Rapport Notat-Senard : ce que repenser l'entreprise veut dire

Rapport Notat-Senard : ce que repenser l'entreprise veut dire

26.03.2018

Gestion du personnel

Pierre Francoual, docteur en droit et chargé de cours à l'université Toulouse 1 Capitole, a soutenu une thèse sur "L'entreprise sociale". Dans cette chronique, il s'interroge sur la portée des mesures proposées par le rapport de Nicole Notat et de Jean-Dominique Senard et suggère d'étendre les discussions à la fonction et au contenu de la liberté d'entreprendre.

Rédigé à la demande de quatre ministres, le rapport remis par Nicole Notat et Jean-Dominique Senard le 9 mars constitue la première étape vers une évolution de la "définition de l’entreprise" en droit français, qu’Emmanuel Macron appelait de ses vœux en octobre dernier (1). Le Président n’en est pas à sa première incursion dans la matière : certaines versions préliminaires de son projet de loi ("pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques") porté en 2015 envisageaient une évolution du code civil, rapidement abandonnée. Dès 2010, un rapport produit aux côtés de Jacques Attali distillait des idées qui entrent en résonnance avec les discussions ouvertes aujourd’hui. En allant plus loin, il est possible de relier le débat actuel avec une passion française pour la réinvention de ce que sont les entreprises; les écrits de Bloch-Lainé (1962) et Sudreau (1975) étant restés les plus célèbres sur le sujet, tandis que les lois Auroux (1982) constituent la réalisation la plus tangible en la matière, fût-elle limitée au droit du travail.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
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Comment expliquer que ce projet, sorte de "serpent de mer" du droit français de l’entreprise, soit en passe aujourd’hui de trouver un aboutissement ? Le rapport Notat-Senard fait état de deux raisons principales.

L’actuel gouvernement a investi dans l’objet "entreprise", en façonnant son droit pour en faire le centre névralgique du droit du travail  

D’abord, le mouvement de "responsabilité sociale des entreprises" aurait atteint son stade de maturité, rendant indispensable sa généralisation au plan juridique. Ensuite, l’écart irait grandissant entre les engagements des entreprises et les attentes sociétales à leur égard d’une part, et l’état de notre droit d’autre part, qui n’a pas su ralentir le processus de financiarisation.

Pour autant, il est permis d’aller plus loin en remarquant aussi combien l’actuel gouvernement a investi dans l’objet "entreprise", en façonnant son droit pour en faire le centre névralgique du droit du travail. Les marges de manœuvre confiées au niveau de l’entreprise en termes de négociation collective de même que la mise en avant de "l’intérêt de l’entreprise" au fronton des accords de "performance collective" sont les traits les plus saillants de cette recherche d’une adhésion élargie à la figure de l’entreprise. Le projet de loi PACTE en préparation devrait placer les sujets de l’intéressement et de la participation dans cette même perspective. Dès lors, le souhait de fédérer autour de la figure de l’entreprise impliquait naturellement d’en réinterroger les contours et la définition, afin de justifier cet élan auquel chacun est appelé à se joindre, en éclairant ce que les entreprises peuvent apporter au "bien commun" ou, selon les termes finalement retenus par le rapport, à "l’intérêt collectif".

L’instrument tout trouvé pour un tel projet est le code civil, pour deux raisons aisément compréhensibles. Son éthique libérale, héritée du XIXe siècle, est perçue comme en décalage avec les enjeux sociétaux contemporains. Surtout, son rôle dans la fixation du droit commun des sociétés implique qu’il encadre le fonctionnement de la personne morale la plus couramment mobilisée par les entrepreneurs comme "vêtement juridique". La charge symbolique d’une rénovation de l’article 1833 n’est donc pas à sous-estimer. Il convient cependant de rester mesuré sur les termes proposés par le duo de rapporteurs. En proposant d’ajouter que "la société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité", le rapport ménage à l’évidence l’interlocuteur patronal (2) et la doctrine la plus prudente (3). Il prend en effet soin de ne pas ouvrir aux parties prenantes la possibilité d’engager des contentieux contre les dirigeants et les stratégies qu’ils mettent en œuvre, sur le fondement de leurs conséquences sociétales. Cette prérogative restant confiée aux associés (sauf hypothétique faute du dirigeant détachable de ses fonctions), l’activisme actionnarial continuerait d’être, au plan juridique, la méthode principale des parties prenantes souhaitant mettre en cause les choix opérés par les instances de gouvernance. L’obligation de moyens qui se dessine laisse de surcroît penser à une modulation en fonction de la taille des sociétés visées, les plus grandes étant déjà soumises à des obligations de reporting extra-financier, et pouvant supporter des procédures de reddition plus contraignantes et coûteuses que les PME. Stabilisées par l’ordonnance du 12 juillet 2017, les dispositions de l’article L. 225-102-1 du Code de commerce qui organise la "déclaration de performance extra-financière" pourraient servir de socle, tout en étant déclinées dans des versions allégées en dessous des seuils actuels, et transposées à des formes juridiques plus nombreuses.

L’aspect le plus notable de ce projet de renouvellement de l’article 1833 tient peut-être dans l’irruption d’un "intérêt propre" de la société, apparaissant en contrepoint des théories financières pour signaler que la naissance de la personne morale emporte l’existence d’un être juridique qui n’est pas réductible aux intérêts de ceux l’ont initié. Cette distinction entre un intérêt "social" et l’intérêt des associés réactive un inépuisable débat du droit des sociétés (4). Les dirigeants pourraient y gagner un fondement textuel en vue de réintroduire des stratégies de long terme, en arguant de la continuité de la personne morale face aux demandes parfois exagérément court-termistes de certains associés ou actionnaires.

Le rapport Notat-Senard pose la question des modes de régulation désormais utilisés par les législateurs pour faire évoluer les entreprises 

Le reste des propositions formulées tend dans le même sens, insistant sur des instances de gouvernance plus conscientes des enjeux extra-financiers : elles se verraient ainsi obligées de formuler la "raison d’être" de l’entreprise, et seraient ouvertes plus largement aux salariés. En parallèle, sont mises en avant les entreprises à mission, aux engagements plus contraignants, comme modèles de ce nouveau capitalisme responsabilisé. Sur ces deux points, il est difficile de présager des effets concrets qu’emporteraient les évolutions proposées. Quelle influence sur la stratégie des entreprises quand les administrateurs représentant les salariés seraient encore loin de compter pour ne serait-ce que le tiers des membres des conseils ? Quel succès escompter pour des entreprises à mission ouvertes à toutes les formes juridiques, quand le statut de société commerciale de l’ESS, principale forme hybride expérimentée à ce jour, n’a été adopté que par un peu plus de 200 personnes morales depuis son apparition en 2014 (5) ? Le changement du droit sur un mode mineur ne produira pas à lui seul le changement culturel qui permettrait l’avènement d’une gouvernance des entreprises plus démocratique, ou le recours plus fréquent à des formes juridiques tournées vers l’intérêt collectif.

Plus profondément, le rapport Notat-Senard pose la question des modes de régulation désormais utilisés par les législateurs pour faire évoluer les entreprises. Si l’approche choisie semble à première vue volontariste, elle s’inscrit dans l’imaginaire juridique d’entreprises autorégulées, souvent productrices de leurs propres normes à travers des accords collectifs ou, à une autre échelle, des engagements RSE extensibles dans leurs réseaux implantés de par le monde. Dans un tel contexte, le législateur a depuis longtemps organisé sa propre dépossession en renonçant à réglementer par la hard law. Il opte au contraire pour des formes de corégulation, comme en matière de devoir de vigilance, en fixant les contours d’un plan que les entreprises élaborent et utilisent ensuite dans une relative autonomie. Bien que touchant au code civil, la redéfinition de la société prend acte de ces changements : elle s’intéresse à l’essence des sociétés et des entreprises en espérant la reconnecter à un certain intérêt collectif, tout en admettant que le temps n’est plus à la normativité contraignante et détaillée. Les conséquences sont remarquables puisque les entreprises se voient chargées de concevoir leur propre rapport aux enjeux sociaux et environnementaux, qu’elles traduiront dans leur discours et dans leur production normative. Leur légitimité à dessiner les contours de cet intérêt collectif est ainsi reconnue, voire célébrée, étant entendu qu’elle peut participer aussi de leur compétitivité.

Une telle méthode laisse néanmoins de côté une lecture plus large de notre ordre juridique. Les entreprises apparaissent sources de nombreuses externalités, donc porteuses d’une responsabilité sociale, sociétale et environnementale ; mais cet impératif ne devrait-il pas irriguer l’ensemble de leur environnement juridique plutôt que de n’apparaître que dans leur définition ? Aborder le problème sous cet angle supposait d’envisager frontalement la question des fonctions de la liberté d’entreprendre. Si le système juridique français donne valeur constitutionnelle à ce principe et défend à ce titre les prérogatives confiées aux entrepreneurs, le Conseil constitutionnel est peu disert sur ce qui justifie cet ensemble de droits d’agir dans la sphère économique, ou sur les devoirs qui pourraient les accompagner. Une réflexion sur le sujet est pourtant nécessaire. Elle permettrait de saisir les pouvoirs à entrepreneuriaux en tous points de l’ordre juridique pour leur conférer, à côté de leur vocation économique naturelle, d’autres dimensions, par exemple au travers de la notion de développement durable ou d’un principe de participation réaffirmé. Contrairement au débat actuel, qui se concentre sur le fonctionnement des sociétés, une telle approche conduirait à envisager toutes les dimensions de ce que sont les entreprises. Elle contribuerait à assembler le puzzle complexe qui lie associés, dirigeants, personne morale ou encore employeur, tous porteurs d’une part de liberté d’entreprendre. Plus encore, cette démarche serait l’occasion d’aborder la problématique des réseaux, qu’ils prennent la forme de groupe liés par des liens capitalistiques, ou de chaînes de valeurs fondées sur la maîtrise de l’information et la dépendance économique ou organisationnelle. Ces ensembles réticulaires seraient plus utilement saisis en tant que déclinaisons sophistiquées de la liberté d’entreprendre, que sous l’angle de la gouvernance des personnes morales, prises individuellement. Leur encadrement juridique et la responsabilité qu’ils supposent, décisifs dans le contexte de globalisation, demeurent l’angle mort du rapport soumis au gouvernement, comme du projet de loi PACTE qui s’annonce à sa suite.

 

(1) Interview donnée au journal télévisé de 20h de TF1 le 15 octobre 2017.

(2) Les communiqués de presse de l’Afep et du Medef dénotent la compréhension dont les deux organisations font état face aux propositions du rapport.

(3) En particulier : D. Schmidt, "La société et l’entreprise", Recueil Dalloz, 2017, p. 2380.

(4) En témoigne par exemple : A. Pirovano, « La boussole » de la société. Intérêt commun, intérêt social, intérêt de l’entreprise ? », Recueil Dalloz, 1997, p. 189.

[5] Observatoire national de l’ESS, "Les sociétés commerciales de l’économie sociale et solidaire : premiers éléments d’analyse", 2017.

Pierre Francoual
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