Professions réglementées : l’ambiguïté du gouvernement

Professions réglementées : l’ambiguïté du gouvernement

07.06.2018

Gestion d'entreprise

L'exécutif veut améliorer la compétitivité des entreprises en luttant contre les surtranspositions qu'il juge injustifiées. Est-ce à dire qu'il songe à mettre de nombreuses professions réglementées dans le jeu concurrentiel comme l'y invitent régulièrement la Commission européenne ou le fonds monétaire international ? Le mystère demeure.

Edouard Philippe n’échappe pas à cette question qui est posée à tout Premier ministre : compte-t-il ouvrir — davantage diront certains — les professions réglementées à la concurrence ? Cette interrogation provient de ceux qui considèrent qu'une telle libéralisation améliorerait l'économie française. Elle trouve aussi ses racines dans la volonté du chef du gouvernement de relancer le sujet via les réformes des cheminots et des commissaires aux comptes et plus généralement de lutter contre les surtranspositions inutiles. La réforme de l'audit légal des comptes est probablement symptomatique de l'ambiguïté de l'exécutif sur ce dossier. Celle-ci a pour objectif "d’alléger les obligations pesant sur les petites entreprises et de faciliter leur développement", précise PDF iconun communiqué de presse de Bruno Le Maire et de Nicole Belloubet. Or, le levier envisagé n'aborde qu'une partie du sujet. Il repose sur un relèvement des seuils d'intervention du commissaire aux comptes "au niveau prévu par le droit européen", soit 8 millions d’euros de chiffre d’affaires, 4 millions d’euros de bilan et 50 salariés, a précisé Bruno Le Maire au micro de BFM TV.

Chasse partielle aux surtranspositions

Cela revient à dire que le gouvernement n’envisage pas de relever ces seuils aux niveaux permis par le droit européen, soit 12 millions d’euros de chiffre d’affaires et 6 millions d’euros de bilan. D'autre part il n’est pas prévu de retirer d’autres spécificités françaises liées au commissariat aux comptes : ni la suppression de la révélation des faits délictueux, ni celle du déclenchement de la procédure d’alerte ni celle du co-commissariat aux comptes pour certaines entités ne sont au programme. De ce point de vue-là, l'argument de la surtransposition est critiquable.

Cette réforme, qui n’est pas surprenante, renvoie notamment aux premières orientations du projet Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises). "Les entreprises sont pénalisées par des normes plus sévères que celles qui prévalent dans les pays voisins, déclaraient, fin 2017, Sophie Errante, députée de Loire-Atlantique, et Sylvain Orebi, PDG de Orientis, qui ont travaillé sur le projet. Plusieurs cas de surtranspositions de directives européennes ont été identifiés, notamment dans les domaines comptable et environnemental", illustraient-ils.

Quid de l'ensemble des professions réglementées ?

Alors, qu’en est-il des autres domaines dans lesquels existent des surtranspositions — ce qui est notamment le cas des nombreuses professions réglementées en France pour lesquelles l’Union européenne n'exige rien d'autre que d'assurer la liberté de circulation des services et des capitaux sous-jacents ? Nous n’en savons aujourd’hui pas davantage même si un proche conseiller d’Emmanuel Macron avançait récemment qu’il n’y aurait pas de changement majeur via ce projet. Selon lui, "le Pacte n’est pas un texte dont la philosophie est fondée sur un grand soir des professions réglementées et une ouverture transversale qui irait au-delà de ce que le président de la République avait porté quand il était ministre". Président de l’Unapl, Michel Chassang reste toutefois vigilant. "J'ai l’impression que le gouvernement n’a pas abandonné du tout l’idée d’enlever des barrières qu’il juge injustifiées à propos des professions libérales et indépendantes. Exemple : il souhaite supprimer le stage préalable à l’installation des artisans", argumente-t-il.

Etat des lieux

La position du gouvernement sur ce sujet est d’autant plus intrigante qu’il a déposé en janvier — et fait adopter par l'Assemblée nationale —  un amendement destiné à se commander à lui-même un état des lieux des surtranspositions inutiles ou injustifiées de directives européennes ! Concrètement, l'exécutif devrait remettre au Parlement, avant le 1er juin 2019, un rapport qui identifie les adaptations nécessaires. Il invite d'ailleurs les différentes parties prenantes à lui faire part de leurs observations. Ce sujet a été étudié peu avant par la chambre basse sous la forme d'un rapport d'information. Elle y propose par exemple "d'identifier clairement et de justifier les surtranspositions dans les études d’impact des projets de loi ainsi que dans les fiches d’impact des projets d’actes réglementaires" et de "donner à chaque citoyen et chaque entreprise le droit d’interpeller les pouvoirs publics sur les surtranspositions en vigueur dans les textes réglementaires et législatifs". Un travail qui s'apparente au plan lancé en 2017 par la Commission européenne pour rendre les services davantage concurrentiels.

Manque de concurrence dans les services comptables ?

Récemment, la Commission européenne a recommandé à la France de "continuer à lever les barrières à la concurrence dans le secteur des services, y compris dans les services aux entreprises et les professions réglementées". Une position d’ailleurs reprise par le Conseil de l’Union européenne en juillet 2017. "La concurrence dans les services [en France] s’est améliorée dans un certain nombre de secteurs, mais certains secteurs importants sur le plan économique, tels que la comptabilité, l’architecture, les services à domicile, les services d’hébergement et de restauration, les services de taxi et de location de véhicules avec chauffeur, restent caractérisés par une faible concurrence et/ou des obstacles réglementaires. Des obstacles demeurent pour ces services, notamment des exigences réglementaires excessives, qui découragent l’entrée sur le marché ou limitent l’essor d’une concurrence effective". Mais dans son PDF iconprogramme national de réforme 2018 qu'il vient de communiquer, le gouvernement se "limite" à la réforme du secteur ferroviaire. Pas de trace explicite des commissaires aux comptes ni d'autres professions réglementées.

Critique du FMI sur le secteur des services

Il y a quelques jours, le fonds monétaire international ( FMI) a mis son grain de sel. Il demande à la France de "poursuivre les réformes complémentaires des marchés de produits et de services afin d’ouvrir le secteur des chemins de fer à la concurrence et de réduire la charge administrative des entreprises, tout en continuant de libéraliser les professions protégées". En 2014 déjà, le FMI encouragerait la France à ouvrir le secteur des services à la concurrence. Alors, Edouard Philippe va-t-il répondre à ces demandes ou s'arrêter aux cheminots et aux commissaires aux comptes ?

Ludovic Arbelet

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