Pourquoi La République en marche hésite à franchir le Pas

Pourquoi La République en marche hésite à franchir le Pas

03.09.2018

Gestion d'entreprise

L'Elysée et Matignon n'excluent pas de repousser encore l'entrée en vigueur du prélèvement à la source (Pas) de l'impôt sur le revenu. Les raisons officielles sous-jacentes restent mystérieuses. Des doutes techniques, contestés par la direction générale des finances publiques, ont été révélés par le Parisien tandis que la question d'un effet psychologique néfaste est posée. Et selon nous, il existe plusieurs risques de nature à réduire les recettes de l'Etat en 2019 d'au moins 8 milliards d'euros même si cela n'impactera pas forcément le déficit au sens de Maastricht.

"J’ai plutôt l’intention de conduire cette réforme [du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu] à son terme mais j’ai demandé au (x) ministre (s) compétent (s) de répondre à toutes les questions qui se posent encore avant de donner des directives finales". Jeudi, en déplacement en Finlande, Emmanuel Macron a ouvertement affirmé que l'éventualité d'un nouveau report du Pas est d'actualité, confirmant les révélations de plusieurs médias. Dans son édition du 29 août, le Canard enchaîné s'était fait l'écho des incertitudes de l'Elysée. "On se donne jusqu’au 15 septembre pour voir si on le fait ou pas", aurait confié le président de la République à la veille du week-end du 25 août. "L’objectif d’une mise en place le 1er janvier 2019 est maintenu, mais nous nous laissons la possibilité de le décaler" rapportaient de leur côté les Echos. Une indécision que Le Premier ministre cultive lui aussi. "Nous ferons le point sur la préparation de cette réforme dans les prochaines semaines", a-t-il lâché dans l'édition du 26 août du journal du Dimanche.

Pour le directeur des finances publiques, "la machine est lancée"

Ces hésitations, Bercy ne les partage pas. En tout cas en ce qui concerne Bruno Parent, le directeur général des finances publiques. Fait peu fréquent, ce haut-fonctionnaire s'est exprimé à la radio. "La machine est lancée. Elle ne peut plus, elle ne doit plus s'arrêter", a-t-il livré le 27 août sur France info. D'ailleurs, l'administration fiscale a publié de nouveaux commentaires cet été. Ils précisent comment déterminer les revenus (2018) éligibles au crédit d'impôt pour la modernisation du recouvrement spécifique à l'année de transition. Une campagne d'information a également été lancée. Et de nouveaux ajustements au Pas ont été annoncés. Les — petites — entreprises qui utilisent le Tese (titre emploi service entreprise) se verront calculer par ce service le prélèvement à la source de leurs salariés. De plus, pour les salariés de particuliers/employeurs, le prélèvement à la source ne PDF icondémarrera qu'en 2020. Ministre en charge de la réforme, Gérald Darmanin soutient le directeur général des finances publiques. Le ministre de l’action et des comptes publics a affirmé, dans une réponse ministérielle datée du 23 août, que "la seconde phase de tests en réel conduite en 2018 a permis de confirmer la solidité du dispositif en élargissant le panel des éditeurs [de logiciels de paie] et des collecteurs participants". Il a même avancé, le 27 août sur RMC, que la réforme "n'est pas repoussée" avant  de freiner ce week-end. Car un article du Parisien publié samedi a jeté un doute supplémentaire. Il évoque une note de la DGFip (direction générale des finances publiques) qui, estime le Parisien, "dresse un bilan effrayant de la phase de test lancée avec les employeurs, futurs collecteurs de l’impôt. Non seulement, les bugs sont légion mais, pour certains, il n’y a «a priori pas de possibilité de s’en prémunir»". Fait exceptionnel, la DGFip a sorti un PDF iconcommuniqué de presse hier dont il s'est fait l'écho sur Twitter. Il y est écrit que "la DGFip confirme que les tests effectués permettent la mise en oeuvre du prélèvement à la source dans de bonnes conditions techniques".

 

 
Risque psychologique...

Plusieurs autres questions peuvent se poser. Tout d'abord celle d'un effet psychologique néfaste sur les salariés. Certains d'entre eux pourraient avoir le sentiment de subir une perte de pouvoir d'achat du fait de la réforme. Le facteur psychologique peut aussi se manifester auprès des entreprises, et surtout les TPE, qui voient cette réforme comme une charge administrative supplémentaire. Cela peut contrarier Emmanuel Macron dans sa politique pro-entreprises qu'il mène au moment où le gouvernement a déjà dû décaler une baisse de cotisations sociales patronales (à ce sujet, lire l'encadré ci-dessous). La CPME a d'ailleurs saisi l'opportunité pour réitérer son opposition à la réforme. Entre autres arguments, cette confédération avance que "il est maintenant avéré que les entreprises se verront facturer des coûts supplémentaires par les différents prestataires appelés à intervenir (logiciels de paie, experts comptables…)". Gérald Darmanin a dû dévoiler ce week-end, sur France inter, qu'une réunion se tiendra ce mardi avec Emmanuel Macron pour discuter du dossier. Le ministre de l'action et des comptes publics maintient que la réforme est prête techniquement mais se demande "est-ce que psychologiquement les français sont prêts ? C’est une question à laquelle collectivement nous devons répondre".

... et budgétaire d'au moins 8 milliards d'euros

Rarement évoquées, il existe aussi plusieurs incertitudes budgétaires importantes qui pèsent sur les finances publiques. Le gouvernement de Manuel Valls en avait soulevées certaines en 2016 dans son évaluation préalable au Pas. "La possibilité offerte au contribuable de pouvoir moduler à la baisse, de manière contemporaine, le prélèvement à la source prévu par le projet de réforme du Gouvernement induira un coût consubstantiel à la réforme", prévoyait le rapport sur PDF iconl’évaluation préalable. Et ce dernier de chiffrer un coût budgétaire de l'ordre de 750 millions d’euros dans l’hypothèse où un quart des contribuables pouvant moduler leur impôt à la baisse décide d’exercer cette option. Un scénario qu’il faut minorer par l’impact des modulations à la hausse, chiffré à 100 millions d’euros. Ce qui revient à dire que ce risque (potentiel) de perte budgétaire pour l'année de transition s’élèverait à 2,9 milliards d’euros (4 * 750 millions d’euros – 100 millions). Deuxième incertitude budgétaire, celle des effets progressifs du cadeau fiscal offert sur les revenus non exceptionnels de 2018 qui ne doivent pas être «imposés» — précisément, ils doivent faire l’objet d’un crédit d’impôt pour la modernisation du recouvrement (CIMR). "La mise en place du CIMR […] conduira à taxer une année de moins les ménages qui verront leur richesse augmenter à hauteur d’une année d’imposition sur le revenu", reconnaissait ce même rapport tout en refusant d'en chiffrer l’impact qui ne se "matérialisera que progressivement" — au moment du décès et en cas de baisse de revenus. Pourtant, le CIMR était estimé dans ce même rapport à 75,1 milliards d’euros. Enfin, l'année 2019 verra les recettes de l'Etat diminuées d'au moins cinq milliards d'euros du fait de la réforme — un effet qui ne se reproduira pas les années suivantes. La raison est simple. Elle tient au reversement en janvier 2020 de l'impôt retenu sur les revenus de décembre 2019 (lire notre article). Autrement dit, l'Etat ne percevra en 2019, et n'enregistrera dans sa comptabilité budgétaire cette année-là, que 11 reversements mensuels de prélèvement à la source. Il faut noter que cette mesure — courageuse — d'orthodoxie comptable est le fait du gouvernement d'Edouard Philippe qui a supprimé (voir le décret n° 2018-61) la dérogation décidée par son prédécesseur que la Cour des comptes avait contestée. Toutefois, cette particularité ne devrait pas affecter le déficit de l'Etat au sens de Maastricht, selon le point de vue de l'Insee que nous avions contacté fin 2017. Au total, il existe donc un risque que les recettes 2019 de l'Etat soient dégradées d'au moins 8 milliards d'euros (2,9 + 5 + effet CIMR). Mais la question d'ensemble est de savoir si les bénéfices attendus de cette réforme du Pas sont supérieurs à ses inconvénients.

 

L'allègement supplémentaire de cotisations patronales, une mesure repoussée au 1er octobre 2019

Au mois d’août, l’exécutif a revu à la baisse son effort budgétaire à destination des entreprises. Comme prévu en 2017, le Cice (crédit d’impôt compétitivité emploi) va disparaître le 1er janvier 2019 (article 244 quater C du code général des impôts). Il sera "remplacé" par deux baisses de cotisations sociales patronales. Premièrement, une réduction de 6 points de la cotisation patronale maladie — calculée sur la même assiette que le Cice, c’est-à-dire pour les salaires limités à 2,5 Smic (voir l'article L 241-2-1 du code de la sécurité sociale) —, ce qui amènerait cette cotisation à 7 % (13 % - 6 %). Cette réduction est maintenue par le gouvernement pour entrer en vigueur le 1er janvier 2019. Mais la deuxième baisse annoncée — en 2017 — est quant à elle repoussée du 1er janvier 2019 au 1er octobre 2019. Il s’agit du renforcement de l’allègement général de charges, dite réduction Fillon, d'environ 4 points pour un salarié au Smic — PDF iconl'étude d'impact du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 évoquait environ 4 points tandis que la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale tablait sur 3,9 points. Les gains financiers attendus par l'exécutif pour ce décalage sont de l’ordre de 2 milliards d’euros. Mais dans l’ensemble, les entreprises resteront gagnantes en 2019 en termes de trésorerie. Elles bénéficieront à la fois de la réduction de cotisation patronale maladie — l'étude d'impact du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 l'estimait à 21,6 milliards d'euros pour 2019 —, de l’augmentation de la réduction Fillon — l'étude d'impact du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 l'estimait à 3,3 milliards pour une année entière, soit l'équivalent théorique de 825 millions d'euros d'octobre à décembre 2019 — et de l’effet — sur leur trésorerie donc — du Cice acquis au titre de l’exercice 2018 — nous ne connaissons pas la prévision du coût budgétaire du Cice pour 2019 mais celle pour 2018 s'élevait à 21 milliards d'euros selon PDF iconla commission des finances de l'Assemblée nationale.

Grandes entreprises : hausse en vue du dernier acompte d'IS

Toutefois, les grandes entreprises devraient voir leur dernier acompte d’IS majoré. L'exécutif en espère un gain budgétaire sur 2019 de 1,3 milliard d'euros. Bruno Le Maire a posé le principe lors d'une rencontre organisée le 27 août par l'Ajef (association des journalistes économiques et financiers). Selon le ministre de l'économie et des finances, le dernier acompte d'IS serait égal, pour les entreprises concernées, à la différence entre :

- 95 % (au lieu de 80 % aujourd'hui) du montant de l'impôt estimé au titre de cet exercice et les acomptes déjà versés, pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est d'au moins 250 millions d'euros et au plus égal à 1 milliard d'euros ;

- 98 % (au lieu de 90 % aujourd'hui) du montant de l'impôt sur les sociétés estimé au titre de cet exercice et les acomptes déjà versés, pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 1 milliard d'euros et est au plus égal à 5 milliards d'euros ;

- 98 % (comme aujourd'hui) du montant de l'impôt sur les sociétés estimé au titre de cet exercice et les acomptes déjà versés, pour les entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 5 milliards d'euros.

Extension de la dispense de rapport de gestion

Cet été, la loi pour un Etat au service d'une société de confiance a été promulguée au journal officiel. Ce texte étend à (presque) toutes les petites sociétés commerciales — c'est à dire celles qui ne dépassent pas deux des trois seuils suivants : chiffre d'affaires de 8 million d'euros, total de bilan de 4 millions d'euros, 50 salariés — la dispense de rapport de gestion (nouvel article L 232-1 du code de commerce). Auparavant, seules les petites sociétés unipersonnelles que sont les EURL et les SASU pouvaient ne pas produire ce document à la condition d'avoir pour seul associé une personne physique qui assure personnellement la gérance ou la présidence de la société (ancien article L 232-1 du code de commerce). C'est donc là aussi une mesure qui peut sembler pro-entreprise pour certains en ce sens qu'elle peut permettre de simplifier le travail des entreprises et de préserver la confidentialité de certaines informations. C'est dans le même esprit que l'exécutif veut supprimer la présence obligatoire du commissaire aux comptes dans les petites sociétés. Ce texte a également supprimé la sanction spécifique encourue en cas de divulgation du taux de prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu (article 1753 bic C du CGI). Avant cette loi, il existait une sanction, spécifique donc, d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros (article 226-13 du code pénal) — à noter que cette sanction spécifique était à l'origine fixée à 5 ans d'emprisonnement et 300 000 euros d'amende (article 226-21 du code pénal) — sauf pour certains employeurs qui encouraient uniquement une amende de 10 000 euros. Cette sanction spécifique ayant été abrogée, la personne qui viole la confidentialité du taux du Pas encourt, selon le cas, l'une (article 226-13 du code pénal) ou l'autre (article 226-21 du code pénal) de ces sanctions. Il est donc difficile de dire si cette mesure fait ou non l'affaire des entreprises.

 
Ludovic Arbelet

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