RT 2012 : la déconstruction de l'édifice réglementaire

02.05.2018

Environnement

A l'heure où la prochaine réglementation thermique et environnementale - dont l'entrée en vigueur est prévue à l'horizon 2020 - est en cours d'élaboration, il est important de tirer toutes les leçons des écueils, certains diront des errements, rencontrés par la RT 2012.

Si la réglementation thermique 2012 ("RT 2012") était un bâtiment, il y a fort à parier qu’elle ne serait pas citée en exemple au prochain congrès annuel du bâtiment durable. Pourtant, les architectes de cet édifice réglementaire se voulaient très ambitieux en affichant un objectif de division par 4 des consommations d’énergie primaire par rapport à la RT 2005.

Environnement

La mise en place d’une stratégie environnementale cohérente s’impose de plus en plus aux entreprises du fait de la complexité de la législation pour la protection de l’environnement et de la multiplicité des réformes. En effet, de nombreuses lois et réglementations ont récemment impacté les activités économiques (autorisation environnementale, concernant notamment les ICPE, loi de transition énergétique, loi biodiversité)

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Les ajustements, dérogations et dispenses qui ont suivi l’entrée en vigueur de la RT 2012 ont, en effet, eu raison de ces ambitions. Ils ont constitué, si l’on file la métaphore, autant de désordres ayant affecté la solidité de l’ouvrage.

Il est important de tirer aujourd'hui toutes les leçons des écueils, certains diront des errements, rencontrés par la RT 2012.

1 – Les ajustements à la RT 2012

Sans prétendre à l’exhaustivité, revenons tout d’abord sur quelques ajustements, c’est-à-dire de légères adaptations, apportés par le gouvernement à la RT 2012.

Le premier ajustement opéré par l’État en 2014 concerne les cas d’extension de maisons individuelles (surélévation ou addition de bâtiments existants) d’une surface thermique (SRT) comprise strictement entre 50 m2 et 100 m2. Dans cette hypothèse, et depuis le 1er janvier 2015, il n’y a plus lieu de respecter les trois exigences de résultats imposées par la RT 2012 [pour mémoire, ces exigences sont calculées sur la base de 3 coefficients : Cep (consommation conventionnelle d’énergie primaire pour le chauffage, l’eau chaude sanitaire, la ventilation, l’éclairage et la climatisation), Bbio (niveau de performance de l’enveloppe du bâti, niveau d’isolation, traitement des ponts, besoin de chauffage,...) et Tic (température intérieure conventionnelle ; il vise à respecter un certain confort pendant la période estivale)] mais uniquement les exigences en matière de coefficient Bbiomax, d’éclairage naturel, d’ouverture des baies vitrées et de régulation du chauffage (Arr. 11 déc. 2014, art. 2, 7°).

Précision : il s'agit de l'arrêté relatif aux caractéristiques thermiques et aux exigences de performance énergétique applicables aux bâtiments nouveaux et aux parties nouvelles de bâtiment de petite surface et diverses simplifications.

Un deuxième ajustement a été apporté en 2014, qui concerne la surface totale des baies vitrées des logements suivants :

- logements collectifs construits dans des conditions qui ne permettent pas de disposer d’une surface conséquente (le plus souvent un bâtiment construit dans une "dent creuse") ;

- petits logements en résidences, notamment universitaires, pour lesquels la taille des pièces est incompatible avec l’installation de grandes surfaces vitrées en façade.

Pour ces logements, la surface totale des baies vitrées, qui doit en principe être supérieure à 1/6ème de la surface habitable, peut n’être supérieure ou égale qu’au tiers de la surface de façade disponible (Arr. 11 déc. 2014, art. 2, 4°).

Au-delà des simples ajustements, certains immeubles bénéficient de dérogations, provisoires ou non, à la RT 2012.

2 – Les dérogations à la RT 2012

Le pouvoir réglementaire a mis en place des régimes dérogatoires à la RT 2012, certains plus contestés que d’autres.

Première dérogation

La première dérogation accord��e devait être provisoire ; elle dure maintenant depuis plus de cinq ans et vient récemment d’être prolongée de deux ans. Elle concerne tous les logements collectifs neufs. Pour ces derniers, la RT 2012 devait initialement entrer en vigueur au 1er janvier 2015. Le gouvernement justifiait ce report par la nécessité de tenir compte d’une durée d’amortissement des travaux d’économies d’énergie plus longue que celles des maisons individuelles.

Précision : pour mémoire, la RT 2012 est entrée en vigueur pour tous les autres bâtiments neufs à usage d’habitation (sauf ceux construits en zone ANRU) au 1er janvier 2013.

Cette dérogation a ensuite été prorogée jusqu’au 31 décembre 2017. Le ministère du logement expliquait alors qu’"en logement collectif, dans les zones H1 et H2, il reste en effet toujours difficile d'atteindre le niveau de 50 kWh/ m2 par an, même avec des niveaux d'isolation poussés. Il y avait donc un risque de surcoût significatif. Les acteurs de la construction étaient très demandeurs de cette mesure, surtout en cette période où les chiffres de la construction sont bas et où ils ne pouvaient pas faire face à une nouvelle hausse des coûts de construction. Cette dérogation ne constitue donc pas un recul sur l'ambition de réduction des consommations apportées par la réglementation thermique 2012 mais une adaptation à la réalité de l'offre du marché. Les trois années supplémentaires vont ainsi permettre une amélioration des performances et une baisse des coûts des solutions techniques" (Rép. min. n° 16554 : JO Sénat Q 17 sept. 2015, p. 2191).

Très récemment, le gouvernement a décidé d’une nouvelle prorogation au 31 décembre 2019. Les justifications données en novembre 2017 par l'Exécutif, qui ne craint visiblement pas la contradiction, font cette fois-ci référence aux "contraintes technico-économiques relatives aux bâtiments collectifs" et aux "retours d’expérience de l’expérimentation (E+C-) qui viendront corréler performance énergétique et environnementale".

Remarque : les arguments soulevés par les promoteurs sont partiellement fondés, les coûts de construction des logements performants sont plus élevés que ceux des logements traditionnels. Toutefois, il convient de prendre en compte un autre facteur : le coût du foncier, qui pèse lourd dans l’équation. En effet, on estime qu’il représente entre 25 et 50 % dans le prix de vente des logements (en fonction des zones). La maîtrise du foncier reste donc un enjeu territorial et économique fort pour les collectivités locales.

Il n’en reste pas moins que du fait de ce troisième report, la RT 2012 pour les logements collectifs n’entrera en vigueur qu’à compter du 1er janvier 2020, soit en même temps que la nouvelle réglementation environnementale. Les logements collectifs neufs auront ainsi été dispensés d’appliquer la RT 2012. Le passage à la nouvelle RT ou RE 2020 n’en sera que plus complexe, à moins que le pouvoir exécutif ne mette en place un nouveau dispositif dérogatoire pour les logements collectifs neufs, hypothèse qui n’est pas à exclure.

On notera que la dérogation accordée par l’État n’est toutefois pas sans limite puisque la consommation conventionnelle maximale d’énergie primaire (coefficient Cepmax) des bâtiments collectifs ne doit pas excéder 57,5 kWh par m2 et par an, en moyenne. Pour mémoire, la RT 2012 fixe le seuil réglementaire de consommation d’énergie primaire à 50 kWh par m2 et par an, en moyenne.

Seconde dérogation

Un deuxième système dérogatoire a été mis en place à partir du 5 octobre 2013, soit très rapidement après l’entrée en vigueur de la RT 2012. Il s’agit cette fois d’une dérogation délivrée au cas par cas par le préfet pour les surélévations d’immeubles achevés depuis plus de deux ans, en vue de la création de logements.

Les immeubles concernés par la dérogation doivent être situés dans :

- les zones d’urbanisation continue de plus de 50 000 habitants figurant sur la liste prévue à l’article 232 du code général des impôts (zones concernées par la taxe annuelle sur les logements vacants) OU ;

- une commune de plus de 15 000 habitants en forte croissance démographique figurant sur la liste prévue à l’article 302-5, alinéa 7 du code de la construction et de l’habitation.

Les ministères à l’origine de cette dérogation (écologie et logement) expliquaient à l’époque que "la surélévation sera réalisée en tenant compte de la configuration et des matériaux existants ; des exigences telles que la conception bioclimatique, les équipements de chauffage ou de surface minimale de surface vitrée seront nécessairement conditionnées par l’existant et le projet n’aura pas tous les degrés de liberté pour atteindre l’exigence de 50 kWh/m2 par an, ce qui peut justifier une dérogation" (Instr. 28 mai 2014 relative au développement de la construction de logement par dérogation aux règles d’urbanisme et de la construction).

Sans reprendre dans le détail la procédure d’obtention de la dérogation préfectorale, il convient de rappeler ici que la demande est concomitante au dépôt du permis de construire. Le pétitionnaire doit indiquer à quelles obligations de la RT 2012 il souhaite déroger, les raisons et les impossibilités techniques justifiant sa demande, et, le cas échéant, les mesures compensatoires proposées, telles que des aménagements ou des mesures techniques d’exploitation. En tout état de cause, le pétitionnaire doit s’attacher à démontrer que son projet permettra d’atteindre le meilleur niveau de performance énergétique, au regard de la RT 2012, que ce soit par sa conception ou par l’utilisation de matériaux et d’équipements performants.

Bien plus que des dérogations, certains immeubles neufs sont dispensés d’appliquer la RT 2012.

3 – Les dispenses à la RT 2012

Depuis le 1er janvier 2015, les constructions de petite surface sont dispensées de respecter la RT 2012. Ce régime d’exemption s’applique aux seuls bâtiments dont la surface thermique est inférieure à 50m2 et dès lors que la surface de plancher est inférieure à 50 m2. Ces constructions ne sont toutefois pas exemptées de toute réglementation thermique. Ils doivent respecter les exigences de la réglementation thermique applicable aux bâtiments existants dite "RT Existant par élément" (Arr. 11 déc. 2014, art. 2, 1°). Depuis le 1er janvier 2018, ils doivent donc respecter les caractéristiques thermiques fixées par l’arrêté du 22 mars 2017.

4 – Les critiques à l’égard des dérogations accordées

Les nombreux assouplissements, tempéraments, exceptions,... apportés à la RT 2012 ont fait l’objet de critiques. Certains ont rappelé les ambitions premières de la RT 2012 et considéré que tant de modifications contrevenaient à l’esprit de rupture initialement souhaité par les pouvoirs publics. Ils ont déploré que la RT 2012 se trouve progressivement vidée de sa substance et qu’elle soit envisagée comme un socle réglementaire minimal alors que ses "créateurs" l’avaient conçue comme un outil de refonte des pratiques, un point de départ pour construire mieux.

Les critiques les plus virulentes ont été exprimées récemment à l’occasion de la troisième prorogation de la dérogation pour les logements collectifs neufs. Les acteurs des énergies renouvelables (AFPG, Enerplan, SER) et de la maîtrise de l’énergie (Effinergie, GESEC, CLER, Isolons la terre) considèrent que le gouvernement autorise, jusqu’en 2020, la construction de logements moins performants que des bâtiments construits en 2007 selon le référentiel "Bâtiment Basse Consommation". Ils estiment en outre, et on ne peut qu’abonder en ce sens, que "les professionnels du bâtiment maîtrisent désormais les technologies permettant de construire des logements performants, producteurs d’énergie renouvelable à des coûts compétitifs" (Communiqué de presse commun, 22 déc. 2017).

Face à ces critiques, l’État reste relativement silencieux. Il est en effet intéressant de relever que dans un article rédigé par plusieurs fonctionnaires d’État, et publié très récemment dans Annales des Mines sous le titre "Évaluation de la réglementation thermique de 2012", pas un mot n’est dit sur les différentes dérogations ou dispenses à la RT 2012 (M. Campana, M. Jean-François, A. Florette, D. Pillet, Annales des Mines – Resp. et envir. n° 90, avr. 2018).

5 – L’élaboration de la future réglementation et les démarches volontaires

Alors que l’ensemble des acteurs saluaient le discours politique lors du Grenelle de l’environnement, qui exprimait une volonté d’audace, de mieux-disant et d’exemplarité énergétique pour la filière du bâtiment, les autorités publiques ont ensuite décidé de reporter, de déroger, brisant ainsi un élan vertueux.

L’objectif était pourtant compréhensible par tous les citoyens : diminuer fortement les consommations d’énergie et a fortiori les émissions de CO2 du parc immobilier français, tout en créant des emplois non délocalisables.

Dix ans après, le constat est très mitigé. Il l’est d’autant plus qu’à l’aube de la généralisation promise du bâtiment à énergie positive, la RT 2012 n’est toujours pas appliquée pour les logements collectifs neufs.

Si la dérogation devient la règle, quel message les autorités publiques envoient-elles aux professionnels ?

Les écueils rencontrés dans la mise en place de la RT 2012 doivent permettre de tirer des leçons pour préparer au mieux la prochaine réglementation. L’élaboration de cette dernière se fait selon une méthode nouvelle, celle de l’expérimentation. La démarche de l’E+C- (plus d'énergie renouvelable, moins de carbone), qui réunit notamment maîtres d’ouvrage, architectes, bureaux d’études, s’inscrit dans cette dynamique. Le ministère explique ainsi que "(le) retour d’expériences (de l’E+C-), porteur d’ambition énergétique et environnementale, permettra d’apprécier la faisabilité technique et la soutenabilité économique, pour dans une seconde étape calibrer les exigences de la future réglementation".

Pour bâtir la réglementation à venir, l’idée est de prendre en compte, en plus de la consommation énergétique déjà présente dans la RT 2012, l’impact carbone du bâtiment. Cet impact carbone, calculé via une analyse de cycle de vie sur 50 ans s’intéresse à 4 modules, ou 4 phases :

- production des matériaux (consommation de ressources naturelles énergétiques et non énergétiques, consommations d’eau, transports,...) ;

- phase de construction (mise en œuvre sur chantier) ;

- phase de fonctionnement du bâtiment (consommations d’énergie et d’eau) ;

- phase de fin de vie (déconstruction, recyclage, réemploi,...).

La vision du Grenelle de construire des bâtiments à énergie positive en 2020 n’est donc plus d’actualité, seul le niveau maximum d’exigence E4 impose au bâtiment de produire plus d’énergie qu’il n’en consomme. Les premiers niveaux E1 et E2 sont à peine plus exigeants que la RT 2012, puisqu’environ 10 % plus performants en termes de consommation d’énergie primaire.

Cette approche carbone, via l’analyse de cycle de vie (ACV), soulève de nouvelles questions pour le bâtiment. Les premiers calculs ACV selon la méthode E+C- nous apprennent que le premier impact du bâtiment sur le changement climatique est la phase de production et de fabrication des matériaux. Dès lors, si un bâtiment consomme davantage d’énergie lors de sa construction que lors de son fonctionnement, quelles conclusions pouvons-nous en tirer ?

Remarque : selon les calculs actuels, en réalisant une ACV sur une durée de 50 ans.

Devons-nous construire des bâtiments totalement démontables, comme par exemple l'immeuble Joliot-Curie au Havre ?

A l’impossible nul n’est tenu, et nous n’avons aucune idée sur les futurs modes de vie dans cinquante ans.

En revanche, ce dont nous sommes certains, c’est que les acteurs de terrain ont pris leurs responsabilités. Une multitude d’organisations, d’associations, de labels, de démarches, se sont constitués, tant à l’échelle régionale qu’à l’échelle nationale.

Précision : nous pouvons citer la démarche BDM, BDF, Ekopolis, La maison passive, Novabuild, NF Habitat HQE, Le Référentiel Grand Lyon, BREEAM, le label bâtiment biosourcés, ...

Ces organisations vont plus loin que la réglementation, dans la démarche environnementale notamment. Les maîtres d’ouvrage volontaires sont de plus en plus nombreux à labéliser leurs bâtiments. Ce cercle vertueux, en parallèle de l’expérimentation E+C- amène d’ores et déjà une montée en compétences des acteurs. Quant à l’intégration de calculs d’analyse de cycle de vie, ils s’inscrivent dans un cadre de réflexion en coût global.

Pour l’heure, il y a plus de chances que des projets de bâtiments exemplaires émergent du fait de maîtres d’ouvrage ambitieux, impliqués dans un écosystème vertueux de labels et de démarches volontaires, que grâce à la réglementation.

Maxime Le Borgne, Cabinet d'avocats ANTELIS Rémy Costa Alves Jorge

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