"Revenir sur les réformes sociales du quinquennat serait une grave erreur"

"Revenir sur les réformes sociales du quinquennat serait une grave erreur"

20.01.2017

Représentants du personnel

Spécialiste de la responsabilité sociétale des entreprises, Martin Richer estime que le prochain quinquennat devrait faire une pause législative afin de laisser les partenaires sociaux s'approprier et mettre en oeuvre les grandes lois du quinquennat Hollande, de la sécurisation de l'emploi à la loi Travail en passant par la loi Rebsamen. Le consultant regrette l'absence dans le débat politique d'une vision positive du travail. Interview.

Suite de notre série de points de vue à l'occasion de la présidentielle. La semaine dernière, la sociologue Danièle Linhart pointait les conséquences inquiétantes d'une organisation du travail qui accroît l'individualisme et la solitude des salariés. La chercheuse regrettait que ces questions soient absentes du débat politique. Aujourd'hui, nous donnons la parole à Martin Richer. Spécialiste de la responsabilité sociétale (RSE) des entreprises, activité de son cabinet Management & RSE, Martin Richer est aussi un observateur attentif du dialogue social en France, qu'il aborde dans son blog. Martin Richer est également engagé dans le cercle de réflexion Terra Nova, où il anime le pôle entreprises, travail et emploi. Il défend ici une approche stratégique du dialogue social consistant à renforcer la négociation confiée aux partenaires sociaux dans l'entreprise. Interview.

Le dialogue social à la française est un chef d'oeuvre en péril, dites-vous dans votre blog à propos d'une étude de la fondation de Dublin (lire notre encadré). Le dialogue social, qui a pourtant été un leitmotiv du quinquennat Hollande, se porte-t-il si mal en France ?

J'ai choisi ce titre, "chef d'oeuvre en péril", car la France est dans une situation paradoxale. Dans notre pays, les institutions représentatives du personnel (IRP) sont quand même relativement développées et anciennes, alors qu'en Europe, beaucoup de pays sont passés plus récemment à l'information-consultation des représentants du personnel à la suite de la directive européenne de 2002.

En France, un bon DRH n'est pas celui qui écoute les représentants du personnel mais celui qui respecte les délais et les procédures d'information-consultation

Et pourtant, quand on demande aux représentants du personnel, comme l'a fait la fondation de Dublin, s'ils pensent être en mesure d'influencer d'infléchir  les décisions de leur direction d'entreprise sur des points importants (fusions, restructurations, fermetures de site, introduction de technologies, etc.), ils sont seulement 27% à répondre favorablement à la question. La France est un des pays dans lequel le dialogue social a le moins d'impact. Plus je regarde comment cela fonctionne dans les entreprises, notamment dans les grandes, plus je trouve que le dialogue social à la française ressemble à une pièce de théâtre écrite d'avance où chacun joue son rôle. Bien sûr, il y a des escaliers dérobés, l'amant est caché dans le placard, il y a toujours des surprises, mais, quand même, on sait dès le départ comment le rituel va finir. En France, un bon DRH n'est pas un DRH qui écoute les représentants du personnel et qui est prêt à intégrer leurs remarques pour faire évoluer un projet, un bon DRH en France est un DRH qui respecte les délais et la procédure d'information-consultation et qui, une fois l'avis rendu, fait ce qu'il veut. Ce côté formel est extrêmement problématique.

Mais ce formalisme n'a-t-il pas été renforcé par les évolutions législatives récentes, avec les délais préfix par exemple ou le nouveau découpage des consultations prévu par la loi Rebsamen ?

Certes, il faudra du temps pour que ces changements soient pleinement intégrés par les acteurs sociaux. Mais je pense qu'ils vont dans la bonne direction. A mes yeux, il faut faire bouger le centre de gravité du dialogue social à la française en faveur d'une plus grande négociation, alors que dans notre pays, on "informationne-consulte" beaucoup ! La loi de sécurisation de l'emploi de 2013 va dans ce sens en mettant les plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) dans le champ de la négociation. C'est très positif. Ce changement a entraîné une réduction drastique de la judiciarisation des plans sociaux.

C'était le but recherché...

Oui, mais pas seulement. L'objectif était aussi d'aller vers une co-construction des PSE, de faire en sorte qu'il ne s'agisse pas de plans construits par la seule DRH et ensuite assénés au personnel, mais de plans enrichis par la négociation. Cela a quand même marché dans certains endroits. Pas partout, bien sûr. Mais je trouve positif d'aller vers un modèle de relations sociales qui fonctionne dans d'autres pays, je pense au modèle scandinave, au modèle allemand...La deuxième évolution vers laquelle il fallait aller, c'était la simplification. Si j'ai parlé de théâtre, c'est aussi parce que juridiquement, c'était parfois l'enfer, avec des questions comme : faut-il commencer par consulter d'abord les comités d'établissement ou le niveau central, d'abord le CHSCT ou le CE, etc. ? Le fait d'avoir rationalisé, avec la loi Rebsamen, les procédures de consultation et de négociation en trois temps, c'est là aussi un réel progrès, surtout pour les petites entreprises qui n'ont pas les moyens de rentrer dans un maquis composé d'une grosse quinzaine d'obligations d'information-consultation.

Mais la discussion sur les orientations stratégiques n'est pas entrée dans les moeurs !

En effet ! Il y a ici un jeu d'acteurs, mais des deux côtés d'ailleurs. J'ai pu observer que dans de nombreuses entreprises, on discute plus de la nature de l'information que de la signification de cette information et de ce qu'elle implique. L'idée de la base de données économiques et sociales est pourtant bien de susciter un débat aussi riche que possible sur la stratégie de l'entreprise et ses conséquences sur les métiers, l'emploi, les conditions de travail et la formation.

Pourquoi ces débats n'ont-ils pas lieu ?

Parce que nous sommes au début de l'application de ces nouveautés et que nous restons dans une atmosphère de méfiance. Du côté de la direction, on avance avec parcimonie en invoquant un problème de confidentialité tandis que côté syndicats, on souhaite surtout s'assurer qu'il n'y a pas de perte d'informations. Dans le patronat français, il y a depuis toujours une peur de partager des informations stratégiques, l'idée étant que si on accepte de les partager, on va rentrer dans une forme "malsaine" de cogestion et de risquer des fuites d'information. Alors que ce n'est pas le sujet. Côté syndical, la réticence vient de la peur de cautionner une stratégie et une politique d'entreprise. Il faudra encore trois à quatre ans pour que cette consultation trouve sa place. Mais c'est un enjeu déterminant car cette consultation constitue le socle pour un dialogue social de qualité sur toutes les autres thématiques.

En quoi discuter des orientations stratégiques vous paraît-il déterminant ?

Regardez l'étude de la fondation de Dublin. La France se situe dans la moyenne s'agissant de la qualité de l'information donnée aux représentants du personnel pour des éléments standard (comptes, finances, etc.).

Sur la qualité de l'information donnée aux élus du personnel, la France décroche

Mais lorsqu'il est question de l'information stratégique, de ce qui a trait aux nouveaux produits, aux technologies, à l'approche commerciale, la France est complètement décrochée ! C'est d'autant plus problématique que la fondation de Dublin montre que la qualité de l'information partagée est un facteur clé expliquant les différences de performances économiques entre les établissements. Autrement dit, un dialogue social productif est celui qui donne de la performance à l'entreprise et une bonne qualité de vie au travail pour les salariés. C'est un dialogue qui repose sur la confiance et sur une information partagée et discutée. Il faut que les acteurs acceptent de se mettre en risque, en entrant dans cette discussion. 

Il y a donc une sorte de gâchis social en France à ne pas engager ce débat ?

Il y a effectivement un gâchis. Du fait de ce côté théâtral, chacun reste sur ses positions et on recherche trop peu en France ce que la fondation de Dublin nomme les "win-win arrangements", ce que j'ai traduit par "solutions mutuellement gagnantes". Or cette approche permet d'apporter, par la négociation, du positif à l'entreprise (productivité, performance financière, etc.) comme aux salariés (amélioration des conditions de travail, perspectives professionnelles, etc.).  Le dialogue social doit apporter du progrès et ne doit pas se cantonner à de grandes déclarations de principe.

Que vous inspirent les débats de la présidentielle s'agissant du travail et du dialogue social ?

Depuis le début de la Ve République, quand un candidat réussit à s'emparer de la notion de travail, il fait la différence : je l'ai constaté en rédigeant pour le site Metis un article rétrospectif sur les campagnes présidentielles. Chirac l'a fait avec "La France d'en haut, la France d'en bas" puis Nicolas Sarkozy a gagné sur l'idée de "travailler plus pour gagner plus", etc. : on voit bien qu'auprès des Français, le travail fait résonance. Aujourd'hui, le travail est abordé dans la campagne mais uniquement sous un aspect quantitatif, au travers du temps de travail et du lien entre le travail et le revenu avec la notion de revenu universel. Une idée qui, soit dit en passant, met un peu à mal la notion de travail dans la mesure où il s'agirait, comme par exemple dans la proposition de Benoit Hamon, d'attribuer un revenu de base sans le rattacher à un travail. Ce lien entre revenu et travail est en revanche présent dans l'idée de revenu décent, une proposition de Terra Nova formulée par François Chérèque, qui vise à fusionner dix minimas sociaux, et qui a été reprise par Manuel Valls.

Vous êtes donc hostile à l'idée de revenu universel...

Oui, j'y suis opposé car les concepteurs de cette approche ont à mon sens oublié que le travail n'est pas seulement une source de revenus, mais aussi un mode d'insertion dans la société et un mode d'acquisition d'une fierté professionnelle. En encourageant les gens soit à quitter leur travail parce qu'il est envisagé sous le seul angle de la souffrance au travail, soit à ne pas en chercher ou à ne chercher que du travail de complément, on risque de les couper d'un mode d'insertion dans la société et de leur fierté professionnelle.

 La gauche ne produit plus de discours qui valorise le travail

Depuis la réduction du temps de travail, la gauche n'arrive plus à produire un discours , et des actes, qui permettent de valoriser le travail. Cette question relève pourtant de l'histoire de la gauche, alors que, schématiquement, la droite relève historiquement plutôt du patrimoine. Comment le travail peut-il redevenir un sujet de fierté, d'insertion sociale, d'épanouissement, ce sont des questions essentielles non abordées. Nous avons une gauche sociétale d'un côté, avec par exemple Benoit Hamon, et une gauche très libérale, symbolisée par le mot de Manuel Valls, "j'aime l'entreprise". Mais au milieu, cette gauche social-démocrate, ancrée dans le mouvement syndical, n'existe quasiment plus.

A droite, le programme présidentiel semble paradoxal : d'un côté, on cherche à affaiblir les syndicats en remettant en cause le monopole de présentation des candidats au premier tour des élections professionnelles, de l'autre, on souhaite accorder plus de poids à la négociation d'entreprise. Qu'en pensez-vous ?

C'est tout le paradoxe de la droite française. Ces deux positions sont incompatibles et intenables à terme. C'est un positionnement à très courte vue : on considère que les syndicats sont des empêcheurs de manager en rond ! Il y a en France, assez fortement ancré, ce modèle idéalisé de la relation directe entre le chef d'entreprise et les salariés, ce qui relève d'une vision bonapartiste. On sait ce que cela a donné dans l'histoire...

Qu'est-ce que cela a donné ?

Mussolini ! Il avait théorisé le rapport direct du chef aux citoyens. On retrouve un peu cette idée dans le modèle dit de "l'entreprise libérée" où l'on élimine le management intermédiaire et les DRH pour viser un dialogue direct entre le chef d'entreprise et les salariés.

Le pire qui puisse arriver à un dirigeant est de retrouver sans interlocuteur

Ce modèle n'est du reste en vogue qu'en France et en Belgique, deux pays où il y a cette culture historique du chef, de l'autorité, de la hiérarchie. Les enquêtes d'opinion l'attestent d'ailleurs : les Français attendent un chef, de l'autorité, et certains essaient de revendiquer cette posture, comme Manuel Valls lorsqu'il a, avec la loi Travail, recouru au 49.3, avec toutes les contradictions qui ont suivi...En matière sociale, cette approche consistant à dénigrer les corps intermédiaires est à mon avis erronée. Je vois des entreprises dans lesquelles le dialogue social devient un appui à la conduite du changement et non pas un obstacle. A l'inverse, le pire qui puisse arriver à un dirigeant est de se retrouver sans interlocuteur fiable. Les choses peuvent rapidement basculer : c'est la chemise arrachée du DRH d'Air France. La droite ne se rend pas compte, je crois, de l'impact de cette mesure (la remise en cause du monopole syndical au premier tour des élections professionnelles) qui paraît à première vue anecdotique et positive puisqu'il s'agit de liberté. 

En quoi la fin du monopole syndical de présentation des candidatures au premier tour des élections professionnelles vous paraît-elle dangereuse ?

C'est du populisme social ! Cela revient à dire que les syndicats n'ont pas la légitimité à représenter les salariés et donc que n'importe qui, dans l'entreprise, peut représenter ces salariés au même titre qu'un syndicat. C'est nier les spécificités du mouvement syndical, et occulter les progrès sociaux qui ont été accomplis depuis la seconde guerre mondiale. Imaginez si l'on étendait cette idée à la politique : tout le monde pourrait se présenter à l'élection présidentielle ! Or ces dernières années, c'est le contraire qui s'est produit. L'accès à l'élection devient de plus en plus compliqué : il faut passer par les primaires, réunir des signatures, des parrainages, etc. Les politiciens qui ferment l'accès aux élections voudraient en revanche ouvrir les élections professionnelles ! J'ajoute en outre qu'un salarié non syndiqué peut très bien se présenter au premier tour sur une liste syndicale, et que le deuxième tour est totalement ouvert.

A gauche, au contraire, ce qui frappe, c'est l'absence de propositions fortes en matière d'IRP et de dialogue social. Comment l'expliquez-vous ?

Je vois deux explications. D'abord, la loi Travail a créé de telles tensions que chacun préfère se tenir éloigné de ce type de sujets explosifs ou bien déclarer, comme Arnaud Montebourg, qu'il veut supprimer ce texte. Mais Arnaud Montebourg se rend-il compte qu'il abrogerait en même temps le droit à la déconnexion, le CPA, l'augmentation du crédit d'heures des délégués syndicaux, etc. ? La loi Travail va bien au-delà de la soi-disante inversion de la hiérarchie des normes qui, soit dit entre nous, a été initiée en 1982 par un remarquable ministre du Travail nommé Jean Auroux, un réactionnaire bien connu !  La deuxième explication, c'est que chacun a conscience que la matière sociale réclame du temps. Quand on voit ce qui a été accompli pendant le quinquennat de François Hollande, c'est considérable.

Défendez-vous le bilan de François Hollande ?

Oui, et je remarque que malheureusement, personne dans le champ politique ne défend ce bilan, alors que le travail effectué est considérable. De la loi de sécurisation de l'emploi (LSE) à la loi Travail en passant par la loi sur la formation, la loi Macron et la loi Rebsamen, les réformes qui ont été votées obéissent à une logique cohérente consistant à instiller plus de négociation dans les entreprises tout en accroissant le pouvoir de négociation des représentants du personnel.

L'approche stratégique du dialogue social n'a pas été digérée

Cela fait beaucoup de choses qu'il s'agit maintenant de digérer. La vaste majorité des DRH n'ont encore pas compris ce qu'est l'agenda social voulu par la loi Rebsamen, et qui consiste à organiser le déroulement du dialogue social pour l'année ou les deux ans qui viennent en disant : tel sujet sera abordé en CHSCT, tel autre en comité de groupe, en CE, etc. Cette approche stratégique du dialogue social n'est pas digérée. 

Sur le plan social, comment voyez-vous le prochain quinquennat ?

Quels que soient les résultats de l'élection, revenir en arrière sur les réformes que j'ai évoquées serait une grave erreur, tout comme enclencher de multiples changements. Nous avons maintenant besoin de stabilité et de laisser les acteurs s'emparer de ce qui a été fait. La loi Rebsamen et la loi Travail ont par exemple posé des principes sur les parcours syndicaux, sur le droit à retrouver un poste après avoir occupé un mandat, sur la valorisation des compétences des élus du personnel : il faut maintenant faire la pédagogie de ces nouveautés auprès des DRH pour qu'elles soient mis en oeuvre. Même chose pour les dispositions de la loi de sécurisation de l'emploi (LSE) qui encouragent la mobilité fonctionnelle et géographique : ces points ont été peu appliqués, car on n'est pas allés au bout de la mise en oeuvre en accompagnant les acteurs. Par exemple, votre entreprise ferme votre site et vous mute à 150 km de là. Mais si vous avez un logement social, prendrez-vous le risque de le quitter ? On devrait faire en sorte que vous soit attribué un nouveau logement social dans votre nouveau bassin d'emploi. Ces freins à la mobilité devraient être mieux identifiés et traités.

 Le plan de formation devrait faire l'objet d'une vraie négociation

Une innovation du prochain quinquennat pourrait être de prolonger l'évolution de l'information-consultation vers la négociation en obligeant les partenaires sociaux à négocier le plan de formation en entreprise. De façon plus générale, il serait bon de continuer à basculer les moyens d'expertise des IRP, qui dépendent de l'information-consultation, vers l'appui à la négociation, pour que les experts puissent aider les syndicats à préparer les négociations, quantifier les enjeux, identifier des scénarios, etc. 

Quid du paritarisme, largement remis en question dans le débat politique ?

Le paritarisme marche très bien dans certains domaines, comme l'Apec (association pour l'emploi des cadres). En matière d'assurance chômage, en revanche, le paritarisme pérennise un déficit extrêmement important, l'Etat assumant la garantie du remboursement de la dette accumulée. Il y a aussi une grande difficulté à réformer la formation professionnelle, malgré plusieurs lois successives sur le sujet, dans le sens d'une efficacité. Je comprends donc ces impatiences. Le politique devrait s'investir davantage dans l'assurance chômage et la formation pour poser un cadre exigeant afin de concilier de façon efficace démocratie sociale et démocratie politique. De là à dire qu'il faudrait supprimer le paritarisme, comme on l'entend parfois à droite ou dans l'entourage d'Emmanuel Macron, non, ce serait une très mauvaise idée. Cela déresponsabiliserait les organisations syndicales. Siéger à l'Apec ou à l'Unedic permet aux représentants syndicaux de se confronter aux enjeux de gestion, de s'interroger sur la façon de tenir compte des contraintes, etc. Cantonner les syndicats dans un rôle infantilisant de contestation, dans un pays où les syndicats n'ont gagné leur présence dans l'entreprise que depuis 1968, n'irait pas dans le bon sens. 

Le modèle de dialogue social que vous défendez ne consiste-t-il pas à professionnaliser les représentants du personnel tout en leur demandant de faire des concessions sur les droits des salariés dans la négociation collective ?

Considérant la faiblesse de notre croissance économique, il y a aujourd'hui moins de "grain à moudre", pour reprendre l'expression d'André Bergeron (Nldr : ancien secrétaire général de FO). Mais justement, c'est maintenant qu'il faut trouver, entreprise par entreprise, les bons compromis. Et je ne pense pas que cette négociation se fasse systématiquement à la baisse. Il y a des points où l'on perd et il y a des points où l'on gagne, cela s'appelle un compromis. L'accord de compétitivité de Renault est un bon exemple : si les syndicats n'avaient pas signé cet accord il y a plusieurs années, dans lequel ils acceptaient un gel des salaires et une plus grande flexibilité, un ou plusieurs sites industriels auraient sans doute fermé. Les syndicats ont obtenu un taux de charge qui a permis de pérenniser les sites. Quant à votre observation sur la professionnalisation des élus du personnel, je suis pour ma part favorable à la limitation (par exemple à 50%) du temps qu'un salarié peut consacrer à ses mandats, afin que le lien au travail "ordinaire" reste fort chez les représentants du personnel. On le voit bien dans les entreprises : les élus CE, CHSCT et les délégués syndicaux qui sont respectés sont ceux qui ont encore un pied fermement ancré dans le travail, en coopération avec leurs collègues.

Avec la centralisation des IRP, n'est-ce pas compliqué ?

Il faut transformer cette contrainte en opportunité pour confier davantage de responsabilités à des militants, ouvrir vers d'autres profils, prendre davantage de femmes, de jeunes...

Que pensez-vous de l'idée, au coeur du CPA (compte personnel d'activité), consistant à confier à l'individu la gestion de son parcours professionnel, de ses compétences, de sa formation ?

Cela ne pose pas de souci pour les plus agiles et les mieux formés : c'étaient déjà eux qui avaient utilisé le DIF, le droit à la formation. Mais pour les autres, il faut là aussi un accompagnement humain important. L'ouvrier non qualifié dans une PME n'a pas d'interlocuteur pour l'aider à penser son avenir professionnel. Le conseil en évolution professionnelle (CEP) devrait être le dispositif clé du CPA. Chez Terra Nova, nous avons par exemple proposé que les organisations syndicales, notamment dans les PME, puissent aider les salariés à faire le point sur leur situation professionnelle, ce qui suppose bien sûr de former les délégués syndicaux à ces questions. Si la problématique de l'accompagnement humain n'est pas mieux résolue, le CPA, malheureusement, restera une magnifique coquille, pleine de potentiel mais vide d'efficacité.

 

En France, un dialogue social peu satisfaisant selon la fondation de Dublin

La fondation de Dublin, organisme européen chargé de mener des recherches contribuant à l'amélioration des conditions de travail, a publié en décembre un rapport sur la qualité du dialogue social en Europe (disponible ici, mais seulement en  anglais). Ses résultats donnent une image peu reluisante de la France, pays qui se distingue en Europe, avec l'Italie et le Portugal, "par la pauvreté de la communication entre management et employés à propos de l'organisation du travail". Dans notre pays, l'information stratégique n'est véritablement délivrée que dans 47% des entreprises. Le taux de recours aux expertises n'est chez nous que de 19%, contre 85% en Allemagne. La formation au mandat est également plus faible en France : 16% contre 54% en Allemagne, 25% en Grande Bretagne. Si bien que seuls 27% des représentants du personnel estiment exercer une influence sur les changements structurels, contre 47% en Grande-Bretagne, 51% aux Pays-Bas, 45% en Allemagne. Pour Martin Richer, cette étude montre que "ni l'ampleur des moyens dévolus aux élus ni l'étendue des prérogatives octroyées au IRP par le droit du travail n'apparaissent comme des valeurs pertinentes pour expliquer la qualité du dialogue social". Les déterminants de la qualité du dialogue social sont plutôt à chercher dans le confiance des acteurs les uns vis à vis des autres, la transparence de l'information (ou la qualité de l'information partagée) mais aussi dans la co-détermination des décisions, une pratique très peu française. Bonne nouvelle cependant : la légitimité des élus du personnel français apparaît forte aux yeux des dirigeants. On n'est loin ici de penser à un certain gâchis social lorsqu'on lit dans le rapport que ce sont les établissements dans lesquels l'information donnée aux élus du personnel est de qualité qui dégagent une meilleure performance économique.

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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