Philippe Louis : "apportons de la réglementation dans l’activité des plateformes de services à domicile"

Philippe Louis : "apportons de la réglementation dans l’activité des plateformes de services à domicile"

19.06.2017

Action sociale

Alors que la CFTC est engagée aux côtés des grandes organisations syndicales dans les négociations sur la réforme du droit du Travail, son président, Philippe Louis, estime nécessaire d’aborder les nouveaux emplois à domicile liés aux développements des plateformes numériques. Interview.

tsa : La CFTC vient de produire une étude sur l’impact des plateformes numériques de services dans le secteur du domicile (lire notre article du 2 juin 2017). Cela signifie-t-il qu’il y a urgence à intervenir ?

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Philippe Louis : En effet. S’il y a bien aujourd’hui un immense secteur qui nécessite que ses acteurs passent un nouveau contrat social, c’est celui de l’emploi à domicile. Les bouleversements qu’on connaît à travers le numérique et l’ubérisation des services y sont de plus en plus prégnants, alors que ce secteur est déjà celui des « petits boulots », du travail au noir et du non-droit du travail.

Loi santé du 26 janvier 2016

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Notre congrès de 2015 avait déjà abordé ce sujet (1), car le recours au web pour améliorer l’intermédiation entre l’offre et la demande de services à la personne brouille les frontières du salariat, voire de l’activité professionnelle. Dans les expériences de plateformes collaboratives de l’économie sociale et solidaire repérées dans notre étude, de nouvelles figures du salariat émergent, comme le travailleur autonome ou l’auto-entrepreneur. Or, ces passages de la position du salarié classique à celle d’un statut d’indépendant s’accompagnent à chaque fois d’une perte de droits acquis. C’est pourquoi il faut adapter notre modèle de protection sociale à ces nouvelles réalités.

Comment assurer une protection sociale compte tenu de la nature des plateformes de services à la personne ?

La loi Travail de 2016 a commencé à intégrer une petite partie du droit social dans le champ de l’économie collaborative. Elle prévoit une couverture sociale des travailleurs des plateformes numériques en cas d’accident du travail et consolide l’accès à la formation professionnelle et la VAE.

Pour la CFTC, il convient d’aller plus loin en s’appuyant sur le compte personnel d’activité. Celui-ci capitalise les droits acquis tout au long de la vie au titre de la formation, l’engagement citoyen et la pénibilité. Notre ambition est de voir, à terme, le compte personnel d’activité accueillir l’ensemble des domaines de la protection sociale [retraites, assurance-maladie de base, prestations familiales, aides au logement]. Avec un principe simple : tout travail, quels qu’en soient la nature et le statut, doit créer du droit social ; mais aussi, tout travail doit contribuer au financement du droit social.

Selon nous, il appartient à la plateforme d’agir pour financer cette protection sociale. Et cela doit être intégré dans le prix des services.

Les plateformes accepteront-elles de jouer le jeu ?

Il est certain que la plupart d’entre elles arrivent aujourd’hui à se soustraire à ces obligations de création et de financement du droit social. Les sites internet d’intermédiation, qui tirent leurs bénéfices de la mise en relation entre offreurs et demandeurs de service, laissent par exemple les personnes s’arranger de la réglementation sociale. Malgré leur légalité, tous ces acteurs conduisent au travail au noir ou à la mise en concurrence entre travailleurs. C’est pourquoi il faut que l’État légifère et qu’une obligation de payer des charges sociales soit adressée aux opérateurs. Cela permettra de supprimer ces sites internet capables d’afficher des offres de service à 5 euros de l’heure, quand on sait que le Smic est à 10 euros.

Quel cadre réglementaire pourrait être envisageable ?

Globalement, le profil de la personne qui travaille par l’intermédiaire d’une plateforme collaborative est celui du travailleur autonome. Ne faudrait-il pas rechercher un nouveau statut qui se rapprocherait du salariat ? Dans le champ des services à la personne, faisons en sorte que celui qui a besoin du service devienne employeur sans supporter pour autant toutes les contraintes de l’employeur, comme c’est déjà possible avec le Cesu (chèque emploi service universel). En revanche, veillons à intégrer dans la relation certaines normes issues du Code du travail, à commencer par le temps de travail.

Se pose aussi le problème de la qualification, qui doit être, selon nous, réglementée. Alors qu’il est impossible de s’improviser infirmier ou aide-soignant sans diplôme, ces sites et plateformes internet laissent penser que n’importe qui est en mesure d’accompagner une personne hors de toute expérience. Il ne s’agit pas de laisser tout faire, n’importe comment, sous prétexte qu’on sait maintenant mettre en contact un demandeur et un offreur de service. Des contrôles de compétences sont à intégrer par la plateforme, en parallèle aux éventuels systèmes d’e-évaluation proposés aux usagers.

Autrement dit, apportons de la réglementation dans l’activité des plateformes, vérifions le professionnalisme des intervenants, mais ne détruisons pas ce secteur en devenir par un trop plein de contraintes, car il offre aussi de réelles perspectives.

Avez-vous l’oreille des pouvoirs publics dans cette période de négociation ?

Le sujet a été posé sur la table quand j’ai rencontré le Président Emmanuel Macron, puis le Premier ministre et la ministre du Travail dans le cadre de la préparation de la réforme du droit du Travail. En disant, n’attendons pas d’être débordés par ces nouvelles pratiques pour intervenir. Mieux vaut poser des limites quand il est encore temps que de changer des règles qui se sont établies sans garde-fou dans le seul intérêt des intervenants.

Uber a servi de leçon. En dépit du véritable dumping social qui était organisé face aux taxis, chacun s’est félicité dans un premier temps que des gens privés d’emploi puissent retrouver une activité par l’intermédiaire de cette plateforme, et en vivre correctement. Puis à mesure que le nombre de chauffeurs Uber se multipliait – et que la plateforme gagnait en réactivité – leurs revenus ont fondu en les conduisant à des amplitudes de travail de l’ordre de 18 heures par jour. Si Uber avait été placé dès le début face à ses obligations, la concurrence avec les taxis se serait organisée sur de toutes autres bases, notamment celle du service, et nous n’aurions jamais connu une telle situation sociale.

Les négociations qui se sont ouvertes le 12 juin dernier laissent penser qu’on avancera sur ce sujet. Les axes de travail qui ont été remis aux organisations syndicales contiennent un volet sur la sécurisation des nouveaux modes de travail liés au numérique.

(1) « Dans un monde en bouleversement, construisons un nouveau contrat social », 52e congrès confédéral de la CFTC, novembre 2015.

 

Retrouvez nos précédents articles sur "le travail social à l'heure du numérique" :

Tous les articles de cette série sont rassemblés ici (lien à retrouver sur le site de tsa, dans la colonne de droite, rubrique "Dossiers").

Propos recueillis par Michel Paquet
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