Ordonnances : la branche est-elle sauvegardée ?

Ordonnances : la branche est-elle sauvegardée ?

18.09.2017

Représentants du personnel

Le projet d'ordonnance qui redéfinit l'articulation entre la branche et l'entreprise en matière d'accord collectif sauvegarde-t-il vraiment la branche ? Juristes et syndicalistes s'interrogent sur l'interprétation du texte.

Que changent les projets d'ordonnance au sujet de la branche, notamment le premier texte relatif à l'articulation entre les accord de branche et d'entreprise : son rôle est-il conforté ou le texte va-t-il provoquer une généralisation de la primauté donnée à l'accord d'entreprise ? Cette question fait l'objet actuellement de discussions parmi les juristes mais aussi au sein des confédérations syndicales, qui épluchent minutieusement les textes.

A l'unisson du discours de Jean-Claude Mailly, Michel Beaugas, secrétaire confédéral FO, se montre dans un premier temps rassurant : "La branche est préservée, elle a été sauvegardée par rapport aux velléités du gouvernement qui, au départ, voulait tout faire basculer au niveau de l'entreprise.

Par rapport au projet initial, la branche est sauvegardée

A FO, nous ne voulions pas nous retrouver avec une inversion de la hiérarchie des normes au détriment de la branche, comme l'a opérée la loi El Khomri à propos du temps de travail. Nous avons pu faire inscrire 11 thèmes réservés à la branche" (*).

Et le syndicaliste de pointer que des éléments essentiels pour les salariés comme les classifications restent du domaine de la branche. Michel Beaugas avoue toutefois que le service juridique de FO planche pour savoir comment interpréter la phrase suivante qui fait suite à la liste des 11 domaines réservés à la branche :

"Les stipulations de la convention de branche prévalent sur la convention d'entreprise conclue antérieurement ou postérieurement à la date d'entrée en vigueur de la convention de branche, sauf lorsque la convention d'entreprise assure des garanties au moins équivalentes" (futur art. L. 2253-1).

 

MIchel Beaugas comprend pour l'heure que le principe de faveur continue de s'appliquer : l'accord d'entreprise ne peut concerner ces domaines réservés, sauf s'il propose des dispositions plus favorables que la branche. Mais il se montre prudent : "S'il y a une forme de contournement, alors nous contesterons juridiquement ce passage", annonce-t-il.

Principe de faveur et équivalence

Le juriste Pascal Lokiec, professeur à l'école de droit de la Sorbonne Paris 1, est pour le moins circonspect sur cette formule : "Nous étions habitués au principe de faveur. Le texte de l'ordonnance avance une nouvelle formulation dont nous ne maîtrisons pas les contours juridiques. Les mots "au moins équivalentes" semblent signifier que c'est bien l'accord d'entreprise qui s'appliquera si cette condition est remplie". Problème : qui jugera s'il y a bien équivalence, c'est à dire accord équilibré, si ce n'est les négociateurs eux-mêmes ? "C'est la philosophie générale de ce texte. L'accord d'entreprise déterminera non seulement le contenu du droit (primes, durée du travail, etc.) mais aussi les modalités d'application du droit", observe Pascal Lokiec. Pour Gilles Lecuelle, en charge du dialogue social à la CFE-CGC , il est faux de dire que la branche est sauvegardée.

 La branche n'est plus libre de fixer son ordre conventionnel

Et ce dernier d'opérer un rappel historique : "La branche s'imposait à l'entreprise jusqu'à la loi Fillon de 2004. Avec cette loi, la branche devait explicitement prévoir une clause impérative pour empêcher qu'un accord d'entreprise puisse imposer aux salariés des dispositions moins favorables que la branche. Un nouveau changement s'est produit en 2016 avec la loi El Khomri qui a permis à l'accord d'entreprise, sur le thème du temps de travail, de déroger à l'accord de branche, y compris dans un sens défavorable".

Et le syndicaliste d'ajouter que la loi Travail prévoyait néanmoins que la branche définisse elle-même son ordre public conventionnel, c'est à dire les domaines sur lesquels elle souhaite garder la main. "Les projets d'ordonnance restreignent les thèmes où la branche s'impose, et celle-ci ne peut plus les choisir", souligne-t-il. En effet, les seuls thèmes, en plus des 11 déjà cités (dits du "bloc 1"), sur lesquels la branche peut décider qu'un accord s'impose à un accord d'entreprise négocié postérieurement concernent (c'est le "bloc 2") :

  • la prévention des effets de l'exposition aux facteurs de risques professionnels;
  • l'insertion professionnelle et le maintien dans l'emploi des travailleurs handicapés;
  • les délégués syndicaux (voir notre encadré);
  • les primes pour travaux dangereux ou insalubres (**).

Quant à la fameuse phrase sur "les garanties au moins équivalentes", qu'on retrouve à la fois pour le bloc 1 et 2, elle n'est pas pour lui très rassurante : "Cela semble signifier que certaines garanties peuvent être remplacées par d'autres, donc cela veut dire que même les 11 thèmes soi-disant réservés à la branche pourraient basculer vers une négociation d'entreprise".

 Vous êtes moins soumis dans la branche au lien de subordination que dans l'entreprise

Gilles Lecuelle, qui a longtemps négocié dans la branche de la chimie, souligne l'importance du niveau auquel on négocie : "Il est évident que lorsque vous négociez au niveau de la branche, vous n'êtes pas soumis au lien de subordination qui vous touche quand vous négociez au niveau de votre propre entreprise. Plus le niveau de négociation est bas, plus la négociation va se heurter à ce problème, ce qui pourrait, en cas d'impasse dans les discussions, favoriser une nouvelle conflictualité dans les entreprises, la grève devenant le seul moyen de se faire entendre".

Dans une interview au Monde, l'économiste Bertrand Martinot, un des inspirateurs de la réforme, a lui-même souligné l'accroissement du champ des accords d'entreprise : "Il y a des pans entiers du droit du travail où l’on a inversé la hiérarchie des normes entre les branches et les entreprises, notamment en ce qui concerne les primes. Jusqu’à ce jour, les branches avaient la possibilité de mettre des verrous partout. Désormais, nous avons listé les onze domaines où elles peuvent le faire. Par ailleurs, tous les verrous actuels tomberont automatiquement le 1er janvier 2019 s’ils n’ont pas entre-temps été confirmés par les partenaires sociaux. Les branches s’en sortent donc bien, mais leur rôle n’est pas renforcé".

Quelles conséquences ?

Il va falloir un peu de temps pour éclaircir ces questions et cerner l'étendue des sujets dont pourra se saisir un accord d'entreprise, ces sujets n'étant pas limitativement définis dans les ordonnances. Il faudra aussi évaluer la volonté des entreprises de profiter de ces nouvelles possibilités de négociation, au risque de revenir sur des situations passées et de mettre en question "la paix sociale". Reste une garantie pour les salariés, souvent avancée par les promoteurs de la négociation décentralisée : pour déroger à la branche, l'accord d'entreprise devra être majoritaire, c'est à dire recueillir la signature de syndicats représentants une majorité des suffrages exprimés aux élections professionnelles, les ordonnances prévoyant d'avancer au 1er mai 2018 la généralisation de cette condition.

 

(*) Ces 11 thèmes sont : les salaires minima hiérarchiques, les classifications, la mutualisation des fonds de financement du paritarisme, la mutualisation des fonds de la formation professionnelle, les garanties collectives complémentaires, les mesures relatives à la durée du travail, les mesures relatives aux contrats de travail à durée déterminés et aux contrats de travail temporaire, les mesures relatives au CDI de chantier, l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, les conditions et les durées de renouvellement de la période d'essai, les modalités selon lesquelles la poursuite des contrats de travail est organisée entre deux entreprises.

(**) Dans ces matières, dit l'ordonnance, un accord d'entreprise conclu postérieurement à une convention de branche (si elle le stipule expressément) ne peut comporter des stipulations différentes "sauf lorsque la convention assure des garanties au moins équivalentes".

 

La branche pourra toujours négocier sur les DS et les parcours syndicaux

Dans son projet d'ordonnance n°1 relatif à l'articulation entre accord d'entreprise et accord de branche, le gouvernement prévoit d'autoriser les branches à conclure un accord au sujet des délégués syndicaux. La branche pourra décider de verrouiller cet accord, c'est à dire de décider qu'un accord d'entreprise ne pourra comporter d'autres dispositions que celles prévues par la branche, "sauf lorsque la convention d'entreprise assure des garanties équivalentes". Cet accord pourra déterminer l'effectif à partir duquel les délégués syndicaux seront désignés, leur nombre et la valorisation de leur parcours syndical (futur article L. 2253-2). Cette disposition n'est pas nouvelle. Le fait nouveau, si l'on peut dire, est que le gouvernement ait maintenu la possibilité de la branche de verrouiller un tel accord, possibilité qui n'est plus permise que pour trois autres sujets : la prévention des effets de l'exposition aux facteurs de risques professionnels, l'insertion professionnelle et le maintien dans l'emploi des travailleurs handicapés, les primes pour travaux dangereux ou insalubres.

Si tous les élus de l'entreprise renoncent à être délégués syndicaux, une OS pourrait nommer un salarié DS

Il semble également que le gouvernement envisage, mais après les ordonnances car ce cas n'est pas prévu dans la loi d'habilitation, de modifier la loi sur la désignation syndicale. Il s'agirait de permettre à une organisation syndicale ayant obtenu au moins 10% des voix aux élections de désigner comme délégué syndical un salarié qui n'a pas figuré sur la liste des candidats aux élections professionnelles, et qui n'a donc pas obtenu 10% des voix. Cette possibilité n'existerait qu'à la condition que l'ensemble des élus ayant obtenu au moins 10% dex voix aux élections professionnelles renoncent par écrit à leur droit d'être nommés délégués syndicaux.

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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