Projet de loi Sapin II : ce qu’il faut en retenir sur la lutte anticorruption (1/3)

Projet de loi Sapin II : ce qu’il faut en retenir sur la lutte anticorruption (1/3)

15.11.2016

Gestion d'entreprise

Dispositif pour protéger les lanceurs d'alerte, obligation d'assurer un programme de compliance, possibilité de conclure une transaction pénale pour échapper à une condamnation, et mise en place d'un super registre des lobbys. Telles sont les mesures anticorruption du projet de loi. Il devrait faire l'objet d'une saisine du Conseil constitutionnel par les parlementaires.

Le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a été définitivement adopté à l’Assemblée nationale le 8 novembre. Une fois promulgué, le texte sera à l’origine d’un arsenal de mesures en matière de lutte anticorruption. Retour sur les principales qui seront à respecter par les entreprises.

► Les sénateurs Les Républicains sont en cours de rédaction d’une saisine du Conseil constitutionnel sur certaines mesures du projet de loi.

La loi conduira notamment à la création de l’Agence française anticorruption (article 1 à 5 du projet de loi) placée sous l’autorité conjointe du ministère de la justice et de Bercy. Elle aura pour mission de prévenir et détecter des faits de corruption, trafic d’influence, concussion, prise illégale d’intérêt, détournement de fonds publics et favoritisme. Elle sera dirigée par le magistrat Charles Duchaine, nommé jeudi dernier par le garde des Sceaux et le ministre de l’Économie et des Finances au poste de préfigurateur de cette nouvelle agence. L’Agence sera créée par décret au plus tard début mars 2017. « Ses effectifs compteront 70 personnes environ et son budget annuel sera compris entre 10 et 15 millions d’euros », précise le dossier de presse publié par Bercy le 8 novembre.

Un statut pour le lanceur d’alerte (art. 6 et s.)

Pour assurer la lutte contre la corruption, le projet de loi Sapin II offre un statut aux lanceurs d'alerte. C’est la version du texte proposée par l’Assemblée nationale au mois d’octobre qui a été conservée en lecture définitive (voir notre article). L’article 6 précise ainsi qu’un lanceur d’alerte sera une personne physique. Il relèvera, de manière désintéressée et de bonne foi, et après en avoir eu personnellement connaissance :

  • un crime ou un délit,
  • une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement,
  • ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général.

La définition du lanceur d’alerte a suscité le débat entre les députés et les sénateurs. Tandis que certains observateurs estiment déjà qu’elle est trop restrictive (voir notre article). Le lanceur d’alerte répondant à la définition ci-dessus bénéficiera d’une immunité pénale toutefois conditionnée au fait que la divulgation du secret protégé par la loi, qu’il pourrait révéler, soit nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause et qu’elle intervient dans le respect des procédures de signalement définies par la loi (art. 7). Car le texte prévoit une procédure que les entreprises devront mettre en place pour assurer au lanceur d’alerte protection et remontée de sa révélation (art. 8 et s.). En tout état de cause : « Les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l’alerte défini par la loi », précise le texte.

L’obligation de la compliance (art. 17)

La lutte contre la corruption et le trafic d’influence passera également par l’obligation, imposée aux entreprises, de mettre en place un programme de compliance (article 17). En la matière, les députés sont aussi revenus à leur version du texte adoptée en nouvelle lecture (voir notre article). La mesure s’appliquera aux entreprises « employant au moins 500 salariés et dont le chiffre d’affaires ou le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 millions d’euros ». Concernant les groupes de sociétés « la société mère devra avoir son siège social en France » et remplir les deux autres critères - en chiffre d’affaires et en effectif - pour se voir imposer la mesure. Le texte s’adresse aux représentants de ces entreprises : présidents, directeurs généraux, gérants de sociétés, et dans certains cas membres du directoire des sociétés anonymes.

Elles devront assurer la mise en place d’un plan de conformité en leur sein. Il est décrit en 8 mesures : avoir un code de conduite (1), des procédures d’évaluation de la situation des clients, principaux fournisseurs et intermédiaires de l’entreprise (2), ainsi que des procédures de contrôles comptables (3), bénéficier d’un dispositif d’alerte interne (4), de formations des cadres et du personnel exposés aux risques (5), réaliser une cartographie des risques (6), introduire un régime disciplinaire (7) et un dispositif de contrôle et d’évaluation interne de l’ensemble de ces différentes mesures (8).

A défaut, les entreprises pourront se voir enjointes de mettre en place un tel programme ou de le compléter. La commission des sanctions de l’Agence française anticorruption pourra également sanctionner une entreprise pour ne pas avoir prévu de plan de conformité, l’amende pouvant atteindre 1 million d’euro pour une personne morale (200 000 € pour une personne physique). La sanction sera rendue publique.

L’entrée en vigueur de l��article relatif à la compliance est prévue 6 mois après la publication de la loi.

Une nouvelle peine liée à la compliance (art. 18)

Dans le cas où une entreprise serait déclarée coupable de corruption ou de trafic d’influence, elle pourrait, en plus de sa condamnation, se voir imposer la mise en place du plan de conformité définit ci-dessus (sauf dispositif de contrôle et d’évaluation interne). Le projet de loi définit les délits de corruption ou trafic d’influence pour lesquels une telle peine supplémentaire pourrait être encourue. La mise en place de la compliance se fera sous le contrôle de l’Agence française anticorruption, qui pourra l’exercer pendant 5 ans au maximum. Elle dressera un rapport - au moins annuel - de l’état d’avancement du plan. Et dans le cas où une entreprise ne procéderait pas à la mise en place du plan, elle pourra être à nouveau condamnée, l’amende pouvant s’élever au montant de celle déjà prononcée pour le délit de corruption ou de trafic d’influence et elle sera rendue publique.

Instaurer une transaction pénale (art. 22)

Le projet de loi devrait également instaurer une convention judiciaire d’intérêt public. Elle devrait permettre à des entreprises, avant qu’une procédure ne débute à leur encontre - ou en passe de se voir condamner - pour corruption, trafic d’influence, ou autres délits de blanchiment de fraude fiscale et infractions connexes, de transiger avec le procureur de la République. La transaction portera sur une amende - pouvant aller jusqu’à 30 % du chiffre d’affaires moyen de l’entreprise - à payer au Trésor et probablement sur un monitoring de leur entreprise sur 3 années maximum, assuré par l’Agence française anticorruption. Là encore, on retrouve les différentes mesures du plan de compliance qui devront être introduites au sein de l’entreprise au cours de cette période (voir paragraphe précédent). Si une convention judiciaire est conclue entre l’entreprise et l’autorité judiciaire, alors elle ne sera pas condamnée pour les délits dont elle aurait pu être déclarée responsable. La convention judiciaire devra toutefois être validée par le président du tribunal de grande instance après audience publique, durant laquelle la potentielle victime des faits reprochés à l’entreprise pourra être entendue. L’ordonnance du juge, la convention, et le montant de l’amende imposée à l’entreprise seront rendus publics. « L’exécution des obligations prévues par la convention éteint l’action publique. Elle ne fait cependant pas échec au droit des personnes ayant subi un préjudice du fait des manquements constatés, sauf l’État, de poursuivre la réparation de leur préjudice devant la juridiction civile », précise le texte.

Créer un large registre des lobbys (art. 25)

Enfin le texte cherche également à encadrer le lobbying. A ce titre, il prévoit - en l’état - la mise en place d’un large répertoire public sur les représentants d’intérêts. Le répertoire sera tenu par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Il dressera notamment la liste des personnes morales de droit privé (…) dont un dirigeant, un employé ou un membre a pour activité principale ou régulière d’influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d’une loi ou d’un acte réglementaire en entrant en communication » avec une liste de personnes identifiées (membre du gouvernement ou de cabinet ministériel, député, sénateur, collaborateur du Président de la République, personnel d’autorité administrative indépendante, etc.). A ces représentants, il leur sera demandé un certain nombre d’informations, que le registre contiendra, telles que l’identité des personnes chargées de la représentation d’intérêt en leur sein, les actions menées dans ce domaine (en précisant le montant des dépenses qui y sont liées), le nombre de personnes qui y sont dédiées ou encore les organisations professionnelles ou syndicales auxquelles elles appartiennent.

Sur ce thème également, les députés ont choisi de revenir à leur version du texte (voir notre article). Or l’absence de compromis sur la nécessite d’un registre unique et sur la définition du représentant d’intérêt avaient été à l’origine de l’échec de la CMP sur le projet de loi Sapin II mi-septembre (voir notre article). Ce point fera-t-il l’objet de la saisine des sénateurs ? Affaire à suivre.

Sophie Bridier

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