Salah Keltoumi, le DP qui a interpellé Bruno Le Maire : "Faire en sorte qu'un ouvrier ne soit pas seul"

Salah Keltoumi, le DP qui a interpellé Bruno Le Maire : "Faire en sorte qu'un ouvrier ne soit pas seul"

01.03.2018

Représentants du personnel

En visite sur le site PSA de Mulhouse, le ministre de l'Economie a été vivement interpellé par Salah Keltoumi, un cariste de l'usine. "Les ouvriers et les intérimaires sont fiers de ce que nous avons dit", estime aujourd'hui le délégué du personnel CGT qui conçoit ainsi son rôle : "Faire en sorte qu'un ouvrier ne se retrouve jamais seul face au patron". Interview.

Vendredi 23 février, Bruno Le Maire, le ministre de l'Économie, est venu célébrer avec Carlos Tavares, le PDG de PSA, le "renouveau industriel" français en visitant l'usine de Mulhouse, qui commence à produire la nouvelle DS7. Pour en faire une usine d'excellence, le constructeur y investit 300 millions d'euros. Le ministre de l'Économie ne s'attendait sans doute pas à être vertement pris à partie par un délégué du personnel CGT, Salah Keltoumi, lors d'une altercation filmée et déjà vue à 800 000 reprises sur facebook (voir la vidéo des échanges et lire notre encadré ci-dessous). Qui est Salah Keltoumi ? Ce dernier est un cariste de l'usine, par ailleurs militant de Lutte Ouvrière, comme le délégué CGT Jean-Pierre Mercier, qui s'était fait connaître lors du conflit autour de la fermeture de l'usine PSA d'Aulnay, près de Paris. Interview.

Quel est votre mandat ?

"Je suis délégué du personnel et j'ai aussi pris le relais d'un camarade malade au CHSCT. Je travaille depuis 3 ans à l'usine de Mulhouse. Auparavant, j'étais à l'usine d'Aulnay (Seine-Saint-Denis), qui a fermé. J'ai commencé à être DP pratiquement dès mon embauche chez Citroën, il y a presque 15 ans.

Pourquoi êtes-vous devenu DP ?

A cause de l'exploitation ! Le monde ouvrier doit s'organiser pour se défendre. Il y a besoin de syndicats dans l'usine pour défendre les ouvriers. J'ai choisi la CGT parce qu'il me paraissait être le syndicat le plus offensif pour défendre les droits des salariés en CDI comme ceux des intérimaires, en tout cas dans les entreprises où j'ai travaillé.

Comment vivez-vous votre mandat de représentant du personnel ?

Avant d'être DP, je suis d'abord un ouvrier. Je travaille comme cariste au montage, je livre des pièces pour la ligne de montage, je dois suivre le rythme. Quand je suis du matin, je commence à 5h15 et je termine à 13h06. Et l'après midi, de 13h06 à 20h32. Il y a souvent des heures sup. L'an dernier, nous avons travaillé pratiquement tous les samedis. 

C'est donc très pénible...

C'est dur oui, même si je n'ai pas le poste le plus pénible. Vous connaissez Charlot, les temps modernes ? La ligne, c'est ça, on n'arrête pas. J'ai 22 minutes pour manger, et 2 pauses de 10 minutes. Et comme l'usine est très grande, parfois vous vous retrouvez très loin des toilettes. C'est usant, ces conditions de travail, et il y a peu de temps pour discuter. Mes heures de délégation me permettent ça justement, d'aller voir les autres, de me déplacer plus ou moins librement, de faire du terrain. Délégué, je vis ça très bien. Je ne me vois pas ne pas défendre, individuellement ou collectivement, les intérêts des ouvriers. 

Comme délégué du personnel, quels sont vos objectifs ?

Faire en sorte qu'aucun ouvrier ne se retrouve seul face au patron, c'est ça mon rôle de délégué ! Mon travail de délégué, c'est de faire des liens entre les différents problèmes (les conditions de travail, les salaires, les congés, etc.) et c'est aussi de relier les personnes. A mes yeux, mon rôle, c'est aussi de préparer "la bagarre" pour défendre les salariés. Le patron a bien le temps de son côté de réfléchir comment gagner plus d'argent sur votre dos. Nous aussi nous avons besoin d'ouvriers qui réfléchissent à l'amélioration de leur condition. Mais je ne suis ni Zorro ni Tarzan. Je ne peux rien faire à la place des gens, rien faire sans construire un rapport de forces. 

Aviez-vous prévu d'interpeller Bruno Le Maire ?

Nous savions qu'il allait venir avec le PDG de PSA, et nous voulions leur faire passer un message. Il y avait une réunion prévue avec des politiques locaux et une personne par syndicat et nous pensions l'interpeller à ce moment là, sans penser pouvoir le faire car il y a un service d'ordre. Mais finalement, tout s'est passé à l'extérieur et la réunion n'a du coup même pas eu lieu. Notre message, c'était de dire que la vérité n'est pas celle qui est racontée partout dans les médias, c'était de rappeler que la famille Peugeot n'a pas vraiment perdu de l'argent, que l'Etat a dépensé beaucoup pour PSA notamment avec le CICE (crédit d'impôt compétitivité emploi) mais que cela n'a pas empêché une baisse du nombre d'emplois. L'usine de Mulhouse est passée en 15 ans de 14 000 salariés à 7 000, avec pas moins de 1 400 intérimaires aujourd'hui. Nous pourrions finir 2018 sous la barre des 5 000 CDI. Nous n'avons eu qu'une vingtaine d'embauches d'ouvriers sur le site en 2017 et il n'y en aura qu'une trentaine en 2018. 

Que pensez-vous des réponses de Bruno Le Maire ? Ce dialogue n'est-il pas un peu stérile ?

Nous n'attendions aucune réponse, car nous connaissons le discours et les pratiques de la direction et nous avons aussi suivi les propositions de Bruno Le Maire quand il était candidat aux primaires de la droite. Dans les ateliers, beaucoup d'ouvriers nous ont dit : "Vous avez raison, vous avez dit la vérité". Ils sont fiers que nous ayons parlé d'eux et des intérimaires. Même certains cadres ont dit qu'ils nous soutenaient.

Mais n'avez-vous pas donné l'image d'une CGT opposée à tout ? 

Non, la majorité des ouvriers est d'accord avec nous. Que cela aille bien ou pas, ils subissent tout le temps le même discours : "Il faut faire des efforts..." Ça ne va jamais, quoi. Vous savez, quand les gars ici ont lu dans l'Alsace les propos de la directrice de l'usine disant que "les collaborateurs sont souriants quand on se promène dans les ateliers", ça a fait marrer tout le monde. Ou, plutôt, ça a fait grincer les dents. Quand on connaît la dureté du travail, des cadences, la pression sur les intérimaires et la pression sur les salariés âgés pour qu'ils partent...

Quand le CSE se mettra-t-il en place sur les sites de PSA ?

Je crois que des élections sont prévues dans les deux à trois mois à Charleville-Mézières et à Vesoul. Pour Mulhouse, ce sera en 2019. Il y aura des discussions sur chaque site. Mais nous nous retrouverons sûrement avec moins d'élus, donc moins de délégués dans les ateliers et des délégués qui devront passer plus de temps en réunion".

Pour avoir un autre point de vue sur la situation de PSA, voir par exemple notre article et notre vidéo sur les réactions syndicales (CFE-CGC, CFTC, CFDT, FO et GSIA) à l'annonce de la reprise d'Opel et notre interview de Christian Lafaye, coordinateur FO, sur le nouvel accord compétitivité de PSA. Voir aussi notre article sur l'accord de rupture conventionnelle collective de PSA de début 2018.  

 

Extraits d'un dialogue de sourds

"Cela va très bien pour les actionnaires, cela va très bien pour M. Tavares, qui touche 15 000€ par jour. Mais ça va très mal pour les intérimaires dont certains touchent ce mois-ci moins de 1 000€. La DS7 (Ndlr : le nouveau modèle de PSA produit à Mulhouse), elle est peut-être très belle mais nous, on n'arrivera jamais à se l'acheter. Ici, il y a 1 400 intérimaires et il y a seulement 20 embauches l'an dernier. Nous étions 14 000 dans l'usine, nous ne sommes plus que 7 000 (..) Qu'est-ce que vous êtes venu faire ici, donner encore des cadeaux aux patrons ?", a lancé le délégué au ministre.

"Vous êtes ici dans une entreprise qui marche, qui fonctionne, parce que M. Tavares a pris de bonnes décisions. Nous, nous créons de l'emploi, il y a de la reprise. Votre vision de l'économie, c'est celle qui coule la France depuis des années. Vous faites partie de ces gens qui menez le pays à sa ruine en étant incapables de prendre des décisions nécessaires. Je suis venu ici pour garantir aux Français que nous voulons garder une industrie automobile, pour garantir que le site restera ouvert (..) Vous êtes là pour discuter ou pour "vous faire" le ministre des Finances ? Cette entreprise a failli mettre la clé sous la porte il y a 5 ans (..) Aujourd'hui, Peugeot fait la fierté du pays", a répliqué le ministre de l'Economie.

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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