Rayonnements ionisants : les députés inquiets du suivi médical des travailleurs du nucléaire

Rayonnements ionisants : les députés inquiets du suivi médical des travailleurs du nucléaire

02.11.2016

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La loi transition énergétique touchait au code du travail. Le législateur voulait que les travailleurs, notamment les sous-traitants, voient un médecin référent unique, tout au long de leur carrière. Ceci a-t-il été discrètement gommé par une ordonnance ?

La loi transition énergétique, au fil des débats sur le nucléaire, avait pensé aux travailleurs : qu'ils soient sous-traitants, travailleurs indépendants ou salariés de la filière, le législateur – via plusieurs amendements allant dans le même sens, des députés, mais aussi des sénateurs et du gouvernement – voulait qu'ils puissent être suivis par un médecin-référent unique tout au long de leur carrière (voir notre article). Pour cela, l'article L. 4451-2 du code du travail avait été modifié, renvoyant à un décret le soin de définir des "modalités de suivi médical spécifiques et adaptées".

Disparition inaperçue ?

Une fois la loi promulguée en août 2015, une ordonnance est venue, en février 2016, améliorer l'encadrement des activités nucléaires, notamment pour limiter le recours à la sous-traitance (voir notre article). Mais cette ordonnance, "passée sur ce point inaperçue" ainsi que le souligne le député Jean-Paul Chanteguet (PS, Indre), a aussi fait "disparaître" le nouveau dispositif de surveillance médicale prévu, selon Jean-Paul Chanteguet, président de la commission d'information sur l'application de la loi transition énergétique, qui vient de présenter son rapport (voir notre article). Qu'en est-il ? Les modifications successives sont pour le moins biscornues.

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Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Ce que change l'ordonnance

L'article 41 de l'ordonnance remplace effectivement l'ensemble de l'article L. 4451-2 du code du travail par un dispositif autorisant le médecin du travail à communiquer au conseiller en matière de radioprotection "tous les éléments ou informations couvertes par le secret [médical] dès lors que leur transmission est limitée à ceux qui sont strictement nécessaires à l'exercice de ses missions". À sa suite, deux articles sont ajoutés. Le L. 4451-3 soumet au secret le conseiller en radioprotection pour les données communiquées par le médecin du travail. Le L. 4451-4 réintègre bien les "règles de prévention", "notamment les modalités de suivi médical spécifiques et adaptées pour les travailleurs exposés à des rayonnements ionisants", "en particulier pour les travailleurs mentionnés à l'article L. 4511-1, autrement dit les sous-traitants.

La dose

Les salariés d'une entreprise du nucléaire bénéficient déjà d'un suivi médical renforcé via le code du travail, même s'il n'est pas prévu qu'ils aient un médecin-référent unique tout au long de leur carrière, ce qui faciliterait la traçabilité de la dosimétrie. Le problème concerne surtout les sous-traitants. Ce sont bien souvent eux qui prennent "la dose" lorsqu'ils interviennent par exemple lors des arrêts de tranche, ce que la réalisatrice Rebecca Zlotowski donnait à voir en 2013 dans son film Grand Central, conseillée techniquement par un "décontamineur" (voir notre article).

Le "médecin référent unique"

"Le suivi médical des travailleurs extérieurs qui se déplacent de site en site dépend, sauf exception, du médecin du travail relevant de leur employeur, ce qui peut constituer un obstacle à un suivi efficace", écrivait le député Denis Baupin dans le rapport de la commission d'enquête sur les coûts de la filière nucléaire, en juin 2014. Inspirant ce qui allait présider à la rédaction initiale de l'article 125 de la loi transition énergétique, il proposait alors de "conforter l’action du médecin de l’employeur par le recours à un réseau de médecins du travail référents sur site nucléaire, chaque travailleur extérieur dépendant d’un médecin référent unique".

Ratification en attente

L'article 125 de la loi transition énergétique "correspond à une avancée souhaitable", répètent les députés dans le rapport de la mission d'information. Et si le dispositif introduit par l'ordonnance à la place, aux articles "peut être utile", "il n’a nullement vocation à remplacer celui [qui était] prévu". "Une avancée législative" serait "ainsi gommée par l'ordonnance" regrette Jean-Paul Chanteguet, président de la commission développement durable et de la mission d'information. Ce que supprime réellement l'ordonnance mériterait d'être précisé par les ministères de l'Environnement et du Travail. Mais même si l'inquiétude des députés était pleinement justifiée, la suppression reste encore suspendue à la ratification de l'ordonnance par le Parlement, pour être complètement actée et acquérir valeur de loi. Ségolène Royal a déposé un projet de loi de ratification au Sénat en avril dernier, mais le texte n'a pas avancé depuis. Les députés rapporteurs de la mission d'information avertissent le gouvernement : ils s’opposeront à la ratification de l'article 41 de l’ordonnance.

Au-delà du texte

"Au-delà du texte lui-même ce sont les pratiques qu’il convient sans doute de modifier : le rôle de l’inspection du travail est, de facto, tenu par l’ASN dans bien des cas", ajoutent-ils. Selon eux, la centrale de Paluel, exploitée par EDF en Seine-Maritime, emploie 1200 salariés et ne compte que 3 médecins du travail, "et, dans bien des cas, l’exposition à de faibles doses n’apparaîtra pas dans un dossier médical", s'inquiètent-ils, répétant la nécessité de la continuité du suivi médical, "par un dossier unique, pour chaque travailleur, alors que certains d’entre eux interviennent soit sur tout le territoire, soit successivement pour des prestataires différents au long de leur vie professionnelle".

"Ma zone contrôlée"

Difficile de connaître les chiffres exacts des travailleurs du nucléaire. En 2015, l'IRSN a assuré le suivi dosimétrique de 73 363 travailleurs ; un chiffre qui englobe une partie des prestataires externes. Selon l'association "Ma zone contrôlée", un collectif de salariés militants sous-traitants de l'industrie nucléaire, il y a en France environ 600 entreprises sous-traitantes, qui emploient près de 150 000 personnes. "Nous participons à la maintenance, à la production, à la distribution, aux traitements et conditionnement des déchets, à l’enrichissement et/ou la recherche", affirment-ils. Basée près du site du Tricastin, dans la Drôme, l'association milite depuis plusieurs années pour que tous les travailleurs du nucléaire aient "un statut unique". Ils voudraient aussi que la pénibilité de l'exposition aux rayonnements ionisants soit reconnue.

Pénibilité : toujours pas de rapport

Toujours à ce même article 125, la loi transition énergétique exigeait que le gouvernement remette au Parlement un rapport sur les modalités pour intégrer les "rayonnements ionisants subis, le cas échéant, par les travailleurs du secteur nucléaire" dans les facteurs de pénibilité. Considérer comme un facteur de pénibilité, "au titre d'un environnement physique agressif", l'exposition aux rayonnements ionisants, est un débat récurrent, avant même la mise en place du compte pénibilité. En 2014, la ministre de la Santé Marisol Touraine s'y était opposée (voir notre article), et le gouvernement ne semble pas disposé à remettre le sujet sur le tapis. Le rapport aurait dû être présenté au plus tard en février 2016. Pour la mission d'information de l'Assemblée nationale, cela relève de la compétence du ministère du Travail et "doit impérativement intervenir dans les meilleurs délais".

Élodie Touret
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