Projet de loi « Collomb » : l'Assemblée renforce certains droits mais préserve la logique répressive

02.05.2018

Droit public

Malgré certains aménagements, les députés n'ont pas modifié l'équilibre du projet de loi « asile et immigration », qui reste axé sur l'accélération de la procédure d'asile et un renforcement de la surveillance en cas de procédure d'éloignement.

Au terme de huit jours de débats passionnés dans l'hémicycle, l'Assemblée nationale a adopté en première lecture un projet de loi « pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie » largement amendé, bien que de manière souvent symbolique et ne remettant en cause ni l'équilibre général ni la philosophie du texte présenté par le ministre de l'intérieur. Des amendements qui reflètent tant le malaise créé par le projet au sein de la majorité que l'injonction qui lui a été faite de se  porter solidaire du gouvernement.
 
Tour d’horizon des évolutions les plus importantes d’un projet toujours critiqué qui sera discuté au Sénat dans le courant du mois de mai.
Une plus grande prise en compte de la vulnérabilité
Les députés ont d’abord eu à cœur d'obliger l'administration, dans l'ensemble des procédures (au stade du refus d'entrée, de la rétention, pour l'accès à l'hébergement des demandeurs d'asile ou des bénéficiaires d'une protection, etc.), à évaluer et prendre en considération la vulnérabilité des personnes. La prise en compte du handicap fait également son entrée dans la loi, aussi bien à l'occasion des entretiens devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) qu'en cas de placement en rétention.
Remarque : derrière une disposition a priori humanitaire, c'est bien le placement des personnes handicapées qui s'en trouve ainsi légalement légitimé. Rappelons à ce titre que la directive « Accueil », qui prévoit de nombreuses dispositions relatives aux personnes vulnérables (Dir. 2013/33/UE, 26 juin 2013, art. 21 et s.), n'exclut pas cette possibilité.
Des mesures de surveillance tempérées mais confortées
Aux termes des débats, en cas d'assignation à résidence, l'astreinte à domicile a été limitée à trois heures par tranche de vingt-quatre heures, sans préjudice des dispositions spécifiques aux étrangers expulsés ou frappés d'une interdiction du territoire français.
 
Par ailleurs, la rétention pourra désormais être prononcée pour une durée de quatre-vingt dix jours, avec l'aval du juge des libertés et de la détention (JLD) qui interviendra à quatre reprises au cours de cette durée. Soit une durée diminuée de quarante-cinq jours par rapport au projet de loi initial, mais qui reste augmentée de quarante-cinq jours au regard de la durée actuelle.
 
Alors que, modifiant l'article L. 552-6 du Ceseda, le projet initial prévoit de porter à dix heures le délai d'appel suspensif des ordonnances du JLD, avec des droits afférents (droit de contacter un tiers, un avocat et bénéficier d'un examen médical), les députés ont précisé, à la fin de l'article L. 552-10, que ces droits étaient garantis « durant cette période », sans toutefois préciser de quelle période il s'agit (celle du maintien à disposition à la demande du parquet ou celle résultant de l'ordonnance du premier président ?).
Remarque : dans tous les cas, cette insertion est redondante, les droits reconnus l'étant aussi bien au titre de l'article L. 552-6, au cours de la durée du maintien à disposition dans l'attente de la décision du parquetier, qu'au titre de l'article L. 551-2 si le premier président fait droit à cette demande puisque, par la force des choses, l'intéressé est en rétention.
Le projet de loi amendé précise par ailleurs que le registre du centre de rétention est désormais dématérialisé et que les conditions d'accessibilité « universelle » des lieux de rétention seront précisées par décret.
Des innovations en matière de séjour et d’intégration
Soufflé par l’association « Emmaüs », un amendement a été adopté afin que les personnes hébergées par des organismes d'accueil communautaires et d'activités solidaires durant trois ans puissent être régularisées de plein droit si elles ont le soutien de leur structure.
 
Par ailleurs, en cas de refus d'inscription scolaire opposé à un mineur étranger par le maire, le directeur académique peut provisoirement passer outre et saisir le préfet afin qu'il ordonne son inscription. En outre, l'autorisation de travail devrait désormais être délivrée de plein droit au mineur isolé pris en charge par l'aide sociale à l’enfance (Ase) dès lors qu’il justifie d'un contrat d'apprentissage ou de professionnalisation.
Remarque : le projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif « et une intégration réussie » a également été renommé afin d’afficher la problématique de l’intégration qui n’était jusque-là que très peu apparente.
Des retouches pour les délits « de solidarité » et de soustraction à l’éloignement
Les députés ont également aménagé, à la marge, le délit dit « de solidarité » afin d'étendre l'exonération de responsabilité pénale à l'aide apportée par un acte d'accompagnement linguistique ou social ainsi qu'au transport des personnes directement lié aux motifs et aux modalités de l'aide apportée. Et, alors que la loi prévoit déjà que l'aide ne doit donner lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte, l'Assemblée ajoute qu'elle ne doit pas être apportée dans un but lucratif.
 
L'Assemblée a par ailleurs procédé à une retouche du délit de soustraction à l'exécution d'une mesure d'éloignement, précisant que la peine encourue serait désormais une amende de 3 750 euros lorsqu'un étranger se soustrait à l'exécution d'un refus d'entrée, d'une expulsion, d'une interdiction administrative du territoire, d'une mesure de reconduite à la frontière ou d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Ce comportement ne sera puni d'une peine d'emprisonnement que s'il est commis au cours de la seconde prolongation de la rétention.
Des amendements en demi-teinte sur la procédure d'asile
A l’occasion des débats, les députés ont retouché (pas toujours dans un sens libéral) un grand nombre de dispositions touchant à la procédure d'asile. Ils ont ainsi amendé le texte en :
 
- étendant la clause d'exclusion de la protection aux condamnations pour terrorisme prononcées dans un État tiers figurant sur une liste, fixée par décret en Conseil d’État, par laquelle « la France reconnaît les législations et juridictions pénales au vu de l’application du droit dans le cadre d’un régime démocratique et des circonstances politiques générales » ;
 
- intégrant la question des persécutions en raison de l'orientation sexuelle comme critère de définition du pays d'origine sûr, un pays ne pouvant figurer sur la liste de ces pays s’il ne « peut être démontré que, d'une manière générale et uniformément pour les hommes comme pour les femmes, quelle que soit leur orientation sexuelle, il n'y est jamais recouru à la persécution, ni à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » ;
 
- étendant la protection aux mineurs de sexe masculin exposés à des mutilations sexuelles de nature à altérer leur fonction reproductrice ;
 
- autorisant, lors de l'entretien devant l'Ofpra, la présence de représentant d'association de lutte contre les persécutions fondées sur le genre.
 
Concernant les modalités procédurales, les députés ont suivi la recommandation du Conseil d'État en précisant que le moyen de transmission des convocations ou des notifications de décisions prises par l'Ofpra (notamment par voie dématérialisée) devait garantir leur réception personnelle.
 
Par ailleurs, à l’issue des débats, un amendement (présenté comme une contrepartie du raccourcissement du délai de recours contre la décision de l’Ofpra), modifie l'article L. 731-2 du Ceseda. Ce dernier précise désormais que les recours déposés devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) doivent mentionner « l’objet de la demande et l’exposé sommaire des circonstances de fait et de droit invoquées à leur appui » et peuvent être complétés « par des mémoires, pièces et actes de procédure jusqu’à la clôture de l’instruction », ce qui pourrait être de nature à limiter les ordonnances de tri prévues au 5° de l'article R. 733-4 du Ceseda.
 
Enfin, dans le cadre des vidéo-audiences, les députés imposent l'obligation de présence de l'interprète dans la salle d'audience aux côtés du demandeur. Et, « en cas de difficulté pour obtenir le concours d’un interprète qualifié présent physiquement auprès du demandeur, l’audience ne se tient qu’après que la cour s’est assurée de la présence, dans la salle où elle siège, d’un tel interprète tout au long de son déroulement ».
Remarque : comme annoncé lors des débats de la loi du 20 mars 2018 « permettant une bonne application du régime d'asile européen », le délai de recours contre les décisions de transfert « Dublin » a été ramené à quinze jours. De la même façon, la durée de validité de l'ordonnance autorisant les visites domiciliaires dans le cadre des assignations à résidence revient à quatre jours alors que la loi du 20 mars 2018 l'avait fixé à six jours.
Quelques évolutions sur les conditions d'accueil des demandeurs d’asile
L'étranger qui ne dispose pas d’un hébergement stable et qui manifeste le souhait de déposer une demande d’asile peut être admis dans un des lieux d’hébergement avant l’enregistrement de sa demande d’asile. Les décisions d’admission et de sortie sont prises par l’Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) en tenant compte de la situation personnelle et familiale de l’étranger.
Remarque : cette disposition est à double tranchant. Si elle crée un droit opposable avant même l'enregistrement de la demande d'asile, elle donne également un fondement légal à l'exclusion des demandeurs du dispositif d'hébergement d'urgence de droit commun.
Mesure issue des propositions du rapport « Taché », le demandeur d'asile pourra désormais solliciter une autorisation de travail six mois après l'enregistrement de sa demande, contre neuf mois actuellement. Dans ce cadre, le silence de l'administration après un délai de deux mois suivant la demande vaudra acceptation.
Une simplification des démarches administratives pour les bénéficiaires d’une protection
Évolution également issue des propositions du rapport « Taché » afin d’accélérer l’ouverture des droits indispensables à l’intégration, le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire pourra, dans l’attente de la fixation définitive de son état civil par l’Ofpra, solliciter le bénéfice des droits qui lui sont ouverts en application du code du travail, du code de la sécurité sociale, du code de l’action sociale et des familles ou du code de la construction et de l’habitation, sur la base de la composition familiale prise en compte dans le cadre de la procédure d’asile.
Une discrète entrée des migrations climatiques dans la loi
A l'initiative des députés, le nouvel article 42 de la loi prévoit notamment que « l’État se fixe comme objectifs d’élaborer des orientations pour la prise en compte des migrations climatiques et de renforcer sa contribution aux travaux internationaux et européens sur ce thème. Le Gouvernement présente au Parlement, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, ces orientations et un plan d’actions associé ».

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Christophe Pouly, avocat
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