Reconnaissance du burn-out : et si on baissait le taux d'incapacité à 10% ?

Reconnaissance du burn-out : et si on baissait le taux d'incapacité à 10% ?

20.02.2017

HSE

Environ 60% des demandes de reconnaissance en maladie professionnelle d'un burn-out sont stoppées avant le CRRMP. Un taux d'IPP de 25% fait office de barrage filtrant. Gérard Sebaoun, député rapporteur d'une mission d'information, veut tester un taux abaissé. Il évacue en revanche la possibilité d'un nouveau tableau, qui semble pour l'instant impossible à créer.

"La perspective est tentante de faire de l’épuisement professionnel une maladie professionnelle inscrite à un tableau, ce qui ouvrirait la présomption d’imputabilité de la pathologie à l’activité professionnelle", écrit le député socialiste Gérard Sebaoun dans le rapport sur le burn-out qu'il a présenté mercredi 15 février 2017 en commission des affaires sociales, au bout de près de 8 mois de travail au sein de la mission d'information sur le syndrome d'épuisement professionnel (voir encadré). Une perspective "tentante", mais qui semble encore impossible, le cadre législatif actuel de la reconnaissance par tableau, comportant "trop de verrous", c'est-à-dire n'étant pas adapté. "La majorité des personnalités qualifiées auditionnées nous ont fait part de la difficulté à établir un tableau", explique Gérard Sebaoun. "Elles n'y étaient pas hostiles, mais nous ont expliqué ne pas savoir le faire." 

Trois colonnes impossibles à remplir

Que mettre dans les trois colonnes d'un éventuel tableau ? "Établir la liste des travaux serait impossible, la durée d'exposition n'aurait pas de sens", analysait Marine Jeantet, directrice des risques professionnels à la CnamTS, lors de son audition. En Île-de-France, Irène Bohn, médecin siégeant au CRRMP (comité régional de reconnaissance des maladies professionnnelles), a ainsi dénombré 87 professions différentes sur les 95 cas de pathologies psychiques reconnues. Et c'est sans compter sur la désignation même de la maladie, exigée par la première colonne du tableau. Le burn-out, "maladie du surengagement", est un syndrome – un ensemble de symptômes – qui "ne figure dans aucune des classifications actuelles des troubles mentaux", rappelle Gérard Sebaoun, reprenant pour la tentative de définition médicale, la position prise par l'Académie de médecine en 2016 (voir notre article). 

Abaisser le taux d'IPP à 10%

Pour ce "syndrome d'adaptation protéiforme, dont la symptomatologie change au fur et à mesure que les organisations changent", décrit Marie Pezé psychologue et psychanalyste, initiatrice de la première consultation "Souffrance au travail" au centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre, la mission privilégie donc la voie parallèle de la reconnaissance, au cas par cas devant les CRRMP.  Gérard Sebaoun suggère d'expérimenter, "pour une durée limitée", un changement majeur : abaisser le taux d'IPP (incapacité permanente partielle) à 10 %, alors qu'une IPP prévisible de 25 % est pour l'instant nécessaire pour que l'assurance-maladie transmette les demandes reçues au CRRMP. Lors des auditions, Michel Debout, professeur de médecine légale et de droit de la santé, a indiqué, écrit le rapport, "que le taux d'IPP reconnu pour les troubles psycho-anxiolytiques est généralement de 20 %". Cet abaissement du taux d'IPP est proposé de façon récurrente et depuis longtemps par plusieurs députés proches de Gérard Sebaoun. À commencer par celui qu'il soutient pour la présidentielle, Benoît Hamon, qui voudrait d'ailleurs complètement supprimer ce filtre (voir notre article). "Pourquoi 10 % ? On peut en discuter. D'abord parce que c'est nettement moins que 25 %", déclare Gérard Sebaoun. 

Surcharge des CRRMP

Sans répondre à ce problème, le député rapporteur n'ignore pas qu'"abaisser ou supprimer ce taux pour les seules maladies psychiques serait inéquitable", écrit-il dans son rapport. D'autant que, selon les chiffres de la CnamTS, les mailles du filet ne seraient peut-être pas aussi étroites : 40 % des demandes de reconnaissance pour les maladies psychiques sont transmises aux CRRMP, "c'est beaucoup plus que pour les autres pathologies, où on est plutôt à 10 %", indique Marine Jeantet. Gérard Sebaoun n'évacue pas non plus les difficultés logistiques que cela pourrait poser, et indique donc qu'il faudrait "améliorer considérablement les moyens des CRRMP", en allant jusqu'à "dédoubler les plus chargés". La directrice des risques professionnels ne peut pas chiffrer précisément les impacts d'un abaissement à 10 %, mais elle a fait le calcul avec un taux supprimé : "cela multiplierait par 10 le nombre de dossiers à examiner en CRRMP, soit environ 9 000 dossiers supplémentaires par an", avec "36 000 enquêtes de terrain en plus" pour les CPAM, avant même que le dossier arrive en CRRMP. Au final, "à moyen constants", on arriverait à environ 4 ans entre la demande initiale et la décision. 

Risque financier

Enlever le filtre du taux à l'entrée ne signifie pas pour autant le supprimer in fine. Obtenir la reconnaissance en maladie professionnelle n'est pas que symbolique, cela déclenche une indemnisation, sous la forme d'une indemnité en capital (si le taux définitif est inférieur à 10%) ou d'une rente calculée en fonction du taux d'incapacité et du salaire annuel antérieur. Celui qui est victime d'un burn-out, et est pris en charge en invalidité tout au long de son parcours de demande, peut ainsi, lorsque son burn-out est finalement reconnu comme maladie professionnelle, se retrouver en difficulté financière, avec une rente très faible, voire uniquement un petit pécule. Marie Pezé fait pourtant partie de ceux qui ont alerté la mission sur ce risque : "Ils ne savent pas que, s'ils sont reconnus et qu'ils ne récupèrent pas, qu'ils ne peuvent pas retourner au travail, il n'est plus possible de mettre en route l'invalidité 2e catégorie qui leur permettrait pourtant d'être à l'abri financièrement". 

Pourquoi cette mission d'information ?

Que cela soit lors de l'examen du projet de loi Rebsamen en 2015 ou lors de celui de la loi travail en 2016, des amendements proposant de créer un nouveau tableau de maladie professionnelle pour le burn-out, avec l'idée de faciliter ainsi sa reconnaissance, sont systématiquement revenus sur le tapis. La loi Rebsamen, promulguée en août 2015, et le décret de juin 2016 ont très légèrement modifié le processus de reconnaissance hors tableau, en CRRMP (voir notre article). Aucun nouvel apport en revanche dans la loi El Khomri, adoptée avec la responsabilité du gouvernement (article 49-3 de la Constitution). Dès mars 2016, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a décidé de créer cette mission d'information pour y voir plus clair. Aux manettes : Yves Censi, député LR (Aveyron) en tant que président, et Gérard Sebaoun, député PS (Val-d'Oise). Les premières auditions ont eu lieu l'été dernier.

 

La mission d'information était particulièrement attendue sur ces deux questions : faut-il faire un tableau de maladie professionnelle pour l'épuisement professionnel et faut-il abaisser ou supprimer le taux d'IPP. Mais le rapport, de plus d'une centaine de pages, fait plusieurs autres propositions, souvent davantage détaillées que celles concernant le tableau et le taux d'IPP. Elles plaident notamment pour une meilleure connaissance du syndrome d'épuisement professionnel, tant d'un point de vue médical qu'épidémiologique, et pour un renforcement de la prévention. Nous reviendrons sur ces autre aspects du rapport dans nos prochaines éditions.

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Élodie Touret
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