Quand le médecin met de côté le patient CMU

Quand le médecin met de côté le patient CMU

10.04.2017

Action sociale

Une étude du Défenseur des droits montre bien comment le corps médical - ou une partie - a fini par faire des patients bénéficiant de la CMU une catégorie homogène associée à des stigmates. Derrière se profilent des refus, souvent déguisés, de soins ou des soins de moindre qualité. Ou comment un statut protecteur peut être porteur de discriminations...

Ceux qui, sous le gouvernement Jospin (1997-2002), ont pensé les contours de la couverture maladie universelle (CMU) n'auraient sans doute pas imaginé que ses bénéficiaires, des années plus tard, pourraient être l'objet de discriminations. Il n'est pas rare, en effet, que ces personnes aient des difficultés pour obtenir un rendez-vous ou pour bénéficier de soins comparables à ceux du reste de la population.

Cinquante praticiens interrogés

Devant la massification de ces phénomènes, le Défenseur des droits (1) a eu la bonne idée de commanditer une étude qualitative avec des entretiens approfondis auprès d'une cinquantaine de praticiens (dont des chirurgiens-dentistes, souvent cités). L'objectif était de comprendre les représentations qu'ont ces médecins (qui rappelons-le, doivent soigner tout le monde sans distinction d'origine et de niveau socio-culturel) sur ces  bénéficiaires de la CMU que parfois ils discriminent.

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Les "CMU" associées aux pauvres

Indiscutablement, cette population présente certaines caractéristiques comme un état de santé plus dégradé et des difficultés plus fréquentes à prendre en charge ses problèmes médicaux. Pour autant, ces déterminants objectifs sont souvent renforcés par des (dis)qualifications qui renvoient à des représentations sociales. En clair, les "CMU" comme ces personnes sont souvent désignées, sont associées à la catégorie des "pauvres" et/ou des "précaires" avec tous les stigmates associés. "On dit les CMU comme on dit les obèses, les borgnes et machin, ce qui n'est pas très joli non plus", témoigne un pédiatre.

Loi santé du 26 janvier 2016

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"Les CMU sont devenues la bête noire"

D'année en année, les bénéficiaires de cette couverture sont devenus, pour une partie des professionnels, de véritables bêtes noires. "Avant, on parlait des gens en situation de pauvreté qui avaient l’aide médicale... On a commencé à parler d’une catégorie CMU. Pour la profession, les CMU sont devenues la bête noire. On a mis l’étiquette CMU, ils peuvent pas venir, ils nous laissent leurs prothèses et ils nous coûtent de l’argent", raconte un dentiste travaillant en centre de santé.

Assignation à résidence

L'étude explique bien que certains professionnels ont essentialisé les "CMU" comme s'ils faisaient partie d'un groupe homogène et que les problèmes de certains de ses membres étaient ceux de l'ensemble du groupe. Or, les bénéficiaires présentent des différences notables en matière de travail, de situation familiale et même de situation sanitaire. Comme l'explique l'étude, "la loi CMU a contribué à rendre visible sur le plan administratif la situation financière des individus et à réinviter dans le secteur ambulatoire des personnes qui en étaient exclues et le plus souvent prises en charge par les hôpitaux". En quelque sorte, le statut CMU a assigné à résidence des gens dans la catégorie "pauvres", voire "assistés".

"Est-ce que ce soin est vraiment nécessaire ?"

L'étude note qu'il existe une catégorie de professionnels aux antipodes de l'attitude des "discriminants". Eux ont compris la nécessité de s'intéresser à ces populations potentiellement plus fragiles et d'adapter leur démarche médicale. Leur priorité est parfois de "réconcilier ces personnes avec la médecine en établissant une relation interindividuelle". Ce qui, selon l'étude peut parfois poser problème : "La caractérisation de la situation sociale peut ainsi parfois entraîner un abaissement des normes de prises en charge pour des raisons pragmatiques." Illustration avec ce témoignage : "Chez quelqu’un qui est tout le temps débordé par sa vie, par tout ce qui se passe. Quelqu’un qui a mille problèmes. C’est du soin plus adapté. On va être plus sous contrainte. Je fais mieux, plus finement. Est-ce que ce soin est vraiment nécessaire ?"

 

(1) Le Défenseur des droits travaille sur un dossier concernant les refus de soins, suite à la mobilisation associative (lire notre article)

Noël Bouttier
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