Patrick Doutreligne : "Nous voulons lancer un signal d'alarme"

Patrick Doutreligne : "Nous voulons lancer un signal d'alarme"

04.04.2018

Action sociale

Malgré la grève dans le transport ferroviaire, le 33e congrès de l'Uniopss s'ouvre ce mercredi 4 avril dans la ville de Tours qui attend un millier de personnes. A cette occasion, tour de piste de quelques dossiers d'actualité avec le président de l'Uniopss, Patrick Doutreligne.

tsa : "Libertés, inégalités, fraternité ?"... tel est le titre du 33e congrès de l'Uniopss. Pourquoi ce choix ?

Action sociale

L'action sociale permet le maintien d'une cohésion sociale grâce à des dispositifs législatifs et règlementaires.

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Patrick Doutreligne : Nous nous inscrivons pleinement dans la République et entendons réhabiliter sa devise qui est souvent mise à mal. Détaillons. "Libertés" : la France est la patrie des droits de l'homme, mais trop souvent on confond les libertés et le libéralisme, lequel s'exempte de responsabilités sociétales et développe une approche individualiste. "Inégalités" : notre pays s'éloigne de l'objectif d'égalité. Les écarts de revenus et de patrimoine deviennent tellement importants qu'ils sont problématiques pour la cohésion sociale. Les très riches s'enrichissent toujours plus, si bien que notre société ressemble de plus en plus à celle de la seconde moitié du XIXe siècle avec une caste de rentiers. Quant à la "fraternité", on a tendance à l'oublier et à la cantonner dans la sphère privée alors qu'elle fait vraiment partie de notre espace public.

Loi santé du 26 janvier 2016

Morceaux choisis d'un texte aux multiples facettes

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Vous semblez inquiet de la situation actuelle. Pour quelles raisons ?

Nous voulons effectivement lancer un signal d'alarme. Voici près d'un an, l'élection d'un nouveau président et l'arrivée d'une nouvelle majorité donnaient des espoirs au monde associatif. La menace Le Pen avait été écartée et on nous promettait de larges concertations sur les projets de réformes. L'été nous a quelque peu refroidis avec des décisions notamment sur les APL et les contrats aidés, prises sans concertation ni étude d'impact. Depuis, les consultations se sont multipliées pour les nombreuses réformes lancées ou en projet. Sauf que cela n'a été que des consultations très formelles. Un président d'association résumait ainsi la situation : "Lors de la première réunion de concertation, le gouvernement nous annonce ce qu'il a envie de faire. Un tour de table a lieu. Lors de la seconde réunion, il nous annonce qu'il nous a écoutés, mais il reste sur les positions qu'il avait exprimées lors de la première réunion".

 

Vous avez des exemples de ce dialogue de sourds ?

Ils sont nombreux. Je pense aux circulaires Collomb sur le contrôle des réfugiés, aux projets de loi asile-immigration ou logement. Pour ce dernier, le gouvernement met en avant le Logement d'abord, mais c'est pour mieux intégrer des dispositions dangereuses sur l'avenir des CHRS, sur les APL et la réorganisation du monde HLM. Et je ne parle même pas de la règle des 10 % de logements accessibles (au lieu de 100 % actuellement) contre laquelle se mobilisent les associations du handicap. Cette disposition fait l'impasse sur les conséquences du vieillissement de la population, ce qui suppose de travailler sur la question de l'adaptabilité des logements.

 

Et que pensez-vous du travail préparatoire autour de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté ?

Les six rapports sont intéressants ; ils contiennent des propositions opportunes. Maintenant il faut passer aux actes. L'inquiétude est forte dans tous les secteurs car la petite musique que nous entendons à chaque fois est : "il n'y a pas d'argent dans les caisses". On nous demande de plus en plus de faire mieux avec des budgets constants voire en régression. Cette règle est en train de tuer toute innovation.

 

Vous faites fi des contraintes budgétaires ?

Absolument pas. Nous avons conscience des problèmes budgétaires ; nous sommes prêts à faire des efforts. Mais il faudrait avoir une vision stratégique, une approche politique de la société. Elle n'existe pas, comme on le voit sur le dossier des Ehpad et de l'aide à domicile. Passer toutes les décisions au filtre de l'économie et du budget pose un vrai problème. C'est une approche dogmatique qui fait fi de nos projets. Et puis cela s'accompagne d'une conception du social assez erronée.

 

Que voulez-vous dire ?

Même si on entend des discours sur le travail irremplaçable des associations, on a vraiment l'impression que celles-ci sont considérées comme des représentantes de l'ancien monde. L'entrepreneuriat social serait le seul avenir possible. Nous avons le sentiment que le nouveau pouvoir entend simplement le discours de Jean-Marc Borello, le patron du groupe SOS qui a l'oreille d'Emmanuel Macron. Toute l'économie sociale et solidaire ne peut se réduire aux entreprises sociales ; le fait associatif existe et il n'est pas possible de penser son extinction. Ce discours, on l'entend de la bouche de Christophe Itier, le Haut commissaire à l'ESS, qui développe souvent un discours très négatif sur les associations.

 

Justement, lors du précédent congrès à Montpellier, l'Uniopss avait affirmé une position offensive du mouvement associatif. Que s'est-il passé depuis deux ans ?

En 2016, nous avions effectivement choisi le scénario du rebond dans lequel les associations prennent la parole dans la société et défendent des options sociales. Le problème est que les pouvoirs publics nous enferment toujours, et cela de plus en plus, dans un rôle gestionnaire, avec des Cpom (dont les dispositions ne sont pas toujours respectées), des appels à projets, etc. Le congrès de Tours devrait être celui de l'expression d'un profond ras-le-bol face à cette situation.

 

Donc vous prévoyez un congrès de forte contestation ? 

De grandes associations, comme l'APF, le Secours catholique, l'Unapei ou les Petits frères des pauvres, qui ne sont pas considérées comme gauchistes, disent déjà : ça suffit ! Nos propositions doivent infuser et permettre de faire évoluer les textes de loi. Sinon, attention à la colère qui monte ! Si ce signal d'alarme n'est pas pris au sérieux par le gouvernement, on risque de passer à un stade pré-contentieux avec de nombreux recours devant la justice.

 

Le gouvernement sera-t-il représenté pour vous entendre ?

Nous espérons la participation d'Agnès Buzyn. Mais celle-ci n'est pas encore confirmée à l'heure où je vous parle [vendredi 30 mars, NDLR]. Si la ministre des solidarités et de la santé ne venait pas à Tours, alors que les congressistes se sont mobilisés pour être présents malgré la grève des transports, tout le secteur associatif y verrait une marque de mépris.

Noël Bouttier
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