A quoi tient le manque d’attractivité pour la profession comptable en cabinet ? (1°)

A quoi tient le manque d’attractivité pour la profession comptable en cabinet ? (1°)

06.12.2017

Gestion d'entreprise

Le manque d’attractivité pour la profession comptable en cabinet est plus ou moins communément admis. Mais quelles en sont les causes ? Voici le 1er volet de notre enquête : état des lieux.

Actuellement en phase de mutation, la profession comptable souffre d’un certain désamour. Qu’il s’agisse de devenir expert-comptable, commissaire aux comptes ou collaborateur de cabinet, les vocations peinent à se manifester. "La corrélation étroite entre la conjoncture économique et la croissance de l’activité dans les cabinets explique en partie les tensions sur l’emploi. Les cabinets d’expertise comptable ont du mal à recruter parce que les opportunités sont nombreuses et que les candidats en ont conscience", estime Jean-Luc Flabeau, président du syndicat ECF. Pour cet expert-comptable, cette situation est d’autant plus complexe que s’y ajoutent des éléments structurels. "Pour améliorer leur attractivité, les professionnels du chiffre doivent basculer d’une logique de prestataires de services à une logique d’entreprise de services développant du conseil", confirme Philippe Gattet, auteur d’une étude menée par Xerfi, qui atteste de la meilleure santé des cabinets dont l’activité est repartie à la hausse (+ 5 %) en 2016/2017. Mais passé ce constat, l’auteur s’inquiète : "l’embellie pourrait inciter les cabinets d’expertise comptable à privilégier la production comptable — et donc le court terme — au développement de l’activité — soit le long terme." Le risque étant de se lover dans le repli au lieu d’innover.

«Une semaine de l’attractivité»

Les cabinets d’expertise comptable et de commissariat aux comptes n’auraient pas bonne presse auprès des jeunes. D’ailleurs, les jeunes experts-comptables se présentent autrement. "Nous préférons parler d’entreprises dans le secteur de l’expertise comptable et de l’audit plutôt que d’employer le terme de cabinet", témoigne Yves Pascault, président du Club des jeunes experts-comptables et commissaires aux comptes (CJEC). C’est dire si le cabinet sent la naphtaline. Pour le président du CJEC, les experts-comptables sont des chefs d’entreprise à part entière, mais la profession ne le fait pas assez savoir. "L’attractivité de la profession pour les femmes fait partie de mes sujets", déclare de son côté Françoise Savés, présidente de l’association des femmes experts-comptables, remettant en cause la tendance à la féminisation.

La profession a du mal à attirer les talents. L’enquête «Perspective d’emploi dans la profession», initiée par la commission jeunes et attractivité de la CNCC (Compagnie nationale des commissaires aux comptes) pour analyser la dynamique de recrutement, corrobore ce constat. Elle met notamment en lumière le problème d’attractivité de la profession auprès des jeunes et son manque de visibilité. "Le projet de mise en place d’une semaine de l’attractivité en 2018 qui devrait être mené conjointement par la CNCC et l’Ordre des experts-comptables prouve que les instances de la profession en sont conscientes", affirme Yves Pascault, président du CJEC.

Une déperdition modérée ?

Pour autant, si désaffection il y a pour le travail en cabinet, il est toujours possible de débattre de son ampleur. Interrogé sur ce point, l’Ordre des experts-comptables préfère nuancer. "Il y a toujours eu un grand nombre de diplômés d'expertise comptable qui ont choisi d'exercer en entreprise, ou en cabinet, mais sans être inscrits à l'Ordre (environ 40% voire plus dans les années 2000. Il s'agissait majoritairement de femmes qui ont préféré une activité plus sédentaire)", estime Nicole Calvinhac, vice-présidente du Conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables. En outre, la vice-présidente du CSOEC fait remarquer qu’il existe "un décalage de deux années entre la date du diplôme et l’inscription à l’Ordre". Statistiquement, "il y aurait 750 inscrits pour 1000 à 1100 diplômés il y a 2 ans selon les chiffres de la caisse d'assurance vieillesse des experts-comptables et commissaires aux comptes, soit environ 70 % d’inscrits à l’Ordre. En conséquence la déperdition n'est plus que de 30% comparée au plus de 40 % il y a 15 ans", précise Nicole Calvinhac. Aussi, "on ne peut donc pas dire qu'il y a une érosion puisque le nombre d'inscrits à la CAVEC augmente : on est passé depuis quelques années de moins de 600 inscrits à 750 inscrits par an", affirme la vice-présidente dans son rôle. Côté collaborateurs, Nicole Calvinhac minimise — "je reçois tous les jours des CV de jeunes diplômés" — mais admet "des disparités régionales au niveau de la formation et d’un manque réel de spécialistes de la paie"…

A l’aune de sa mutation, la profession comptable nage en plein paradoxe. Pourvoyeuse d’emploi, elle devrait au contraire séduire et proposer aux candidats des missions à valeur ajoutée. "La transformation du métier en expert de l’entreprise est inévitable", insiste Philippe Gattet. Et c’est peut-être la clé.

 

Véronique Méot

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