Pour l'inspecteur du travail, "il n'y a pas un jour pareil" (1/3)

Pour l'inspecteur du travail, "il n'y a pas un jour pareil" (1/3)

24.04.2018

HSE

Parce que nous voulions mieux comprendre le quotidien d'un inspecteur du travail, les situations concrètes qu'il rencontre, tant dans son bureau, que sur un chantier du BTP ou dans une entreprise, nous avons suivi pendant plusieurs jours un inspecteur du travail de la région parisienne. Reportage en trois volets. Aujourd'hui : rencontre avec Jean-Noël Ponzevera, attaché à l'indépendance de sa profession et à l'équilibre à respecter entre employeurs et salariés.

Reportage en trois volets.

• Pour l'inspecteur du travail, "il n'y a pas un jour pareil" (1/3)

• Dans les pas de l'inspecteur du travail, du garage au chantier (2/3)

 Poussons la porte du bureau de l'inspecteur du travail (3/3)

 

Certains le craignent, d’autres comptent sur lui pour les aider. Qu’ils soient patrons, préventeurs, médecins du travail, élus ou salariés : tous peuvent avoir affaire à lui. De nombreux clichés accompagnent sa profession. Quel est le quotidien d’un inspecteur du travail ? De son bureau aux visites sur le terrain parfois boueux de l’entreprise, nous avons suivi pendant plusieurs jours – de manière discontinue – Jean-Noël Ponzevera, inspecteur dans la région parisienne (1).

Contre la caricature

Son bureau, une petite pièce pas très lumineuse, a pour avantage de donner sur un jardin. Le mobilier, qui se résume à un bureau et une armoire, est classique. Au mur, des cartes géographiques de son secteur d’intervention. L’homme, la quarantaine, cheveux courts, barbe de trois jours, aime se balancer sur sa chaise. Une manie qui confirme son apparente sérénité.

Quand il nous montre son formulaire d’arrêt de chantier, on pense tout de suite à "Corporate". Dans ce film français de 2017, une énergique inspectrice du travail ferme un chantier lorsqu’elle constate que les mesures de sécurité ne sont pas respectées. "Ici, on a vraiment aimé ce film, il donne une bonne image de la profession, une image réaliste".

En face, dans le film, il y a la DRH, rôle principal du drame, montrée du doigt après le suicide d’un salarié. Dans la réalité, mais dans une autre vie, Jean-Noël Ponzevera a aussi occupé ce poste. Ce passé lui permet sans doute d’avoir conscience des impératifs de l’entreprise, d’avoir une vision équilibrée, contrairement "à l’image qu’a le grand public de l’inspecteur du travail, et qu’on peut voir dans des médias", peut-être uniquement du côté des salariés. Lui se décrit plutôt comme "non caricatural et impartial". Aujourd’hui, il ne regrette pas sa reconversion professionnelle.

Feu de l’action

Ce qu’il aime dans son métier ? "Le feu de l’action. J’aime l’alternance du terrain et des dossiers, la diversité des tâches et des secteurs. Il n’y a pas un jour pareil". Du travail illégal à la santé au travail en passant par le respect de la représentation des salariés, "nous sommes là pour dire le droit", résume Jean-Noël Ponzevera. Les inspecteurs et contrôleurs –rassemblés sous l’appellation d’agents – peuvent constater toute infraction au code du travail au sein des entreprises. Ils ont aussi une mission de conseil et de prévention des salariés. Leurs contrôles sont effectués de manière aléatoire ou après la réception d’une plainte, d’un salarié ou d’un délégué syndical.

"On est indépendant"

Chaque agent est en charge d’un territoire délimité, sa section, et décide de son emploi du temps. Comment ne pas se laisser déborder par les sollicitations des salariés et garder du temps pour les contrôles sans alerte ? Certains font le choix de bloquer des jours dans leur semaine uniquement pour les visites de terrain, Jean-Noël Ponzevera parvient à s’organiser sans jamais panacher ses semaines de la même manière.

 "On est indépendant", déclare Jean-Noël Ponzevera quand nous lui demandons de nous lister les atouts du métier. La dernière réforme de l’inspection du travail a pourtant été décriée par une partie de la profession particulièrement vigilante à son  autonomie. Elle a créé un niveau hiérarchique au-dessus de l’inspecteur, le RUC (responsable d’unité de contrôle). L’idée est de mieux coordonner des actions collectives sur un territoire, même s’il existait déjà des priorités nationales. "On nous impose une direction, le responsable d'unité de contrôle (RUC), qui est censé nous animer mais qui dans les faits sera chargé de nous surveiller", prédisait Yves Sinigaglia, inspecteur du travail et secrétaire de Sud travail à la veille de la réforme.

Nouveaux pouvoirs

En même temps, "les ordonnances nouveaux pouvoirs" comme on les appelle dans la profession, ont élargi le pouvoir d’accès des inspecteurs aux documents de l’entreprise. Avant, cette consultation ne concernait que les documents rendus obligatoires pour l’employeur par le code du travail, puis avait été élargie à tous les documents permettant de vérifier le respect de la législation en matière de discriminations, d’égalité professionnelle femmes/hommes, et d’exercice du droit syndical. Ce pouvoir a été étendu aux domaines de la santé-sécurité et du harcèlement moral et sexuel. Cette réforme a également revu les pouvoirs de sanction. À l’image des arrêts de chantier, l’inspecteur peut désormais demander l’arrêt d’activité, tous secteurs confondus. L’inspection peut maintenant recourir à une amende administrative sans passer par le juge.

 

► Lire aussi Quels sont les nouveaux super-pouvoirs des inspecteurs du travail ?

 

Au cœur de conflits

"Il faut être armé psychologiquement" confie Jean-Noël Ponzevera. Il fait référence aux situations humaines difficiles auxquelles peuvent être confrontées les inspecteurs. Aussi, les relations avec les employeurs ou services de ressources humaines ne sont pas toujours cordiales. "Dans votre courrier, vous remettez en cause mon impartialité", lit-on dans une lettre qu’il adresse à une DRH d’un groupe de presse. "Globalement ça se passe bien, mais il est vrai que c’est fréquemment très rugueux", raconte l’inspecteur francilien qui n’a jamais fait l’objet d’outrage, au sens légal. Des incidents qu’il relativise en nous renvoyant au sinistre fait divers qui a marqué la profession : le meurtre de deux inspecteurs du travail en 2004, pendant leur service.

Sous-effectifs

Aujourd’hui, la relation entre la profession et la ministre de tutelle est tendue. Lors d’une manifestation en octobre dernier, une inspectrice a ouvertement critiqué Muriel Penicaud. Elle a ensuite été suspendue plusieurs jours pour non respect de son devoir de réserve. Le fond de la discorde : le manque d’effectifs que certains syndicats dénoncent depuis plusieurs années.

Une confusion existe entre inspecteurs et contrôleurs, la réforme de 2016 supprimant ces derniers en les formant – six mois durant, période pendant laquelle ils n’exercent pas - pour devenir inspecteurs. Il n’en demeure pas moins que le nombre total d’agents est en baisse. Un arrêté du 12 mars dernier a supprimé quatre unités de contrôle en Ile-de-France, soit 37 postes, nous confirme une représentante de la Direccte. Dans la région, la situation semble tendue, beaucoup de postes sont vacants.

À l’Assemblée, le gouvernement renvoie au nombre maximal de salariés par agent de contrôle fixé par l’OIT (organisation internationale du travail), démontrant qu’il n��est pas transgressé en France, d’après ses calculs. Les syndicats critiquent la pertinence de la référence. Les missions de l’inspection sont plus larges ici que dans d’autres pays. Au Royaume-Uni par exemple, elle ne s’occupe que des questions d’hygiène et de sécurité.

"Rapidité et dextérité"

Les deux qualités que Jean-Noël Ponzevera estime nécessaires pour être un bon inspecteur découlent peut-être aussi de cette pression sur les ressources humaines de l'inspection. Il évoque "rapidité et dextérité".

Une réactivité nécessaire pour prendre en compte les dossiers aussi vite que possible, surtout quand le salaire ou la santé du salarié est en jeu. Le Larousse définit la dextérité comme "l’ingéniosité dans l’accomplissement d’une action ; habileté". Habile, il faut l’être, quand on cherche des informations qu’un employeur préfère nous cacher, qu’on visite un chantier qui ne ressemble en rien �� ce qu’on croyait, ou qu’on est obligé de dire "non" à un salarié désolé.

 

(1) Cette rencontre est le fruit d’une demande officielle auprès de la Direccte, qui a choisi l’agent que nous allions suivre.

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Pauline Chambost
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