Que devient le projet d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés ?

Que devient le projet d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés ?

29.03.2018

Gestion d'entreprise

La Commission européenne veut intégrer la présence numérique des sociétés dans la détermination de leur impôt sur les bénéfices. Cette orientation, largement soutenue par le Parlement européen, était pourtant exclue fin 2016 au moment de relancer le projet d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (Accis).

Le projet d’Accis est-il toujours �� l'agenda ou marginalisé ? La question se pose de plus en plus. La semaine dernière, la Commission européenne a proposé — via une nouvelle directive autonome — de prendre en compte la présence numérique de certaines sociétés dans la détermination de leur impôt sur les bénéfices. Précisément, l’exécutif européen considère que les Etats membres devraient pouvoir taxer les bénéfices des sociétés là où ils sont créés. Aujourd’hui, cet objectif peut se heurter à la nécessité que l’entreprise dispose d’un établissement stable lequel est lié à une présence physique telle qu’un bureau, une succursale ou un siège de direction. Une société résidente fiscalement à l’étranger peut vendre en ligne des vêtements à des consommateurs implantés en France sans pour autant qu'elle ne dispose d’installation fixe dans l’hexagone. Et dans ce cas, elle n’est probablement pas assujettie à l’impôt sur les sociétés en France.

Nouvelle orientation

Cette orientation manifeste un changement majeur. Fin 2016, la Commission européenne relançait le projet d’Accis — ce projet comprend en fait deux propositions de directives, l'une concernant PDF iconune assiette commune pour l’impôt sur les sociétés (Acis), qui devait être appliquée à compter du 1er janvier 2019, l'autre concernant PDF iconune assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, c’est l’Accis en tant que tel, qui devait être appliquée à compter du 1er janvier 2021. Mais à l’époque, il n’était pas question d’intégrer la présence numérique des sociétés dans la détermination de l’établissement stable, comme le montre l’article 5 de la proposition législative sur l'Acis (lire l’encadré ci-dessous). Autrement dit, les différents projets abordent différemment la base d'imposition des sociétés.

Comment la proposition de directive Accis définit l’établissement stable

La proposition de directive publiée fin 2016 par la Commission européenne définit l’établissement stable comme une présence physique du contribuable. L’article 5 précise que "un contribuable est considéré comme ayant un établissement stable dans un Etat membre autre que celui dans lequel il est résident fiscal lorsqu’il a dans cet autre Etat membre une installation fixe par l’intermédiaire de laquelle il exerce tout ou partie de son activité, y compris notamment :

(a) un siège de direction ;
(b) une succursale ;
(c) un bureau ;
(d) une usine ;
(e) un atelier ;
(f) une mine, un puits de pétrole ou de gaz, une carrière ou tout autre lieu d’extraction de ressources naturelles"

L’article 5 de cette proposition législative fournit d’autres repères qui caractérisent, ou non, l’établissement stable.

 

Sujet également comptable pour certains Etats

La différence va au-delà de la définition de l'établissement stable. La Commission européenne veut également mieux intégrer l’activité numérique dans la d��termination des bénéfices des sociétés par Etat membre — ce qui se justifie au plan de la cohérence. Pour ce faire, l’exécutif européen compte notamment sur la prise en compte des actifs numériques dont le contribuable serait propriétaire au sens économique. Il s’agit par exemple de la collecte et de la vente des données des internautes exploitées par les sociétés. C’est là aussi un changement majeur par rapport à la proposition de directive d’origine d'Accis qui exclut, en principe, toutes les immobilisations incorporelles, "en raison de leur caractère mobile et des risques de fraude" (voir notamment l'article 34). Au passage, on peut se demander comment une telle approche fiscale pourrait, dans les pays où il existe un lien étroit entre la fiscalité et la comptabilité — ce qui est le cas de la France —, se concilier avec la comptabilité laquelle a du mal à reconnaître les biens digitaux.

Un taux d’imposition effectif largement inférieur

Pourquoi la Commission européenne change-t-elle d’orientation à peine un an et demi après avoir relancé un projet — l'Accis — qui avait déjà échoué en 2011 ? Probablement parce que certains Etats membres craignent que le numérique ne leur fasse perdre une part du gâteau fiscal. La Commission européenne avance d’ailleurs la thèse selon laquelle le secteur digital serait de fait moins taxé que les autres. Une multinationale avec un modèle d'affaires numérique supporterait un taux effectif d'imposition de seulement 9,5 % contre 23,2 % pour une multinationale avec un modèle d'affaires traditionnel (voir PDF iconl'étude d'impact). Il y a aussi un mécontentement populaire européen qui semble se dégager. "67 % des répondants à une consultation publique ainsi que 15 sur 21 autorités fiscales nationales s’accordent sur le fait que les Etats ne sont pas capables de collecter les impôts sur la valeur que les entreprises du digital créent sur leur territoire", prétend la Commission européenne.

Vote tranché du Parlement européen

Ce sentiment populaire se retrouve au Parlement européen. A une très large majorité, les députés de l’Union européenne ont voté, le 15 mars dernier, en faveur tant de PDF iconl’Acis (451 voix pour, 141 contre et 59 abstentions) que de PDF iconl’Accis (438 voix pour, 145 contre et 69 abstentions) tout en demandant expressément que ces projets soient modifiés pour inclure la présence numérique des sociétés dans la définition de l’établissement stable. Comme le Parlement européen n’a qu’un rôle consultatif dans cette affaire, la balle est désormais dans le camp des Etats membres qui doivent s'accorder à l'unanimité. Or, "le Conseil [de l’Union européenne] n'a pas encore de position sur l'Accis car les discussions se poursuivent au niveau technique", résume son service de presse.

Sujet mondial

Optimiste, Philippe Arraou apprécie les deux nouvelles initiatives que la Commission européenne a mises sur la table la semaine dernière, celle établissant les règles d'imposition des sociétés ayant une présence numérique significative et celle de la création d’une taxe de 3 % sur le chiffre d’affaires numérique des grandes entreprises. "Il y a une vraie volonté de la Commission européenne de faire évoluer les choses et de rester sur l’approche d’obtenir une base commune avec l’Accis. La mesure transitoire [la taxe de 3 % sur le chiffre d’affaires des activités numériques] ne va pas accélérer le processus [de l’Accis] mais elle présente l’avantage de la simplicité et d’une mise en place immédiate", relève le président de la fédération européenne des conseillers fiscaux, l’Etaf (european taxe adviser federation). Ce nouveau cap pris par l’exécutif européen pose un autre défi. Pour pouvoir changer la définition de l’établissement stable aux fins de l’impôt sur les sociétés, l’Union européenne a, de fait, besoin aussi de soutiens en dehors de ses frontières. Un immense chantier en perspective.

Ludovic Arbelet

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