Que pensent les élus du personnel bordelais du programme social d'Alain Juppé ?

Que pensent les élus du personnel bordelais du programme social d'Alain Juppé ?

17.10.2016

Représentants du personnel

Le maire de Bordeaux, candidat à la primaire de la droite, souhaite relever le temps de travail hebdomadaire de 35h à 39h, limiter à deux le nombre de mandats successifs pour un élu du personnel, et plafonner à 50% du temps de travail le crédit d'heures pris par un élu pour son ou ses mandats. Qu'en pensent les élus du personnel de la région bordelaise ? Leurs réactions.

S'il n'est pas toujours très précis, le programme que présente le maire de Bordeaux en vue de la présidentielle de 2017, commence à se dessiner. Sur la base de son site internet et du comparateur des programmes publié par le Point, on peut dire que l'ancien Premier ministre et candidat à la primaire de la droite et du centre souhaite ainsi : 

  • limiter à deux le nombre de mandats successifs que pourrait occuper un élu du personnel;
  • limiter à 50% du temps de travail le temps passé par un élu du personnel pour son ou ses mandats;
  • faire cesser le détachement à temps plein de salariés (d'entreprise ou d'administrations) auprès d'organisations syndicales;
  • fusionner les instances représentatives du personnel, cette fusion devenant la règle sauf si un accord d'entreprise en décide autrement;
  • faire de l'accord d'entreprise la norme de droit commun de fixation des règles générale des relations du travail. L'accord d'entreprise pourrait fixer librement le cadre applicable, à l'exception des sujets relevant de l'ordre public;
  • permettre, en cas d'échec des négociations, au chef d'entreprise d'organiser un référendum auprès des salariés, référendum qui s'imposerait aux syndicats;
  • faciliter la signature d'accord dans les petites entreprises par des représentants élus par les salariés;
  • neutraliser les effets du franchissement des seuils sociaux pendant 5 ans pour les entreprises;
  • suppression des commissions paritaires régionales créées par la loi Rebsamen pour les TPE;
  • faire passer la durée légale du travail hebdomadaire de 35h à 39h (les 4 heures ne seraient pas majorées mais défiscalisées), les entreprises étant invitées à négocier sur le sujet (si la négociation sur le temps de travail n'aboutit pas, la loi permettrait à l'entreprise dans un délai de 2 ans de passer à la durée qu'elle souhaite);
  • supprimer le compte pénibilité et rouvrir ce chantier avec les partenaires sociaux;
  • inscrire les motifs de rupture d'un CDI dans le contrat du travail, le juge ne pouvant plus se prononcer sur le motif de la rupture mais sur sa seule matérialité des circonstances invoquées;
  • instaurer une dégressivité des allocations chômage;
  • demander aux partenaires sociaux de réformer les prud'hommes (et si pas d'accord sur le sujet, réforme imposée par l'Etat), etc.

Ce programme, bien peu d'élus du personnel de la région bordelaise interrogés vendredi 14 octobre au salonsCE de Bordeaux, dans un hangar du quai des Chartrons, en bord de Garonne, le connaissent. Et quand nous le leur présentons, les réactions sont parfois vives, toujours étonnées, souvent hostiles, parfois favorables mais rarement. "Eux, ils cumulent bien, non ? Ce sont tous les mêmes, ils veulent le pouvoir", s'exclame cette élue sans attendre la fin de notre question. Sa collègue tente de la calmer : "Mais monsieur ne défend pas Juppé !" plaisante Maryline Yssartier. Cette dernière est élue à l'hypermarché Leclerc de Sainte-Eulalie, à une dizaine de kilomètres de Bordeaux.

N'autoriser que 2 mandats successifs, c'est rendre plus difficile l'acquisition des compétences comme élu du personnel, mais aussi leur transmission 

Cumulant les mandats (DP, CE, DS CFDT, CHSCT), elle nous explique avoir 63 heures de délégation : "Je les prends, mais ça ne suffit pas toujours. Alors si on m'enlève les heures, je n'y arriverais plus, déjà qu'on n'a pas assez de liberté d'action dans l'entreprise pour aller voir les salariés". Limiter à deux le nombre de mandats successifs d’élus du personnel ? "S’ils font ça, nous n’aurons plus aucune personne pour se présenter aux élections professionnelles. Un mandat passe vite", réagit Olivier Tournier, secrétaire de la DUP d��Isocel, une PME informatique de 62 salariés à Pessac, tout près de Bordeaux. Ce dernier a l’impression que les candidats de la primaire de la droite et du centre "veulent casser les syndicats". Quant à Alain Juppé, c’est un bon maire, concède-t-il, mais "en tant que Président de la République, s’il cherche avant tout à durcir les lois sur le social, je ne serais pas d’accord ".  Une analyse partagée par Christophe Caillau, élu DUP et délégué syndical SUD d’Edea, une association du secteur médico-social de 250 salariés : "On a déjà du mal à trouver du monde pour les élections. Si on limite le nombre de mandats, ce sera plus difficile et en plus, on va perdre toutes les compétences qu’il faut du temps pour accumuler et transmettre". La proposition de Juppé visant à faciliter les ruptures du contrat de travail ? "Mais nous avons déjà trop de ruptures conventionnelles", soupire l’élu.

Limiter le nombre de mandats successifs permettrait un renouvellement des élus

Limiter à deux le nombre de mandats, cette élue CE et déléguée syndicale CFTC à Pôle emploi (4 000 salariés dans la région Nouvelle Aquitaine) y est au contraire favorable : "Cela permettrait de renouveler les élus et de ne pas voir des salariés passer leur vie comme délégué car l’investissement s’épuise au fil du temps. Limiter le temps occupé par un élu pour ses mandats à 50% me semble aussi une bonne chose car c’est bien d’avoir des élus qui gardent le contact avec le monde du travail". En revanche, inscrire les motifs de rupture dans le contrat de travail lui paraît une mauvaise idée : "Si c’est une façon de limiter le rôle des prud’hommes, non !"

Elue CE pour la Carsat, la caisse retraite de la région (900 salariés), Catherine, "jeune syndiquée CFE-CGC", se montre également favorable à une limitation du nombre de mandats successifs et du temps occupé par ces mandats : "Je suis plutôt d’accord avec cette proposition. Un bon élu ou délégué syndical est quelqu’un qui doit savoir ce qui se passe au travail, dans les services". L’élue se dit aussi en phase avec l’idée de référendum à l'initiative de l'employeur avancée par Alain Juppé car, dit-elle, cela peut permettre de dépasser "des situations bloquées parce que la CGT fait peur". Si cette élue dit avoir une bonne image d’Alain Juppé, "un bon maire", sa collègue Nathalie, syndiquée FO, est plus réservée : "Il y a un côté retour en arrière dans son programme, avec la remise en cause des 35 heures, qui ne me plaît pas".

Pire que la colère, il y a une indifférence à l'égard du discours des politiques. J'entends beaucoup de salariés dire qu'ils n'iront pas voter

Interrogé sur les propositions du candidat Juppé concernant les mandats d’élus du personnel, Erik Martin, élu CE, membre du CHSCT et  DS FO d’une PME de spiritueux de Charente de 65 salariés qui vient de passer en DUP élargie, se montre prudent : "Tout dépend de la taille des entreprises. Le problème, dans les PME, c’est qu’on trouve difficilement du monde pour les élections. Et nous, je peux vous dire qu’on est loin d’avoir 50% du temps occupé par nos mandats !"  Mais c’est peut-être ce dernier élu qui livre le ressenti finalement le plus inquiétant pour les futurs candidats à la présidentielle, qu’ils soient de droite, du centre ou du gauche : "Les gens sont en colère, ils considèrent que les promesses des politiques ne sont jamais tenues". Ce que confirme Nathalie, de la Carsat : "Ce n’est même plus de la colère mais de l’indifférence aux discours des politiques. J’entends beaucoup de salariés disant qu’ils n’iront pas voter ".

 

Nos précédents articles sur le même thème
  • Ce que les élus du personnel de Dijon disaient de François Rebsamen lorsque le maire de Dijon a été promu ministre du Travail (article du 3/4/2014);
  • Ce que les élus du personnel de Nantes disaient de leur ancien maire Jean-Marc Ayrault devenu Premier ministre (article du 24/3/2014);

►A lire par ailleurs : "IRP, le big bang de Bruno Lemaire" (article du 22/9/2016)

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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