Ordonnances Macron : la fin des négociations interprofessionnelles ?

Ordonnances Macron : la fin des négociations interprofessionnelles ?

15.09.2017

Représentants du personnel

Face à une autonomie toujours croissante des partenaires sociaux pour déterminer les règles collectives, les négociations nationales entre syndicats et patronat ont-elles encore une justification ? Les partenaires sociaux en ont débattu hier au Sénat devant la ministre du Travail et les journalistes sociaux (Ajis)

Hier matin au Sénat, dans le cadre des 50 ans de l'Association des journalistes de l'information sociale (Ajis) et en présence de la ministre du Travail, les représentants des huit organisations syndicales et patronales représentatives étaient présents à la tribune et côte-à-côte pour débattre de l'avenir du dialogue social et de son rôle face à la démocratie politique. Une image rare, peut-être même d'archives, et l'occasion de prendre la mesure des divergences et proximités syndicales.

"Nous ne sommes pas allés assez loin ces quatre dernières années" (CFTC)

Le mouvement de décentralisation du dialogue social, encouragé davantage encore par les projets d'ordonnances visant à réformer le droit du travail, soulève en effet la question de l'avenir de la négociation au niveau national et interprofessionel. L'idée de recevoir moins souvent les délégations syndicales au siège du Medef pour négocier ne semble guère émouvoir Pierre Gattaz : "Plus le dialogue social sera organisé au niveau de l'entreprise, mieux nous nous porterons", affirme-t-il.

Un point de vue aussitôt contesté par le président de la CFE-CGC : "Imaginons que l'on fasse la même chose au niveau environnemental. Si l'on donne à chaque individu toute latitude pour définir ses propres règles, il y a un risque important que toute la société soit polluée, illustre François Hommeril. La construction par étage du droit du travail, ses rigidités, c'est aussi ce qui fait sa solidité. Et on ne pense pas que tout s'est arrêté au soir du second tour de l'élection présidentielle". "Nous sommes attachés à tous les niveaux de normes sociales, et en premier lieu la loi, insiste Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT. Il est vrai que la négociation nationale est difficile, raison de plus pour créer de nouveaux droits au profit des négociateurs syndicaux, qui sont aujourd'hui entièrement à la charge des confédérations".

Selon Philippe Louis, président de la CFTC, cette nouvelle réforme n'est que la conséquence des lacunes du dialogue social national : "Les thèmes traités par les ordonnances, nous les avons déjà tous abordés. Ces textes rédigés par le gouvernement viennent solder les quatre dernières années de négociations au niveau central, quatre années non pas d'échecs mais où nous ne sommes pas parvenus, syndicats et patronat, à aller assez loin. Par exemple, les barèmes aux prud'hommes étaient déjà dans la négociation de 2013 avant de redevenir simplement incitatif".

"Sacrifier ses droits pour augmenter les bénéfices des entreprises, c'est non" (CGT)

Sur le fond, les partenaires sociaux ont ensuite été interrogés sur l'opportunité d'abandonner la négociation d'accords "donnant-donnant" (flexibilité consentie par les salariés en contrepartie de la création d'un nouvel avantage) au profit d'accords "gagnant-gagnant" (réduction de droits des salariés en vue d'une amélioration future de la situation économique). "Si on veut recréer de l'emploi, il faut promouvoir l'excellence économique et un très bon dialogue social, soutient Pierre Gattaz. Mais on doit arrêter de demander aux employeurs des contreparties pour tout. Retrouver un taux de chômage de 5% et des emplois de qualité, c'est un cap. Il revient ensuite aux entreprises de développer les bons outils pour parvenir à ce résultat".

"Je crois au dialogue social d'entreprise, réagit le secrétaire général de la CFDT, mais la performance économique qui ne profite pas aux salariés qui participent à la réussite, je m'y oppose. On sait en particulier qu'il y a eu lors des concertations au ministère du Travail la tentation de ne pas donner aux élus du personnel les moyens d'un dialogue social équilibré. Je regrette aussi que la présence des salariés dans les conseils d'administration ne soit pas renforcée. C'est une occasion manquée de partager le pouvoir dans les entreprises". "Les entreprises bénéficient chaque année de 100 milliards d’aides publiques, 67 milliards de CICE distribués depuis 2013, rappelle Pascal Pavageau, secrétaire confédéral de Force ouvrière. Les entreprises sont donc doublement "gagnant-gagnant" : il y a l’aide et il n’y a pas de conditionnalité. Résultat des courses, on a des dividendes records. Par contre, pour les salariés, toujours autant de modération salariale et moins de droits. Et en matière d’emplois : rien, à l’exception d’un pin’s ! Strictement rien", ironise-t-il. Une inquiétude relayée par le président de la CFE-CGC : "Le social et l'économie sont les deux faces d'une même pièce. L'un ne s'élève pas sans l'autre. C'est donc une erreur de penser que des mesures de régression sociales, comme on risque d'en trouver dans les ordonnances, vont améliorer l'économie française".

"Le  gouvernement va devoir rendre ce qu'il est en train de donner" (CFDT)

L'action syndicale est également interrogée par le développement du travail indépendant. "Ce sont des travailleurs, soutient Philippe Martinez. Ils ne sont pas soumis au code du travail, mais ils n'en sont pas moins soumis à une subordination. Présentés comme les travailleurs du futur, leurs aspirations ne sont pas différentes des salariés. Que revendiquent-ils ? Une grille de classification salariale, un contrat, une protection sociale en cas d'accident du travail, une représentation collective". Enfin, Laurent Berger a profité de la présence de Muriel Pénicaut au premier rang pour remettre une certaine pression : "Le compte personnel d'activité est un super support pour construire des droits au profit des travailleurs tout au long de leur carrière. Il faut maintenant aller plus loin. Pour le gouvernement, il va falloir rendre ce qui est en train d'être donné, à travers les réformes à venir la formation professionnelle, l'assurance chômage et la qualité de l'emploi", prévient-il.

 

Le gouvernement espère un franc succès du Conseil d'entreprise mais diffère un accroissement de la présence des salariés dans les conseils d'administration

Lors du discours de cloture de cette matinée, la ministre du Travail a une nouvelle fois vanté la méthode du gouvernement : "Pour les ordonnances, nous avons consacré au ministère 300 heures de concertation. Et on ne part pas d'une feuille blanche, nous nous appuyons sur les négociations nationales interprofessionnelles passées. En particulier j'espère la réussite du dispositif qui institue le Conseil d'entreprise. C'est une invitation à aller plus loin que le comité social et économique (CSE) vers la cogestion, soutient Muriel Pénicaud. Un avis conforme des élus sera requis sur la formation, mais je l'espère aussi sur de nombreux autres thèmes déterminés par accord. Il s'agit d'une petite révolution car dans ces entreprises, la question de la gouvernance va se poser beaucoup  plus vite qu'ailleurs".

A propos de la codétermination demandée par la CFDT et la CFE-CGC, Edouard Philippe a précisé qu'il fallait d'abord évaluer les conséquences de l'arrivée cette année d'un millier de salariés dans les conseils d'administration "avant d'imaginer une nouvelle étape".

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Julien François
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