’annonce du "pacte de responsabilité", après de premières tensions autour de la mise en place du CICE fin 2012. Il y a une raison objective : la loi Larcher du 31 janvier 2007 prévoit le cas d’un projet de loi sur les relations de travail. Mais dans le cadre du CICE et du pacte de responsabilité, il y a aussi beaucoup d’argent en cause. On ne peut plus avoir de négociation bipartite ; l’Etat doit être forcément inclus d’emblée et décideur ultime. Entre les organisations patronales qui voulaient des aides sans contreparties et certains syndicats qui ne voulaient pas d’aides, on aurait du imaginer des aides conditionnées à des accords d’entreprise et de branche. A la suite de cet échec la mécanique des conférences sociales a commencé à se gripper avec, en 2014, le boycott de certaines organisations syndicales. Il ne faut toutefois pas oublier la loi Rebsamen, issue d’une négociation qui certes n’a pas abouti mais qui a permis au ministre du travail d’en tirer parti et de s'inspirer de l'esprit des discussions (regroupement des IRP et des négociations et consultations obligatoires dans l’entreprise).

La loi Travail acte en quelque sorte l’échec du dialogue social interprofessionnel ?

Le gouvernement a commis une erreur fin 2015 en entamant la réécriture du code du travail par un sujet très sensible qu’est la durée du travail, puis en ajoutant dans le texte des dispositions sur le licenciement économique et le barème des indemnités pour licenciement abusif. Il aurait fallu commencer par une négociation de méthode sur la réécriture du code du travail. Si les partenaires sociaux ne voulaient pas de négociation bilatérale sur un sujet aussi vaste, ils auraient certainement accepté une concertation tripartite sur la méthode. On ne réforme pas le code du travail sans les acteurs économiques et sociaux. Au final désormais, après un long conflit et le 49-3, le Haut conseil du dialogue social qui est tripartite jouera un rôle en matière de réécriture du code du travail aux côtés de la commission de refondation du code du travail composée d'experts.

Quelles conséquences en tirer ? Faut-il revoir la loi Larcher ?

Il faut d'abord souligner que les lois consécutives à des accords sont des lois plus durables. L'exemple de l'accord et de la loi de 1990 sur la précarité est significatif. Mais cela n'empêche pas de préciser la loi Larcher. Le concept d'urgence qui permet de passer outre la concertation pourrait être encadré. Il faudrait également prévoir que lorsque le sujet traité entraîne la mobilisation des moyens budgétaires publics, il faut une concertation tripartite préalable. Enfin, pourquoi ne pas étendre l'article L.1 du code du travail aux ordonnances et aux propositions de loi d’origine parlementaire. On pourrait aussi constitutionaliser l’article L.1 en reprenant le projet préparé par Michel Sapin.

Comment le dialogue social interprofessionnel peut-il évoluer en 2017 dans un contexte politique fort ?

La droite a vu les difficultés rencontrées avec la loi Travail. Sa logique est d'annoncer les réformes à venir dès à présent (fin de la durée légale à 35 heures, fin des 35 heures dans la fonction publique, âge légal de retraite porté de 62 à 65 ans, réécriture totale du code du travail) pour ensuite passer par la voie d'ordonnances. Toutefois, il faut rappeler que la loi d’habilitation à procéder par ordonnances doit définir une durée pour prendre ces ordonnances et un objet. S’il est prévu de revoir l’intégralité du code du travail cela pourrait être inconstitutionnel. A gauche, les programmes ne sont pas encore finalisés. Toutefois, lorsque Manuel Valls dit qu’il croit à la démocratie sociale et qu’il veut revenir sur le 49-3, il procède en creux à une sorte d’autocritique.

Ce qui est sûr c'est qu'il y aura un moment très difficile pour les partenaires sociaux. Mais la balle est en partie dans leur camp. Il y a aujourd’hui une double radicalisation : au Medef avec l’élection de Pierre Gattaz et à la CGT avec l’arrivée de Philippe Martinez. Selon que la CFDT, FO et la CGT trouveront des points d’entente ou non, la partie syndicale pèsera par ailleurs différemment.

Florence Mehrez
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