Saisie des comptes d'un État étranger ayant renoncé à son immunité d'exécution

05.02.2018

Gestion d'entreprise

La double condition, selon laquelle la renonciation d'un État étranger à son immunité d'exécution doit être expresse et spéciale, fixée par la loi Sapin 2, s'applique y compris aux mesures d'exécution mises en oeuvre avant l'entrée en vigueur de ce texte.

L’arrêt rendu le 10 janvier 2018 par la première chambre civile de la Cour de cassation, en matière d’immunité d’exécution peut surprendre. Il annule sans renvoi, l’arrêt d’une cour d’appel de renvoi qui s’était pourtant « conformée à la doctrine de l’arrêt qui l’avait saisie » pour faire application de dispositions législatives entrées en vigueur postérieurement à la mise en œuvre de la saisie-attribution litigieuse. La Cour de cassation se fonde notamment sur les articles L. 111-1-2 et L. 111-1-3 du code des procédures civiles d’exécution, issus de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin 2 », pour juger que la renonciation d’un État étranger à son immunité d’exécution est subordonnée à la double condition que cette renonciation soit expresse et spéciale (Cass. 1re civ., 10 janv. 2018, n° 16-22.494, n° 3 P + B + I).

Contestation par un État étranger de la saisie de ses comptes en France

En l’espèce, une société créancière, auprès de laquelle un État étranger s’est engagé à renoncer définitivement et irrévocablement à toute immunité de juridiction et d’exécution, fait pratiquer entre les mains d’une banque une saisie-attribution portant sur des comptes ouverts au nom de la mission diplomatique à Paris dudit État et de sa délégation auprès de l’Unesco.

Saisi d’une contestation, le juge de l’exécution prononce la mainlevée de cette saisie-attribution. Ce jugement est confirmé en appel, le 15 novembre 2012. La cour d’appel estime, en effet, que faute d’être spéciale, la lettre d’engagement par laquelle l’État a renoncé à son immunité d’exécution n’est pas conforme au droit international coutumier selon lequel les missions diplomatiques des États étrangers bénéficient, pour le fonctionnement de la représentation de l’État accréditaire et les besoins de sa mission de souveraineté, d’une immunité d’exécution autonome à laquelle il ne peut être renoncé que de façon expresse et spéciale.

Sur pourvoi de la société créancière, la Cour de cassation juge, au contraire, que le droit international coutumier n’exige pas une renonciation autre qu’expresse à l’immunité d’exécution (Cass. 1re civ., 13 mai 2015, n° 13-17.751, n° 481 P + B + R).

La cour d’appel de renvoi se conforme, dans un arrêt du 30 juin 2016, à cette position.

L’État saisi forme un pourvoi en cassation.

Précision des conditions de la renonciation à une immunité d’exécution

La Cour de cassation, au visa des articles L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile casse et annule, sans renvoi, l’arrêt de la cour d’appel de renvoi et statue au fond. Elle tranche ainsi, par cet arrêt du 10 janvier 2018, promis à une large diffusion, la question des conditions de validité de la renonciation par un État à son immunité d’exécution.

Évolution de l’interprétation du droit international coutumier

Avant l’intervention de la loi Sapin 2, dont l’article 59 a fixé, dans le code des procédures civiles d’exécution, les conditions dans lesquelles des mesures conservatoires ou d’exécution forcée peuvent être mises en œuvre contre un bien appartenant à un État étranger (v. « Renforcement de la protection des biens des États étrangers situés en France »), la jurisprudence se fondait sur les règles du droit international coutumier.

Elle en a, dans un premier temps, déduit, dans des litiges relatifs à des saisies conservatoires de créances, que la renonciation d’un État à son immunité d’exécution devait résulter d’un écrit, et être expresse et spéciale ou bien particulière et expresse (Cass. 1re civ., 28 sept. 2011, n° 09-72.057, n° 867 P + B + I ; Cass. 1re civ., 28 mars 2013, n° 11-10.450, n° 395 P + B + I ; Cass. 1re civ., 28 mars 2013, n° 10-25.938, n° 394 P + B + I).

Elle a opéré un revirement en 2015, dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt commenté, en jugeant que le droit international coutumier n’exigeait pas une renonciation autre qu’expresse à l’immunité d’exécution (Cass. 1re civ., 13 mai 2015, préc.).

Retour à la jurisprudence antérieure par une application rétroactive de la loi Sapin 2

Dans son arrêt du 10 janvier 2018, la Cour de cassation se fonde sur la Convention de Vienne du 18 avril 1961, sur les règles du droit international coutumier mais également sur les articles L. 111-1-2 et L. 111-1-3 du code des procédures civiles d’exécution, entrés en vigueur le 11 décembre 2016, après la mise en œuvre de la saisie-attribution contestée.

Selon l’article L. 111-1-2, sont considérés comme spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l’État à des fins de service public non commerciales les biens, y compris les comptes bancaires, utilisés ou destinés à être utilisés dans l’exercice des fonctions de la mission diplomatique de l’État ou de ses postes consulaires.

Aux termes de l’article L. 111-1-3, des mesures conservatoires ou des mesures d’exécution forcée ne peuvent être mises en œuvre sur les biens, y compris les comptes bancaires, utilisés ou destinés à être utilisés dans l’exercice des fonctions de la mission diplomatique des États étrangers ou de leurs postes consulaires, de leurs missions spéciales ou de leurs missions auprès des organisations internationales qu’en cas de renonciation expresse et spéciale des États concernés.

Dès lors, dans un objectif de cohérence et de sécurité juridique et puisque l’article L. 111-1-3 ne s’applique qu’aux mesures d’exécution mises en œuvre après son entrée en vigueur et donc pas en l’espèce, la Cour de cassation décide de revenir à la jurisprudence antérieure à celle de 2015, en précisant que cette solution est confortée par la loi Sapin 2. La validité de la renonciation par un État étranger à son immunité d’exécution est donc subordonnée à la double condition que cette renonciation soit expresse et spéciale. L’arrêt du 10 janvier 2018 est en parfaite contradiction avec celui de2015, que la Cour qualifie de « doctrine isolée ».

Ce nouveau revirement permet habilement d’appliquer les dispositions de la loi Sapin 2 à un litige qui ne relève pas des dispositions créées par ce texte. Ce que la Cour justifie par l’impérieuse nécessité, dans un domaine touchant à la souveraineté des États et à la préservation de leurs représentations diplomatiques, de traiter de manière identique des situations similaires.

La Cour de cassation rappelle également, dans cette affaire, que le créancier doit rapporter la preuve que les comptes bancaires saisis ne sont pas affectés à l’accomplissement des fonctions des missions diplomatiques de l’État étranger (Cass. 1re civ., 28 sept. 2011, n° 09-72.057, préc.).

Or, en l’espèce, la présomption d’affectation des comptes bancaires à l’accomplissement des fonctions des missions diplomatiques de l’État étranger concerné est confortée par l’intitulé même de ces comptes et le créancier n’a pas rapporté la preuve contraire.

Jean-Jacques Hulaud, Huissier de justice Stéphanie Bourdin, Dictionnaire Permanent Recouvrement et procédures d’exécution

Nos engagements