La SNCF n'avait pas le droit d'effectuer des retenues sur salaires correspondant aux jours de repos des agents grévistes au motif que les différents préavis déposés par les syndicats ne constituaient qu'un seul mouvement : c'est ce qu'a jugé hier le tribunal de grande instance de Bobigny, qui a condamné l'entreprise pour discrimination syndicale et entrave au droit de grève. L'interview de l'avocat Daniel Saadat.
Dans cette décision, le tribunal rappelle le cadre légal d'exercice de la grève dans les EPIC (établissement public industriel et commercial) de la SNCF. En se fondant sur les déclarations syndicales dans les médias, la direction de la SNCF prétendait que le mouvement de grève n'avait qu'un seul motif, l'hostilité syndicale à la réforme ferroviaire conduite par le gouvernement, et qu'il ne s'agissait donc que d'un mouvement unique, continu, et non pas de plusieurs mouvements de grève différents. Sur ce point, le tribunal répond que ce ne sont pas les déclarations publiques des uns et des autres qu'il faut prendre en compte pour décider si le cadre d'exercice du droit de grève est respecté, mais bien le contenu des préavis de grève : "A partir du moment où ils ne sont pas contestés, tous les préavis déposés par les organisations syndicales s'imposaient à chacun des EPIC SNCF, nonobstant et alors même qu'ils sont en contradiction avec les annonces syndicales et médiatiques des dites organisations". C'est clair : le cadre légal est donc posé par les seuls préavis.
Oui. A ce sujet, le tribunal rappelle comment doivent s'effectuer les retenues de salaire. Il y a la règle du 1/30e : quand vous faites grève une journée, vous perdez un trentième de votre salaire mensuel. Mais à la SNCF, les agents peuvent aussi travailler les samedis et dimanches, toute l'année. Pour en tenir compte, afin que les jours de repos ne donnent pas lieu à prélèvement, un article du règlement administratif de la SNCF précise qu'aucune retenue au titre des repos n'est effectuée si le nombre de journées normalement travaillées, et non effectuées du fait de la grève, est au plus égal à 2 (*). Un préavis du vendredi au samedi midi, par exemple, ne doit donc donner lieu qu'à la retenue du salaire de la journée de vendredi. La SNCF n'a pas appliqué cette disposition dans le conflit actuel en considérant qu'il ne s'agissait pas de multiples préavis de grève différents mais d'un seul mouvement, ce qui lui donnait donc la possibilité de faire des retenues sur les jours de repos. Le tribunal conteste cette lecture : il note, comme on l'a vu, que les différents préavis n'ont pas été initialement contestés par la SNCF et, d'autre part, qu'il y a bien eu reprise de service entre deux grèves. Le TGI condamne donc la SNCF à payer 10 000€ de dommages et intérêts à la CFDT, la CGT et l'UNSA.
Le jugement est frappé d'exécution provisoire, ce qui signifie que les agents vont pouvoir se retourner vers la direction de la SNCF pour demander le remboursement des retenues sur salaires indues : l'entreprise doit appliquer son règlement, "dans le cadre des préavis déposés successivement par les organisations syndicales (..) sans cumul possible de chaque période de grève". Mais la direction peut refuser de donner suite, ce qui obligerait les agents à se tourner vers les prud'hommes pour obtenir satisfaction (Ndlr : ce ne sera pas le cas, lire notre encadré).
C'est bien sûr une satisfaction pour mon client, la CFDT cheminots, qui a soulevé l'affaire. Mais c'est vrai que le mal est fait : la tactique de prélèvement sur les salaires de la SNCF a sûrement dissuadé les agents de faire grève.
Bien sûr que le mouvement est lié à la réforme, mais pas seulement. Cette réforme a joué le rôle d'un catalyseur de tous les problèmes vécus par les salariés et de tous les mécontentements.
La situation de la SNCF est bien sûr spécifique. Mais je retiendrai le fait que ce qui compte pour déclarer si une grève est licite ou non, c'est le contenu des revendications, le préavis, et non pas les déclarations publiques des uns et des autres. L'autre enseignement à mon sens, c'est qu'un employeur qui conteste la régularité d'un mouvement de grève doit saisir d'emblée la justice
(*) Le règlement de la SNCF prévoit une retenue d'1/3Oe pour une absence pour grève de 2 à 4 jours et de 2/30e pour une absence de plus de 4 jours.
La SNCF applique le jugement mais fait appel
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Dans un communiqué de presse, la SNCF "prend acte" du jugement du TGI tout en faisant appel. Elle maintient en effet qu'il ne lui "appartient pas de payer des jours de repos si le salarié est en grève et qu'il n'a pas travaillé" et considère toujours que le mouvement social, "même divisé en 18 séquences, constitue bien, non pas 18 grèves distinctes, mais bien une seule et même grève dont l'objet est de s'opposer à l'actuelle réforme ferroviaire". Mais dans l'attente de l'arrêt qui sera rendu en appel, l'entreprise indique qu'elle appliquera le jugement du TGI et qu'elle "régularisera donc la situation des agents concernés". |
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
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