Saisie immobilière : focus sur deux récents avis de la Cour de cassation

02.05.2018

Gestion d'entreprise

Le JEX doit vérifier le montant des sommes réclamées par le créancier poursuivant la saisie immobilière et peut constater la péremption de l'ordonnance du juge-commissaire ordonnant la vente d'un immeuble d'un débiteur en liquidation.

Deux avis rendus par la Cour de cassation, le premier par la deuxième chambre civile (Cass. 2e civ. avis, 12 avr. 2018, n° 18-70.004, n° 15008 P + B + R + I), le second par la chambre commerciale (Cass. com. avis, 18 avr. 2018, n° 18-70.005, n° 15009 P + B + I) viennent éclairer les praticiens, d’une part en matière de saisie immobilière relevant du code des procédures civiles d’exécution et, d’autre part, dans le cadre de la liquidation judiciaire lorsque le juge-commissaire ordonne ou autorise la vente des immeubles suivant les formes prescrites en matière de saisie immobilière.

Dans le premier cas, la Cour de cassation se prononce sur le rôle et les obligations du juge de l’exécution (JEX) quant à la fixation de la créance du poursuivant. Dans le second cas, elle applique à l’ordonnance du juge-commissaire autorisant la vente judiciaire les mêmes règles de péremption que celles qui régissent le commandement de payer valant saisie.

Le point commun entre ces deux avis est de renforcer, dans chaque cas, les pouvoirs du JEX et, notamment, dans le second cas, au regard de ceux du juge-commissaire.

Portée de l’obligation du JEX quant à la détermination de la créance

A première lecture, l’article R. 322-18 du code des procédures civiles d’exécution ne parait pas poser de difficulté particulière. Il prévoit, en effet, que le jugement d’orientation mentionne le montant retenu pour la créance du poursuivant en principal, frais, intérêts et accessoires.

Pourtant, à 10 ans d’intervalle, deux avis et quelques arrêts de la Cour de cassation auront été nécessaires pour en déterminer la portée et, en conséquence, les obligations du JEX quant au contrôle de la créance du poursuivant (Cass. 2e civ. avis, 12 avr. 2018, n° 15008 P + B + R + I ; Cass. 2e civ., 24 sept. 2015, n° 14-20.009, n° 1370 P + B ; Cass. 2e civ., 27 sept. 2012, n° 11-24.734 ; Cass. avis, 16 mai 2008, n° 080003P).

Cette incertitude est à l’origine de la question posée à la Cour de cassation : « En matière de saisie immobilière, le JEX vérifie-t-il la créance invoquée par le créancier poursuivant au soutien de la mention prescrite par l’article R. 322-18 du code des procédures civiles d’exécution lorsque le défendeur ne comparaît pas à l’audience d’orientation ou lorsqu’il comparaît sans contester la créance ? ». Cette question est complétée notamment par une seconde interrogation relative à l’autorité de la chose jugée au principal du montant retenu pour la créance.

Limitation des pouvoirs du JEX par l’avis de 2008

La Cour de cassation s’est prononcée en 2008 sur la possibilité pour le JEX de statuer sur la validité des créances reçues et a considéré que le JEX était tenu de trancher les contestations relatives à la validité des déclarations de créances soulevées au cours de l’audience d’orientation (Cass. avis, 16 mai 2008, n° 080003P).

Le pouvoir du JEX trouvait ainsi sa limite dans la nécessité de répondre à une contestation et il pouvait en être déduit qu’il ne pouvait vérifier d'office le montant des créances, dont celle du poursuivant, comme aurait pu le laisser croire la formulation « montant retenu » de l’article R. 322-18.

Toutefois, un premier arrêt de la Cour de cassation du 27 septembre 2012, puis un second du 24 septembre 2015 ont tempéré cette analyse en précisant que le JEX n’était pas tenu par le montant de la créance tel que mentionné dans le commandement valant saisie immobilière. Dans ce cadre, il pouvait retenir un montant de créance supérieur à celui figurant dans le commandement de payer valant saisie (Cass. 2e civ., 27 sept. 2012, n° 11-24.734 ; Cass. 2e civ., 24 sept. 2015, n° 14-20.009, n° 1370 P + B).

Extension du rôle du JEX par l’avis du 12 avril 2018

Dans son avis du 12 avril 2018, la Cour de cassation rappelle, en premier lieu, que l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire définit les attributions du JEX, lequel connaît des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit (Cass. 2e civ. avis, 12 avr. 2018, n° 15008 P + B + R + I).

De même, en matière de saisie immobilière, l’article R. 322-15 du code des procédures civiles d’exécution précise qu’à l’audience d’orientation le JEX statue sur les éventuelles contestations et demandes incidentes et vérifie d’office que les conditions de la saisie sont réunies.

En second lieu, en application de l’article R. 121-14 du code des procédures civiles d’exécution, la Cour est d’avis que le JEX statue comme juge du principal et se prononce y compris sur le fond du droit, de sorte que ses décisions ont, sauf disposition contraire, autorité de la chose jugée au principal.

Pour la Cour de cassation, le jugement d’orientation, en ce qu’il fixe notamment la créance du poursuivant, a dès lors autorité de la chose jugée au principal, qu’une contestation ait été élevée ou non sur ce montant.

Remarque : cette analyse résulte notamment d’un arrêt de la chambre commerciale du 13 septembre 2017 qui a jugé que le liquidateur judiciaire ne peut plus contester le montant de la créance constatée par le JEX dans le jugement d’orientation de la procédure de saisie immobilière, compte tenu de l’autorité de la chose jugée attachée à ce jugement. Le liquidateur soutenait, à l’appui de son pourvoi, qu’en l’absence de contestation relative à l’existence ou au montant de la créance, le jugement d’orientation rendu par le JEX était dépourvu de toute autorité de la chose jugée (Cass. com., 13 sept. 2017, n° 15-28.833, n° 1110 P + B) (v. « Autorité de la chose jugée du jugement d’orientation à l’égard du liquidateur judiciaire »).

Elle en déduit que le JEX exerce dans ce cadre son pouvoir juridictionnel, sans que celui-ci soit conditionné par l’existence d’une contestation relative au montant de la créance.

En conséquence, la deuxième chambre civile est d’avis que, pour fixer le montant de la créance du poursuivant en application de l’article R. 322-18 du code des procédures civiles d’exécution, le JEX doit, comme le prévoit l’article R. 322-15 du même code, vérifier que celui-ci est conforme aux énonciations du titre exécutoire fondant les poursuites, que le débiteur conteste ou non ce montant.

Conséquences pratiques de l’avis du 12 avril 2018

Dans la pratique, s’agissant le plus souvent de créances bancaires, le titre contient tous les éléments relatifs au taux d’intérêt, aux pénalités, ainsi que les modalités de déchéance du terme qui s’ajoutent aux règles de droit commun quant à l’imputation des règlements.

Dans l’avis du 12 avril 2018, le rôle du juge n’est plus considéré a minima comme cantonné à une simple vérification formelle de la validité du titre exécutoire et les comptes entre les parties ne sont plus renvoyés comme auparavant lors de la distribution du prix de vente.

Le JEX, même en l’absence de contestation ou en l’absence du défendeur à l’audience, doit se prononcer sur la validité du décompte des sommes dues par le débiteur au titre de la créance qui fonde les poursuites, sommes réclamées par le créancier poursuivant dans le commandement de payer valant saisie.

Dans cet esprit, un arrêt de la Cour de cassation du 11 mai 2017 a précisé que le JEX est tenu de faire, s’il y a lieu, les comptes entre les parties sans pouvoir s’y refuser en se fondant sur l’insuffisance des preuves qui lui sont fournies (Cass. 2e civ., 11 mai 2017, n° 16-16.106, no 629 P + B) (v. « Fixation par le JEX de la créance contestée lors de l’audience d’orientation »).

En revanche, rappelons que dans un arrêt récent, la Cour de cassation, si elle souligne que le JEX est tenu, conformément à l’article R. 322-15 du code des procédures civiles d’exécution, de vérifier que le créancier poursuivant dispose d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible, juge qu’il n’a pas l’obligation de relever d’office la prescription du titre servant de fondement aux poursuites (Cass. 2e civ., 11 janv. 2018, n° 15-27.941, n°30 P + B) (v. « Saisie immobilière : précisions sur le rôle et la compétence du JEX »).

Application de la péremption du commandement à l’ordonnance du juge-commissaire
Liquidation judiciaire du débiteur saisi

En cas de liquidation judiciaire, le juge-commissaire ordonne ou autorise la vente des immeubles suivant les formes prescrites en matière de saisie immobilière par les articles L. 322-5 à L. 322-12 du code des procédures civiles d’exécution, à l’exception des articles L. 322-6 et L. 322-9. En effet, comme le rappelle l’article L. 642-18, alinéa 1er du code de commerce, la fixation de la mise à prix et des conditions essentielles de la vente reste de la compétence du juge-commissaire.

En application de l’article R. 642-23, alinéa 2 du code de commerce, l’ordonnance du juge-commissaire ainsi rendue produit les effets du commandement de payer valant saisie et est publiée par le liquidateur ou le créancier poursuivant au fichier immobilier.

De son côté, l’article R. 321-20 du code des procédures civiles d’exécution énonce que le commandement de payer valant saisie cesse de plein droit de produire effet si, dans les 2 ans de sa publication, il n’a pas été mentionné en marge de cette publication un jugement constatant la vente du bien saisi.

D’où la question soumise à la Cour de cassation pour avis : la sanction de la péremption de l’article R. 321-20 précité est-elle applicable à l’ordonnance du juge-commissaire et, dans l’affirmative, le JEX est-il compétent pour proroger cette ordonnance (Cass. com. avis, 18 avr. 2018, n° 15009 P + B + I)?

Primauté des règles de la saisie immobilière

La chambre commerciale de la Cour de cassation s’est déjà prononcée sur la question dans un arrêt du 7 avril 2004, rendu dans le cadre des dispositions de l’ancienne procédure de saisie immobilière. Elle a jugé que l’ordonnance du juge-commissaire a cessé de produire ses effets, faute d’adjudication mentionnée en marge de sa publication ou de prorogation, dans le délai de 3 ans alors prévu par l’article 694, alinéa 3 de l’ancien code de procédure civile (Cass. com., 7 avr. 2004, n° 02-10.583).

La chambre commerciale confirme cette analyse en faveur des règles de la saisie immobilière dans son avis du 18 avril 2018 et évite ainsi de créer une nouvelle exception qui aurait pour seul but de soustraire l’ordonnance du juge-commissaire à la sanction de péremption de l’article R. 321-20 précité.

En conséquence, la chambre commerciale de la Cour de cassation considère qu’en dépit de son caractère juridictionnel, l’ordonnance du juge-commissaire, cesse de plein droit de produire effet si, dans les 2 ans de sa publication, il n’a pas été mentionné, en marge de cette publication, un jugement constatant la vente du bien saisi.

Rôle renforcé du JEX

La réponse à la seconde partie de la question concernant le rôle du JEX était moins prévisible. L’ordonnance du juge-commissaire est revêtue de l’autorité de la chose jugée, ce qui interdit au JEX de la remettre en cause lors des opérations d’adjudication et de modifier les modalités de la vente. D’une manière générale et en l’absence d’audience d’orientation lors de cette procédure, le JEX est incompétent notamment pour accueillir une contestation par la voie d’un incident de saisie immobilière.

C’est dans ce cadre que l’avis de la Cour de cassation conforte aujourd’hui le JEX. Elle admet que toute partie intéressée peut, jusqu’à la publication du titre de vente, demander au JEX de constater la péremption de l’ordonnance du juge-commissaire, dès lors que le délai prévu à l’article R. 321-20 du code des procédures civiles d’exécution se trouve expiré.

Au surplus, selon cet avis, il appartient au JEX de se prononcer sur une demande de prorogation des effets de l’ordonnance du juge-commissaire. Cette demande sera formée conformément à l’article R. 321-22 du même code qui prévoit notamment que la prorogation sera validée par une mention en marge de la copie du commandement publié d’une décision de justice prorogeant ses effets.

En pratique, la mention prévue figurera en marge de la publication de l’ordonnance du juge-commissaire au fichier immobilier.

Alain Chateauneuf, Ancien directeur juridique adjoint du Crédit foncier

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