Qui sont les Français fragilisés par la e-administration ?

Qui sont les Français fragilisés par la e-administration ?

14.04.2017

Action sociale

La logique d’une administration 100 % digitale conduit de nombreux Français à frapper aux portes des services sociaux pour se faire aider. En livrant ses premiers résultats, l’enquête nationale Capacity sur les usages du numérique permet de mieux comprendre la complexité et les motivations de cette population.

Inquiétude dans les services sociaux : la dématérialisation des administrations et des services de l’État se traduit par un afflux à leurs guichets de personnes incapables d’accomplir des démarches en ligne. Selon les acteurs, le phénomène, observable depuis 2015, aurait commencé à se massifier au cours de l’année 2016 avec la bascule dans le numérique d’une trentaine de services courants, comme la déclaration trimestrielle au RSA, la prime d’activité de la CAF ou les demandes de logement social.

Si quelques études parvenaient à cerner les contours de cette population, la connaissance fine des groupes sociaux concernés et de leurs besoins spécifiques manquait encore pour l’édification de réponses globales. Un coin important du voile vient d’être levé avec la restitution, le 23 mars dernier, des premiers résultats de l’enquête nationale Capacity sur les usages numériques des Français, conduite par le groupement d’intérêt scientifique M@rsouin en partenariat avec l’Agence du numérique. Réalisée auprès d’un panel représentatif de 2 000 personnes, celle-ci a permis, via un questionnaire délivré en face à face au domicile, de recueillir l’opinion des Français en marge du numérique et d’en tirer un portrait-robot.

16 % de non-internautes

Première facette du portrait, celle des « non-internautes ». Cette population qui n’utilise jamais internet reste encore assez massive (16 % des Français). Elle se caractérise par son âge (62 % de plus de 65 ans) et par un niveau d’étude équivalent au primaire ou au collège dans la moitié des cas. Mais contrairement à l’image d’un public de laissés-pour-compte, la principale explication apportée par les non-internautes à leur distance par rapport au numérique tient à l’« absence d’intérêt ». Près de 65 % d’entre eux indiquent ainsi ne pas vouloir d’internet chez eux. La crainte de l’ordinateur n’est quant à elle évoquée que par 21 % des répondants, et les obstacles à l’appropriation du numérique, tels que le prix des équipements, le manque de temps ou le sentiment d’insécurité face au Net ne sont avancé que de manière marginale.

À entendre les non-internautes, il est très facile de se passer d’internet. Si 42 % d’entre eux reconnaissent que la dématérialisation des démarches administratives peut représenter un problème, 25 % seulement s’y sont déjà confrontés et, dans la majeure partie des cas, ont eu recours à quelqu’un d’autre pour faire la démarche à leur place. De même, près des deux tiers s’estiment plutôt plus heureux sans internet que s’ils étaient connectés. Cette perception peut parfois aller jusqu’à une attitude revendicative : plus d’un tiers déclare qu’il lui arrive d’être fier de ne pas utiliser internet. C’est chez les non-internautes les plus jeunes ou les plus diplômés que ces certitudes arrivent à s’émousser de façon marginale, avec environ 20 % qui avouent ressentir « un sentiment de honte ».

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14 % de Français « distants » du numérique

Autre facette identifiée par l’enquête Capacity : les « distants » du numérique. Ces derniers représentent 14 % des Français. Différents des non-internautes par leur connaissance des rudiments du fonctionnement d’un ordinateur, il leur arrive de surfer sur le Net tout en déclarant se sentir très mal à l’aise. Trois quarts d’entre eux n’imaginent pas faire leurs démarches administratives en ligne. Ils sont également nombreux à ne pas disposer d’une adresse mail (30 %) et un tiers environ n’accèdent à Internet que par un smartphone. Comme chez les non-internautes, il s’agit d’une population plutôt âgée (33 % ont plus de 65 ans et 39 % entre 50 et 64 ans) et au faible niveau d’étude. Outre la sur-représentation des retraités, cette catégorie concentre des personnes sans activité professionnelle, des ouvriers, ainsi que « des personnes déclarant avoir une vie très difficile avec leurs revenus actuels. »

Loi santé du 26 janvier 2016

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Dépasser la notion de fracture numérique

Pour autant, les responsables de l’enquête se refusent à évoquer l’existence d’une « fracture numérique » qui toucherait une partie de la population française. « Cette notion revient à couper la société en deux entre ceux qui seraient connectés et ceux qui ne le seraient pas, avec le risque de développer des politiques publiques tournées exclusivement vers l’accès aux équipements. Or, on s’aperçoit que la réalité est bien plus complexe », explique Margot Beauchamps, coordinatrice de l’enquête Capcity. Selon elle, les difficultés face au numérique et à l’internet concernent tout un chacun. « Mais plus on est fragile en termes de diplômes et de revenus, plus on rencontre de freins pour développer des usages personnels ».

C’est donc au dépassement de la seule réponse à l’accès aux droits qu’inviteraient ces résultats. « Il faut insuffler l’idée que le numérique peut représenter une opportunité dans le cadre du travail social pour aborder des enjeux plus larges, tels que l’accès à la culture ou la participation à la société », milite Margot Beauchamps.

Un contexte international

Prévue pour s’achever fin 2018, l’enquête Capacity vise plus globalement à mesurer la diversité des pratiques numériques des Français et les bénéfices qu’ils peuvent éventuellement en tirer au plan de la sociabilité, l’apprentissage, la consommation ou encore la participation politique. Après sa restitution, un certain nombre des indicateurs collectés seront comparés avec ceux d’autres pays, dans le cadre du World Internet Project, un projet international collaboratif de recherche associant des institutions de plus d’une trentaine de pays sur tous les continents.

 

Retrouvez nos précédents articles sur le défi des technologies de l'information et de la communication (TIC) dans le travail social :

Tous les articles de cette série sont rassemblés ici (lien à retrouver sur le site de tsa, dans la colonne de droite, rubrique "Dossiers").

Michel Paquet
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