Séjour et éloignement : protection renforcée pour les parents d'enfants citoyens de l'Union

04.10.2016

Droit public

Les États membres ne peuvent pas refuser automatiquement un titre de séjour au ressortissant de pays tiers parent d'un enfant citoyen de l'Union au seul motif de l'existence d'antécédents pénaux, ni décider de son expulsion sans un examen minutieux de l'ensemble des intérêts en présence.

Dans deux arrêts du 13 septembre 2016, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) juge  que, dès lors que ces mesures imposeraient à l’enfant une renonciation de fait à la jouissance des droits liés à sa citoyenneté de l‘Union (parmi lesquels figure la liberté fondamentale de libre circulation), le droit de l'Union s'oppose aux décisions de refus de séjour ou d’éloignement automatique opposées au ressortissant de pays tiers, parent d'un enfant mineur citoyen de l'UE, condamné pénalement, sans que soit examinée la menace qu’il représente pour l’ordre ou la sécurité publics. La Cour reconnaît néanmoins que les États membres peuvent procéder à une expulsion en cas de circonstances exceptionnelles.
Remarque : dans les deux affaires soumises à la Cour, étaient en cause des ressortissants de pays tiers ayant fait l'objet de condamnations pénales. Dans le premier cas, un refus de séjour avait été opposé à l’intéressé qui résidait en Espagne, avec ses deux enfants mineurs (l'un espagnol, l'autre polonais) et à sa charge exclusive, en raison de ses « antécédents pénaux ». Dans la seconde espèce, l’intéressée, mère d'un enfant britannique (à sa charge exclusive) avec lequel elle résidait au Royaume-Uni, avait fait l'objet d'une procédure d'expulsion diligentée à la suite d'une condamnation pénale.
Droit au séjour dérivé du membre de famille ayant exercé son droit à la libre circulation
La première question portait sur la nature du « droit de séjour dérivé » des ressortissants d'Etat tiers dans les États membres d'accueil.
 
La CJUE rappelle ici sa jurisprudence, selon laquelle « les éventuels droits qui sont accordés aux ressortissants d’États tiers [...] ne sont pas des droits propres, mais des droits dérivés de l'exercice de la liberté de circulation et de séjour par un citoyen de l'Union » (CJUE, 8 mai 2013, aff. C-87/12, Ymeraga).
 
Dans la première affaire (aff. C-165/14), s’appuyant sur sa jurisprudence « Chen », selon laquelle le fait qu'un ressortissant d’un autre État membre né dans l’État membre d’accueil n'ait pas fait usage du droit à la libre circulation ne peut être assimilé « à une situation purement interne privant ledit ressortissant du bénéfice, dans l’État membre d’accueil, des dispositions du droit de l’Union en matière de libre circulation et de séjour des personnes » (CJUE, 19 oct. 2004, aff. C-200/02, Zhu et Chen), la Cour considère que l’enfant de nationalité polonaise et qui a toujours résidé en Espagne avec son père, relevait bien de la notion de « bénéficiaire », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2004/38.
 
La Cour en déduit que le ressortissant de pays tiers, père d'un enfant citoyen européen, peut invoquer son droit dérivé au séjour au titre de l’article 21 TFUE, dès lors que cet enfant exerce sa liberté de circulation en résidant sur le territoire d'un État membre autre que celui dont il a la nationalité, quand bien même il ne disposerait pas lui-même des ressources suffisantes et d'une assurance maladie, celles-ci pouvant être fournies et justifiées par les parents eux-mêmes.
 
Par conséquent, si les conditions sont réunies (ce qu’il revient à la juridiction nationale de déterminer), le parent, ressortissant de pays tiers, dispose d'un droit au séjour dérivé de celui de son enfant mineur, sauf à priver de tout effet utile le droit au séjour de l'enfant citoyen de l'Union.
Droit au séjour dérivé du statut de citoyen de l'Union de l'enfant
Restait alors en suspens la question des droits dérivés liés à la seule citoyenneté de l'Union (qualité dont disposaient l'enfant espagnol dans la première affaire et l'enfant britannique dans la seconde bien que résidant dans leur pays de nationalité avec leurs parents, ressortissants de pays tiers), alors que les enfants n’avaient pas exercé leur droit à la libre circulation.
 
La Cour rappelle ici, que « l'article 20 TFUE confère à toute personne ayant la nationalité d'un État membre le statut de citoyen de l'Union, lequel a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres », auquel se rattache le droit fondamental et individuel de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, « sous réserve des limitations et des restrictions fixées par le traité et des mesures adoptées en vue de leur application » (CJUE, 7 oct. 2010, aff. C-162/09, Lassal).
 
Elle rappelle de même que l'article 20 TFUE « s'oppose à des mesures nationales ayant pour effet de priver les citoyens de l'Union de la jouissance effective de l'essentiel des droits conférés par leur statut de citoyen de l'Union » (CJUE, grande chambre, 8 mars 2011, aff. C-34/09, Zambrano).
Exclusion de l’automaticité des mesures de refus de séjour et d’éloignement en cas d’antécédents pénaux
Par ailleurs, pour la Cour, si « l'exception d'ordre public constitue une dérogation au droit au séjour des citoyens de l'Union ou des membres de leurs familles, devant être entendue strictement et dont la portée ne saurait être déterminée unilatéralement par les États membres » (CJUE, 29 avril 2004, aff. jtes C-482/01 et C-493/01, Orfanopoulos et Oliveri), encore faut-il que la mesure de restriction du droit au séjour soit proportionnée et fondée exclusivement sur le comportement personnel de l'individu concerné. L'administration doit également tenir compte de son âge, de son état de santé, de sa situation économique et familiale, de son intégration sociale et culturelle dans l’État membre d'accueil et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine. Par ailleurs, elle ne peut pas poursuivre des motifs de « prévention générale ».
 
Dans ses décisions du 13 septembre 2016, la Cour rappelle encore que, en tout état de cause, la notion d'ordre public suppose l'existence, « en dehors du trouble social que constitue toute infraction à la loi, d'une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour l'intérêt fondamental de la société », et précise qu’une telle conclusion « ne saurait être tirée de manière automatique sur la seule base des antécédents pénaux de l’intéressé ».
 
La Cour considère également qu’en cas d'antécédents pénaux, la sanction du refus de séjour ne peut pas revêtir un caractère automatique lorsque ce refus a pour conséquence d’imposer à un enfant citoyen de l’Union de quitter le territoire de l’Union européenne (aff. C-165/14).
Remarque : appliquant ces principes aux affaires en cause, la Cour va finalement considérer, dans la première affaire (le père étranger ayant la garde exclusive de ses deux enfants mineurs), qu’une décision de refus de séjour pourrait avoir comme conséquence l'obligation pour la famille, de quitter le territoire espagnol et l'ensemble du territoire de l'Union et, dans la deuxième affaire, que la décision d'éloignement prise à l'encontre de la mère de l'enfant britannique conduirait nécessairement celui-ci à devoir quitter également le territoire de l'Union européenne.
Prise en compte de la sauvegarde de l'ordre public
Enfin, selon la Cour, si le droit de l'Union s'oppose en principe à une législation imposant l'expulsion d'une personne condamnée pénalement mais qui assure la garde effective d'un enfant citoyen de l'Union, cette expulsion doit demeurer possible si :
 
- elle est fondée « sur le comportement personnel » de l’intéressé (qui doit constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave portant atteinte à un intérêt fondamental de la société de l’État membre) ;
 
- elle « repose sur une prise en compte des différents intérêts en présence, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier » (aff. C-304/14).
 
Ainsi, la protection offerte aux parents d’enfant citoyen de l’Union en cas de condamnation ou d’antécédents pénaux n’est pas absolue, mais seulement renforcée.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Claudia Charles, Permanente au Gisti (Groupe d'information et de soutien des immigrés)
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