Quels standards pour juger de la "suffisance" de la nouvelle évaluation environnementale des projets ?

Quels standards pour juger de la "suffisance" de la nouvelle évaluation environnementale des projets ?

29.09.2016

Environnement

L'évaluation environnementale des projets évolue. Pour l'avocat David Deharbe, avec les nouvelles exigences, "la question est de savoir comment le juge va ajuster son niveau d’exigence du sérieux de l’étude d’impact".

Le gouvernement a publié cet été au Journal officiel, deux textes qui engagent une réforme substantielle de l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes : d’une part, l’ordonnance n° 2016­-1058 du 3 août 2016 relative à  la modification des règles applicables à l’évaluation environnementale des projets, plans et programmes (voir notre article) et d’autre part, le décret  n° 2016­-1110 du 11 août 2016 relatif à la modification des règles applicables à l'évaluation environnementale des projets, plans etprogrammes (voir notre article).

 

La récente réforme de l’étude d’impact ne saurait être réduite à la question, certes essentielle, de son nouveau champ d’application, tout à la fois recentré selon une logique "intégrée" sur la notion de "projet (et non plus de procédure) et repensé, pour étendre les dispenses d’évaluations, en recourant plus largement à une soumission après analyse "au cas par cas".

► Sur ces aspects de la réforme lire l’analyse de notre confrère Sébastien Bécue, L'étude d'impact environnementale est réformée ! (Lexbase Hebdo édition publique n˚429 du 15 septembre 2016).

 

En initiant une définition renouvelée du contenu même de l’évaluation environnementale, couplée à une tentative d’organiser l’indépendance de l’autorité environnementale (voir notre article, ainsi que sur le blog du cabinet Green Law Avocats), le pouvoir réglementaire somme finalement le juge de repenser à son tour ses standards de jugement de la "suffisance d’impact".

Il est en effet acquis en jurisprudence administrative que l’autorisation de police délivrée sur la base d’une étude d’impact "insuffisante" encourt l’annulation juridictionnelle. Ainsi le juge, sans être formaliste, sanctionne traditionnellement les insuffisances substantielles, sur la base du principe de "proportionnalité" de l’étude. Mais au regard du principe de participation, il n’est pas non plus toujours possible de régulariser juridiquement les erreurs et omissions commises au stade de la conception du dossier de demande d'autorisation d'exploiter – soit de "danthoniser" le vice, pourrait-on dire (CE, 23 déc. 2011, n° 335033, GAJA, 20e éd., Dalloz, 2015, n° 114, p. 890). C'est ce que rappelle ce considérant de principe : "Considérant que les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une étude d'impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative" (CAA Marseille, 7ème chambre - formation à 3, 12/07/2016, n° 15MA00264, Inédit au recueil Lebon).  Autrement dit, le juge redeviendra formaliste dès qu’est méconnue la vocation informative de l’évaluation environnementale pour le public, au-delà de la seule capacité instructive de l’étude d’impact pour le préfet.

Or la question du niveau d’exigence du juge pour conclure au caractère substantiel des erreurs ou omissions de l’étude d’impact (vocation instructive du dossier pour l’autorité administrative), ou la méconnaissance de sa vocation informative pour le public, varie avec la perception que se fait le juge de l’importance des composantes réglementairement désormais redéfinies de l’étude d’impact.

Gageons que les composantes de l’étude d’impact ont bien été remaniées par l’article R. 122­5 du code de l’environnement, mais aussi ses articles L. 163­1 à L. 163­3 et R. 122­13.

Ainsi l’évaluation environnementale doit-elle désormais comporter :

  • des mesures compensatoires écologiques et leur suivi ;
  • un scénario de référence ainsi que la projection de situation environnementale du site en cas de non réalisation du projet ;
  • la nature et l’incidence des travaux éventuels de démolition ;
  • la vulnérabilité du projet au changement climatique ;
  • les incidences négatives notables attendues du projet sur l'environnement qui résultent de la vulnérabilité du projet à des risques d'accidents ou de catastrophes majeurs en rapport avec le projet concerné

 

Toute la question est maintenant de savoir comment le juge va ajuster son niveau d’exigence du sérieux de l’étude d’impact au regard de ces nouvelles exigences textuelles. Bien évidemment, les formations qui seront dispensées aux ingénieurs concepteurs d’études d’impact et à leurs donneurs d’ordre insistent d’abord sur la nécessité d’y satisfaire à la lettre. Mais qu’elles s’avèrent volontaires ou non, les omissions sont toujours possibles. Au demeurant, en dire trop lorsque ce n’est pas requis n’est pas non plus gage d’une participation informée et sincère du public…

On rappellera d’ailleurs que certaines omissions formelles pourront être facilement rattrapées par les autres pièces du dossier en cas de contentieux. Ainsi la seule production de l’étude de dangers, par son objet et en tant qu’elle a été soumise à enquête publique, permettra sans doute de compenser l’oubli du volet sur la vulnérabilité du projet à des risques d'accidents dans l’étude d’impact. De même, la vulnérabilité du projet au changement climatique n’a de raison d’être que si cette question se pose. Quant à l’omission d’une discussion de l’impact de travaux de démolition qui seraient, peu ou prou, les mêmes que ceux prévenus au titre de l’activité elle-même menée, voilà encore une erreur qui ne devrait pas être sanctionnée.

Mais s’agissant de la nouvelle définition des mesures compensatoires la sensibilité juridictionnelle risque d’être bien plus réelle.

Il n’est d’ailleurs pas certain que cette fiction rationnelle que doivent désormais imaginer les porteurs de projet soit considérée par le juge comme une information indispensable au public comme à l’administration ; l’avenir écologique d’un site demeure une situation virtuelle au-delà du seul projet étudié. 

Au contentieux, la présentation partielle – voire l’absence pure et simple – d’un scénario de référence, assorti d’une évolution de l’environnement si le projet ne se fait pas, suscitera de belles passent d’armes entre les plaideurs, quant aux vocations informatives et instructives de ce nouveau volet de l’étude. Il n’est d’ailleurs pas certain que cette fiction rationnelle que doivent désormais imaginer les porteurs de projet soit considérée par le juge comme une information indispensable au public comme à l’administration ; l’avenir écologique d’un site demeure une situation virtuelle au-delà du seul projet étudié.

Rappelons d’ailleurs qu'il a longtemps été jugé, aux visas de l’ancien R. 512-8, II, 3° du code de l’environnement que "des raisons pour lesquelles, notamment du point de vue des préoccupations d'environnement, parmi les solutions envisagées, le projet présenté a été retenu", le demandeur n'avait pas à faire état de contre-projets formulés par des tiers (CE, 17 juin 1983, Cne Montfort : Rec. CE 1983, p. 264 ; Rev. jur. env. 1984, p. 55, concl. Pinault) ; ni a fortiori, l'obligation d'envisager des implantations alternatives (CE, 11 déc. 1987, Assoc. pour la défense de l'environnement de Saint-Maurice, Saint-Germain et de Pontgouin : JurisData n° 1987-040805). Si bien d’ailleurs que les opérateurs savaient qu’ils devaient sur la base de cette jurisprudence décrire les impacts de leurs projets et taire les alternatives dont ils n’avaient pas rendu publique l’existence.

Bien évidemment les ajustements par le juge des standards de jugement de ces volets nouveaux de l’étude d’impact seront formulés a posteriori, dans les mois et les années qui viennent. Entre temps la prudence doit d’autant plus être de mise que l’ombre du défaut d’information du public, très difficilement régularisable, pèse sur les dossiers de demande.

Environnement

La mise en place d’une stratégie environnementale cohérente s’impose de plus en plus aux entreprises du fait de la complexité de la législation pour la protection de l’environnement et de la multiplicité des réformes. En effet, de nombreuses lois et réglementations ont récemment impacté les activités économiques (autorisation environnementale, concernant notamment les ICPE, loi de transition énergétique, loi biodiversité)

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