Représenter les autres : les réponses d'élus du personnel [7/7]

Représenter les autres : les réponses d'élus du personnel [7/7]

29.07.2016

Représentants du personnel

Quel sens donner à la représentation du personnel et quels doivent être ses buts ? Nous achevons aujourd'hui notre série d'été en donnant la parole aux représentants du personnel eux-mêmes. Vous retrouverez-vous dans leurs réponses ?

Les vifs débats suscités par la loi Travail autour de la négociation collective nous ont donné l'idée et l'envie de consacrer une série d'articles au sens que l'on peut donner à la représentation du personnel et aux objectifs qu'elle peut se fixer. Tout au long du mois de juillet, nous vous avons donc proposé six points de vue différents en donnant la parole à un économiste, un sociologue, deux chercheurs en science politique, une philosophe et un syndicaliste (lire notre encadré ci-dessous pour retrouver nos articles). Pour conclure cette série de réflexions, quoi de plus naturel que se tourner vers vous, les représentants du personnel ? Nous avons glané ces réponses en allant à la rencontre d'élus qui manifestaient contre le projet de loi Travail, mais en interrogeant aussi par téléphone d'autres représentants du personnel ne partageant pas forcément cette hostilité.

1. Que signifie représenter les autres ?

Pâris Bouttement, CFDT, secrétaire adjoint du CE de la Sacem (1400 salariés) : Quand je représente les salariés, je dois savoir les écouter mais aussi leur faire des propositions dans l'intérêt du plus grand nombre. Cela signifie donc être au contact des salariés mais aussi travailler les dossiers pour être capable de faire la synthèse de tous les arguments en présence, de façon à proposer des objectifs qui soient atteignables.

Paul, délégué syndical FO et membre CHSCT de l'APHP Paris : Cela signifie donner la parole à ceux qui ne savent pas ou qui n'osent pas s'exprimer. La tâche des élus du personnel est d'aller vers les autres, de les défendre, de les informer aussi bien sur leurs droits que sur le projet de l'entreprise.

Proposer aux salariés des objectifs atteignables

Xavier Lelasseux, DS CFDT, trésorier du CE PSA de la Garenne-Colombes : La lutte des classes n'existe plus en tant que telle. Mais il reste un état de soumission des salariés dans l'entreprise. Notre rôle est donc de permettre aux salariés de faire respecter leurs droits, autant qu'il est possible. Mais notre pouvoir est limité. Je suis chef de projet innovation. Quand je me suis engagé, je savais que cela limiterait ma carrière. Mais j'ai plus de satisfaction à défendre les salariés en difficulté qu'à déposer des brevets.

Hubert Cohen, DS FO Pôle emploi : C'est déjà avoir la confiance de ceux qui nous ont élus, les salariés ! L'élu est le porte-parole du syndicat, il porte les orientations du syndicat devant la direction. Cela signifie revendiquer et négocier, en signant des accords s'ils sont jugés bons. Cela veut dire aussi, parfois, contester : nous avons obtenu de la justice l'invalidation de l'accord de classification chez Pôle emploi qui ne nous satisfaisait pas.

Bernard Labreuil, CGT, président de la CMCAS des Yvelines (caisse mutuelle centralisée d'action sociale, qui gère les activités sociales des salariés de la branche des industries électriques et gazières) : Une organisation syndicale, normalement, ce sont des salariés qui se regroupent pour défendre collectivement leurs intérêts individuels. Pourquoi se regrouper ? Parce que les salariés sont dans une relation de subordination dans l'entreprise et que leur intérêt est différent de celui des patrons, dont l'objectif premier est de dégager une marge, y compris en rémunérant moins bien le personnel.

Nous représentons ceux qui ne peuvent pas prendre la parole

Mais nous traversons une période difficile avec une diminution de la présence syndicale dans les entreprises. Le travail des représentants du personnel et des responsables syndicaux, c'est aussi de représenter ceux qui ne peuvent pas prendre la parole, se syndiquer ou faire grève, par crainte des conséquences sur leur emploi ou leur évolution.

Xavier, DP et membre CHSCT d'une banque : C'est faire le lien entre la direction et les salariés. Le rôle des élus est de parler des problèmes, y compris quand certains salariés voudraient régler ça directement eux-mêmes. Il faut dénoncer des dangers. Au CHSCT, on a dû alerter plusieurs fois la direction pour obtenir que les imprimantes placées au bout du couloir et qui gênaient les portes de secours soient déplacées.

Jean-François Vial, DS Solidaires de Technicolor à Rennes (500 salariés) : Représenter les autres, c'est servir les salariés. Quand j'étais élu au CE, si nous n'avions pas eu derrière nous les salariés prêts à débrayer, je n'aurais eu aucun poids. Si les salariés ne bougent pas, on ne peut pas éviter des licenciements. Dans un CE, on peut juste obliger les entreprises à donner des informations et les relayer auprès des salariés. Mais on ne peut rien bloquer.

2. Est-ce le rôle des élus du personnel de négocier dans l'entreprise des normes sociales qui s'appliquent aux salariés ?

 

Pâris Bouttement, CFDT, secrétaire adjoint du CE de la Sacem : Oui. Il faut dire que la situation de notre entreprise est particulière : nous n'avions ni branche ni convention collective et donc nous avons dû tout négocier nous-mêmes, des 35 heures aux contrats génération en passant par le régime de retraite de l'entreprise. C'est très formateur, cela vous apprend à négocier.

Oui, il  faut faire confiance aux élus de terrain

Nous avons pris soin de nous faire conseiller, de nous entourer d'experts comme un actuaire payé par le CE pour la négociation sur le régime de retraite. Je pense donc qu'il faut faire confiance aux élus de terrain. Maintenant, par rapport à l'inquiétude suscitée par l'article 2 de la loi Travail, j'avais écrit à Laurent Berger (le secrétaire général de la CFDT) pour lui soumettre l'idée d'associer un représentant de la branche lors d'une négociation d'entreprise, quelqu'un dont le rôle serait d'observer, de conseiller.

Hubert Cohen, DS FO Pôle emploi : Non, il faut maintenir la hiérarchie des normes en ne signant que des accords favorables aux salariés, c'est à dire supérieurs à la convention collective et à la loi. Un représentant du personnel ne doit pas accepter le moins-disant social mais résister pour défendre les acquis. Pas question d'un code du travail pour chaque entreprise !

Xavier Lelasseux, DS CFDT, trésorier du CE PSA de la Garenne-Colombes : Le problème, c'est que le rapport de forces est défavorable aux syndicats. La menace liée à l'emploi fonctionne de plus en plus.

Le rapport de forces est défavorable aux salariés

Et au niveau local, nous avons très peu de moyens pour analyser la réalité de cette menace et pour décortiquer les projets d'une direction. Alors que les représentants du personnel sont censés rendre "un avis éclairé", nous avons trop peu d'élus, ils sont trop peu formés et ont trop peu de temps de délégation pour pouvoir rendre un avis véritablement "éclairé".  Il est donc crucial d'avoir des remparts au niveau de la branche et au niveau national.

Bernard Labreuil, CGT, président de la CMCAS des Yvelines : Moi qui suis détaché à plein temps, quand je vois la difficulté que j'ai parfois à y voir clair, pour suivre les dossiers et les sujets, pour me documenter, faire de la veille, je me dis que si on élargit le champ de la négociation en demandant à des délégués locaux, qui manquent de temps et de moyens, de négocier sur tous les sujets, tout va être tiré vers le bas. Les représentants du personnel se retrouvent d'ailleurs parfois face des directeurs qui souffrent aussi de devoir appliquer des politiques qu'ils désapprouvent, sans bien sûr pouvoir le dire. Toute cette logique représente même un risque pour la paix civile. Regardez ce qui s'est passé en Angleterre : c'est la politique d'austérité de Bruxelles qui explique le Brexit.

Xavier, DP et membre CHSCT d'une banque : C'est le rôle des délégués syndicaux mais le problème, c'est le chantage à l'emploi pour faire signer des accords.

Jean-François Vial, DS Solidaires de Technicolor : Oui, mais à condition que ces normes soient supérieures à la convention collective et au code du travail. Sinon, non ! Je considère que les représentants du personnel ne sont là que pour porter les revendications des salariés. Ils doivent négocier en vérifiant régulièrement auprès des salariés quel est le mandat qui leur est donné. Mais il se trouvera toujours des syndicats pour accepter de négocier à la baisse.

3. Quel contrôle démocratique les salariés, via leurs élus du personnel, vous semblent-ils pouvoir ou devoir exercer sur la gestion des entreprises ?

 

Pâris Bouttement, CFDT, secrétaire adjoint du CE de la Sacem : Ce contrôle devrait exister ! En Allemagne il y a une forme de cogestion alors qu'en France nous sommes à peine tolérés dans les conseils d'administration (CA). Certes, le CE est informé mais si le conseil d'administration décide de passer en force, vous ne pouvez pas grand chose.

Ce contrôle devrait exister !

Vous pouvez lancer une grève, vous pouvez essayer de peser en faisant remonter au CA les inquiétudes des salariés sur des erreurs de gestion ou de stratégie mais ce n'est pas évident. Regardez ce qui s'est passé avec la rémunération de certains dirigeants d'entreprise, que les actionnaires ont refusée et qu'ils ont quand même fait appliquer par leur conseil d'administration, d'où la décision du gouvernement de modifier la loi sur ce point.

Paul, DS FO à l'APHP : Oui, le CE exerce une forme de contrôle démocratique.

Hubert Cohen, DS FO Pôle emploi : Non, je ne suis pas favorable à la co-gestion

Xavier Lelasseux, DS CFDT, trésorier du CE PSA de la Garenne-Colombes : Ils devraient exercer ce contrôle, bien sûr, car si l'entreprise crée de la valeur, cela profite à tous, y compris aux salariés. Mais pour cela, il faudrait aller au-delà d'un simple avis donné par les représentants des salariés sur la gestion et la stratégie de l'entreprise car cela ne donne pas lieu à un véritable débat constructif. La loi devrait obliger la direction à étudier les propositions du CE.

Bernard Labreuil, CGT, président de la CMCAS des Yvelines : Les élus doivent pouvoir jouer ce rôle. Mais cela suppose d'avoir du temps pour le faire, et de se former pour être au niveau des directions.

Cela suppose d'avoir le temps pour décortiquer les chiffres

Quand vous devez faire l'étude d'un bilan social, c'est du boulot : il faut décortiquer les chiffres, les analyser, voir la situation de l'égalité F/H, lister ce qui ne va pas, etc. J'ai des mandats depuis 1986 et j'essaie à mon tour de transmettre ces compétences...

Jean-François Vial, DS Solidaires de Technicolor : C'est difficile de faire ce contrôle démocratique. Déjà qu'il faut batailler pour obtenir les informations auxquelles on a droit. Pour que cela change, le CE devrait avoir un droit de veto sur les licenciements.

4. Que signifie, 80 ans après le Front populaire, l'idée d'un accès à la culture pour tous ? Les CE jouent-ils ce rôle ?

 

Pâris Bouttement, CFDT, secrétaire adjoint du CE de la Sacem : Notre CE, qui est unique pour la France, propose de la billetterie pour les spectacles. Mais nous ne faisons pas que de la redistribution. Nous avons aussi une bibliothèque et une discothèque. Nous aimerions que les salariés soient plus actifs et nous allons les inciter via internet à échanger des conseils de lecture, des choix musicaux, etc. 

Hubert Cohen, DS FO Pôle emploi : Le CE doit en effet affirmer des valeurs, il a en quelque sorte un rôle politique, il ne doit pas se contenter de faire de la "chocolaterie".

Un CE ne doit pas faire que de la "chocolaterie"

Il doit avoir en matière culturelle une approche variée pour les salariés qui n'ont pas les moyens d'accéder aux loisirs culturels.

Xavier Lelasseux, DS CFDT, trésorier du CE PSA de la Garenne-Colombes : Oui, le rôle du CE est de permettre l'accès du plus grand nombre à la culture. Ce matin, notre CE a fait venir une conférencière du musée du Louvre qui nous a fait une conférence sur Picasso. Sur notre site de 2 200 salariés, nous n'étions que 40. Mais c'était une première, ça va aller crescendo.

Bernard Labreuil, CGT, président de la CMCAS des Yvelines : La culture, c'est le moyen de s'extraire de sa condition de travailleur condamné à produire. La culture doit rester un élément qui permet de s'émanciper alors qu'il est de plus en plus difficile d'échapper à la société marchande.

Oui, la culture permet de s'émanciper

Notre société de consommation produit des jeux télévisés où les individus sont mis en concurrence, un peu comme ce qui se joue dans une entreprise. Tout se passe comme si l'on voulait que chacun se conforme à cette société de compétition. C'est le contraire des valeurs portées par un syndicaliste.

Xavier, DP et membre CHSCT d'une banque : Notre CE interroge les salariés sur leurs souhaits d'activités mais les élus essaient de ne pas faire juste de la redistribution. Le comité propose par exemple aux salariés d'aller à l'Opéra Garnier et Bastille.

Jean-François Vial, DS Solidaires de Technicolor : Cette idée s'est bien perdue ! C'est vrai qu'il y a davantage d'accès à la culture pour davantage de monde, mais c'est une culture de masse, de la consommation qui donne l'illusion aux gens que cela leur suffit. En même temps, ce sont les salariés qui demandent aux CE ces réductions, ces offres. Le rôle des syndicats serait d'ouvrir un débat là-dessus mais c'est difficile, il y a une marchandisation complète des loisirs.PDF icon

 

Les analyses publiées ces dernières semaines

 

Ouvrir davantage la négociation d'entreprise pourrait relégitimer les délégués syndicaux
 

► Lire l'interview du 1er juillet, de l'économiste Bertrand Martinot

 

On s'engage dans un mandat pour dénoncer des conditions de travail mais aussi pour occuper une place singulière dans l'entreprise 

 

► Lire l'interview, parue le 8 juillet, du sociologue Arnaud Mias

 

 Le syndicalisme reste un des rares lieux de promotion sociale pour les personnes peu diplômées et d'origine étrangère
DR

 ►Lire l'interview du 13 juillet du chercheur Baptiste Giraud

 

Les choix d'activités sociales et culturelles ne dépendent pas seulement des moyens du CE
 DR

► Lire l'interview du 21 juillet de la chercheuse Sophie Béroud

 

 La culture, ce n'est pas la consommation
Catherine Hélie, pour les Editions Gallimard

► Lire l'interview du 25 juillet de la philosophe Cynthia Fleury

 

On ne représente pas les autres par hasard
 CFE-CGC / DR

 

► Lire l'interview du 27 juillet du président de la métallurgie CFE-CGC, Gabriel Artero

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

Découvrir tous les contenus liés
Bernard Domergue
Vous aimerez aussi