Pratiques restrictives de concurrence : conditions d'exercice de l'action du ministre de l'économie

11.09.2017

Gestion d'entreprise

La clause attributive de compétence à une juridiction étrangère est inopposable au ministre de l'économie agissant sur le fondement de l'article L. 442-6 du code de commerce.

L’arrêt rendu dans cette affaire par la cour d'appel de Paris, au sujet d'une plateforme de réservation hôtelière en ligne, affirme la compétence des juridictions françaises et juge que les clauses de parité et de disponibilité des chambres contestées par le ministre de l'économie sont interdites par les dispositions de l’article L. 442-6 du code de commerce.

En l’espèce, plusieurs sociétés de droit étranger actives dans le secteur de la réservation hôtelière en ligne avaient été assignées par le ministre de l’économie devant le tribunal de commerce sur le fondement de l’article L. 442-6 du code de commerce. Le ministre soutenait que les clauses de parité et de disponibilité des chambres insérées dans les contrats conclus par ces sociétés avec des exploitants d’hôtels situés sur le territoire français violaient l’interdiction d’exiger de son partenaire qu’il lui consente les mêmes avantages qu’à ses concurrents (C. com., art. L. 442-6, II, d)) et créaient un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties (C. com., art. L. 442-6-I, 2°). Les sociétés assignées soulevaient l’incompétence du tribunal de commerce en raison d’une clause des contrats concernés attribuant compétence aux juridictions anglaises, et prétendaient que le ministre devait, en conséquence, se pourvoir devant ces juridictions.

La compétence du juge français

La cour d’appel fonde la compétence du juge français :

- d’une part, sur l’inopposabilité au ministre de la clause attributive de compétence aux juridictions anglaises ;

- d’autre part, sur la disposition de l’article 5-3 du Règlement Bruxelles I relative au caractère délictuel de la procédure engagée par le ministre.

Une action autonome en faveur de la protection du fonctionnement du marché et de la concurrence

Selon la cour, l’inopposabilité, au ministre, de la clause attributive de compétence, tient à l’autonomie de son action en la matière. Elle observe, en effet, que l’article L. 442-6 du code de commerce réserve au ministère public, au ministre chargé de l'économie et au président de l’Autorité de la concurrence, la faculté de saisir les juridictions compétentes désignées par l'article D. 442-3 du code de commerce, aux fins d'obtenir la cessation de pratiques illicites et l'application d'amendes civiles aux opérateurs économiques contrevenants. L'action attribuée à ces autorités publiques dans le cadre de leur mission de gardiens de l'ordre public économique vise à la protection du fonctionnement du marché et de la concurrence, et non à celle des intérêts immédiats des contractants lésés. Il s’agit d’une action autonome dont l'exercice n'est pas soumis à l'accord des victimes des pratiques restrictives, ni à leur mise en cause devant le juge saisi, mais seulement à leur information préalable.

La cour ajoute que le fait que l'autorité poursuivant la cessation des pratiques illicites puisse également faire constater la nullité des clauses ou contrats et demander la répétition de l'indu, n'est pas de nature à modifier le caractère de cette action qui est distincte par son objet de défense de l'intérêt général, de celle que la victime peut elle-même engager pour la sauvegarde de ses droits propres et la réparation de son préjudice personnel.

L'action attribuée au ministre au titre d'une mission de gardien de l'ordre public économique pour protéger le fonctionnement du marché et de la concurrence est donc bien une action autonome dont la connaissance est réservée aux juridictions étatiques au regard de sa nature et de son objet.

Le ministre n'agissant ni comme partie au contrat, ni sur le fondement de celui-ci, la clause des contrats attribuant compétence aux juridictions anglaises est manifestement inopposable au ministre et inapplicable en l’espèce. La cour en conclut qu’il convient alors d’appliquer les règles de compétence du Règlement Bruxelles I.

Une compétence spéciale selon la nature contractuelle ou délictuelle du comportement

Aucun des défendeurs signataires des contrats concernés en l’espèce n’ayant son siège en France, la compétence des juridictions françaises ne peut reposer sur la règle générale énoncée à l’article 2, paragraphe 1, du Règlement Bruxelles I, selon laquelle les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites devant les juridictions de cet État. Pour la cour, cette compétence doit être déterminée en application de l’article 5 de ce règlement qui prévoit des compétences spéciales selon que le comportement en cause relève de la matière contractuelle ou délictuelle : en vertu dudit règlement, un comportement relève de la matière contractuelle s’il peut être considéré comme un manquement aux obligations contractuelles, telles qu’elles peuvent être déterminées compte tenu de l’objet du contrat. Les juges observent, qu’au regard du règlement, ce qui n’est pas contractuel est délictuel et que toute demande visant à mettre en jeu la responsabilité d’un défendeur et ne se rattachant pas à la « matière contractuelle » au sens de l’article 5, point 1, sous a), de ce règlement, relève nécessairement de la « matière délictuelle » (CUE, 13 mars 2014, Brogsitter, C-548/12).

Tout en relevant que les pratiques restrictives de concurrence visées à l’article L. 442-6 du code de commerce sont généralement constatées à l’occasion de relations commerciales fondées sur un contrat, la cour considère qu’à travers l’exécution du contrat, c’est le comportement d’un opérateur économique constitutif d’une pratique injustifiée au regard du jeu normal de la concurrence qui est sanctionnée par l’action ouverte au ministre. L’action autonome de ce dernier aux fins de cessation de ces pratiques et d’annulation des contrats qui en sont le support revêt la nature d’une action en responsabilité quasi délictuelle (Cass. com., 18 oct. 2011, n° 10-28.005). Il ne s’agit pas d’une action indemnitaire fondée sur un manquement aux obligations du contrat, mais d’une action publique fondée sur le comportement fautif d’une partie à la relation commerciale consistant à violer une disposition légale en imposant à l’autre partie des clauses frappées de nullité. Il s’en suit que le comportement reproché à ces parties ne peut être considéré comme un manquement aux obligations contractuelles déterminées par l’objet du contrat, mais comme la violation de règles d’ordre public.

L’objet de la procédure engagée par le ministre en l’espèce ne relève donc pas de la matière contractuelle. En conséquence, le litige en cause relève de la « matière délictuelle », et l’article 5-3 du règlement est applicable puisqu’il prévoit qu’« une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite, dans un autre État membre en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire ».

Sachant que le lieu du fait dommageable peut être le lieu de l’événement causal ou le lieu de la survenance du dommage (CJCE, 30 novembre 1976, Mines de potasse d’Alsace, 21/76), et que les sociétés signataires des contrats en cause, victimes des pratiques attaquées, exploitent des hôtels situés sur le territoire français, la cour en conclut que le lieu de survenance du dommage est la France, et que les juridictions françaises sont donc compétentes.

La nature des clauses de disponilbilité et de parité

Les juges du fond jugent les clauses de parité et de disponibilité des chambres visées en l’espèce, interdites par l’article L. 442-6 du code de commerce.

Le bénéfice automatique de conditions plus favorables

L’article L. 442-6, II, d) du code de commerce dispose que sont nuls les clauses ou contrats prévoyant pour un producteur, un commerçant, un industriel ou une personne immatriculée au répertoire des métiers, la possibilité de bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant. Cette disposition interdit à l’entreprise en cause d’exiger de son partenaire qu’il lui consente les mêmes avantages qu’à ses concurrents, et concerne toutes les conditions, tarifaires ou non tarifaires.

La clause de parité contestée en l’espèce impose à l’hôtelier de faire bénéficier automatiquement les sociétés de réservation hôtelière cocontractantes des conditions au moins aussi favorables, parfois plus favorables, que celles accordées par le biais de tous tiers concurrents ou par l’hôtelier lui-même sur son propre site ou dans le cadre de la vente directe de ses nuitées.

La cour juge cette clause contraire à l’article 442-6, II d) précité, mais seulement en tant qu’elle vise l’alignement sur les meilleurs conditions consenties aux concurrents tiers, et non sur celles pratiquées par les canaux de distribution de l’hôtelier lui-même, à savoir vente en ligne ou vente directe, ni lorsqu’elle oblige l’hôtelier à garantir au cocontractant des conditions plus favorables que celles octroyées aux concurrents de ce dernier.

La clause de disponibilité des chambres prévoit que, quel que soit le nombre de chambres disponibles à la vente, l’hôtelier doit réserver au cocontractant la dernière chambre disponible sur son site, et parfois lui garantir le même nombre et type de chambres que celui disponible sur tout autre canal. Cette clause oblige l’hôtelier à une garantie d’alignement sur les meilleures conditions en termes de disponibilité de chambres et l’oblige aussi à garantir qu’il ne pourra faire bénéficier ses propres clients de conditions plus favorables. Selon la cour, elle est contraire à l’article 442-6, II, d) sous les mêmes réserves d’interprétation que la clause de parité.

Le déséquilibre significatif

L’article L. 442-6, I, 2°) du code de commerce interdit de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

Au regard de cet article,  la cour constate :

- d’une part que les sociétés contractantes étaient en mesure de soumettre ou de tenter de soumettre les hôteliers à des obligations déséquilibrées, parce qu’elles appartiennent à un groupe occupant le deuxième rang mondial de la réservation hôtelière en ligne ;

- d’autre part que les clauses de parité et de disponibilité des chambres créent un avantage tarifaire et concurrentiel au profit de ces sociétés entièrement pris en charge par les hôteliers sans que celles-ci ne prennent aucun risque.

Elle en conclut que ces clauses créent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et qu’elle sont donc sont contraires à l’article L. 442-6, I, 2°) du code de commerce.

Max Vague, Docteur en droit, Maître de conférence des universités, Avocat

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