Soins psychiatriques sans consentement : il n'est pas du pouvoir du juge judiciaire d'annuler une décision illégale d'admission

22.02.2018

Droit public

Le juge judiciaire ne peut annuler une décision administrative illégale d'admission en soins psychiatriques sans consentement mais la personne peut demander son retrait.

Par un arrêt du 25 janvier 2018, la Cour de cassation confirme, en rejetant une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), qu’il n’est pas du pouvoir du juge judiciaire d’annuler une décision administrative illégale d’admission en soins psychiatriques sans consentement mais seulement de prononcer la mainlevée de la mesure de soins (Cass. 1re civ., 25 janv. 2018, n° 17-40.066). Il affirme par la suite que le maintien de principe de la décision administrative dans l’ordre juridique ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux de l’individu garantis par la Constitution puisqu’il est loisible à ce dernier de demander le retrait de la décision à l’autorité qui l’a prise.
 
L’unification du contentieux en matière de soins psychiatriques sans consentement opéré par la loi du 5 juillet 2011 est loin d’avoir fini de susciter des problèmes. Auparavant le contentieux était scindé en deux. Le juge administratif contrôlait la légalité externe de la décision, ce qui revenait à s'interroger sur la compétence de son auteur ainsi que sur le respect des procédures devant présider à son élaboration et des formalités relatives à sa présentation. Le juge judiciaire, pour sa part, contrôlait sa légalité interne, c’est-à-dire l’opportunité de la mesure au regard des critères légaux d’admission en soins. La loi de 2011 a, en raison notamment des complications liées à ce système mises en lumière notamment par la CEDH (CEDH, 18 nov. 2010, n° 35935/03, Baudoin c. France), transféré la totalité du contrôle de légalité, tant interne qu’externe, au juge judiciaire dans l’article L. 3216-1 du code de la santé publique qui dispose que « la régularité des décisions administratives [relatives aux soins psychiatriques sans consentement] ne peut être contestée que devant le juge judiciaire. » En 2016, la Cour de cassation, à la suite de la décision d’un premier président de cour d’appel ayant prononcé « l’annulation » d’une décision d’admission en soins illégalement prononcée, avait censuré en affirmant qu’il « résulte de [l’article L. 3216-1 du code de la santé publique] que, si le juge judiciaire connaît des contestations portant sur la régularité des décisions administratives de soins sans consentement, il ne peut que prononcer la mainlevée de la mesure, s'il est résulté, de l’irrégularité qu’il constate, une atteinte aux droits de la personne qui en faisait l’objet » et que, par suite, « le juge judiciaire ne peut annuler une décision administrative » (Cass. 1re civ., 11 mai 2016, n° 15-16.233).
Le juge judiciaire ne peut annuler une décision administrative
Cette décision suscitait des questions s’agissant d’abord de son bien fondé : est-il vraiment interdit au juge judiciaire de prononcer la nullité d’une décision administrative ? Aucun argument ne s’y opposerait catégoriquement. Certes, dans une décision de 1987 (Cons. const., 23 janv. 1987, n° 86-224 DC), le Conseil constitutionnel a fixé un principe de compétence réservée du juge administratif pour annuler ou réformer des décisions prises par des personnes publiques dans l’exercice de prérogatives de puissance publique. Mais cette décision avait pris soin d’énoncer que ce principe connaît deux exceptions : les matières réservées par nature à l’autorité judiciaire et les exigences de bonne administration de la justice. Or, s’agissant des soins psychiatriques sans consentement, le Conseil constitutionnel lui-même a souligné que, au nom de la protection des personnes contre le risque de privation de liberté arbitraire, le juge judiciaire a, sur le fondement de l’article 66 de la Constitution, pour mission d’examiner la légalité des mesures d’hospitalisation psychiatrique contraintes (Cons. const., 26 nov. 2010, déc. n° 2010-71 QPC ; Cons. const., 9 juin 2011, déc. n° 2011-135-140 QPC). Quant aux exigences de bonne administration de la justice, la CEDH, dans sa décision évoquée ci-dessus, a souligné que le dualisme juridictionnel français préexistant était générateur de complications portant atteinte aux droits des personnes psychiatrisées.
La seule mainlevée de la mesure de soins par le juge judiciaire laisse persister la décision d’admission en soins dans l’ordre juridique
L’arrêt de la Cour de cassation de 2016 suscitait ensuite des questions procédant de l’étrangeté juridique résultant de sa solution : la décision d’admission en soins, pour illégale qu’elle serait, cesserait de produire ses effets pour le futur en raison de la mainlevée de la mesure de soins mais, formellement, elle persisterait dans l’ordre juridique, au moins pour le passé, puisqu’elle n’est pas annulée par le juge judiciaire.
 
C’est une critique de ce type qui avait suscité la QPC émanant d’un malade admis en hospitalisation complète à la demande d'un tiers puis sur décision du représentant de l’Etat. Par une ordonnance de 2013, le premier président de la cour d'appel, statuant sur une demande de prolongation de la mesure, en avait prononcé la mainlevée en se fondant sur l’irrégularité de la décision d’admission en soins du préfet. Le malade, ainsi que sa famille, présentaient alors une demande d’indemnisation pour cette mesure de soins illégale et, dans ce cadre, présentaient également la QPC  ainsi rédigée : « Les dispositions de l'article L. 3216-1 du code de la santé publique portent-elles atteinte au principe fondamental reconnu par les lois de la République de la faculté d'annulation d'une mesure administrative, de clarté de la loi, à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, au principe d'égalité entre les justiciables, au droit à un recours juridictionnel effectif et à l'objectif de valeur constitutionnel d'une bonne administration de la justice, au droit au respect à la vie privée ? ».
 
La Cour de cassation, à qui cette QPC était alors transmise, la déclarait recevable comme portant sur des dispositions n’ayant pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel (la loi du 5 juillet 2011 n’a pas fait l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel avant sa promulgation).
L’absence de droit constitutionnellement protégé à la bonne administration de la justice
Elle la déclarait cependant mal fondée et refusait de la transmettre au Conseil constitutionnel, en considérant, dans un premier temps, que « ni la faculté d'annulation d'une mesure administrative, qui n'est pas un principe fondamental reconnu par les lois de la République, ni les griefs de défaut de clarté ou d'accessibilité de la loi et d'atteinte à la bonne administration de la justice, qui constituent des objectifs de valeur constitutionnelle, ne peuvent être utilement invoqués à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité ». On peut approuver globalement la teneur de cette affirmation : une QPC ne peut prospérer, selon l’article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, qu’à la condition que son auteur démontre « qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ». Or les impératifs de clarté ou d’accessibilité de la loi ou de bonne administration de la justice ne constituent pas des « droits et libertés » garantis par la Constitution mais sont seulement des objectifs de valeur constitutionnelle. Ils sont donc des conditions d'effectivité des droits fondamentaux constitutionnels et, en tant que tels, ils s'appliquent aux pouvoirs publics mais ils n’ont pas d’effet direct à l’égard des citoyens qui ne peuvent donc les revendiquer en tant que droits subjectifs protégés dans le cadre d’une QPC (Cons. const., 22 juill. 2010, déc. n° 2010-4-17 QPC ; Cons. const., 10 déc. 2010, déc. n° 2010-77 QPC).
Le retrait de la décision d’admission en soins est-il la réponse appropriée ?
Dans un second temps, la Cour de cassation repoussait la QPC également au motif que « la question posée ne présente pas un caractère sérieux en ce qu’elle postule que la décision administrative de soins sans consentement dont l’irrégularité aurait été constatée par le juge judiciaire demeurerait dans l’ordre juridique et y produirait des effets, alors que les articles L. 240-1 et L. 242-4 du code des relations entre le public et l’administration permettent de demander le retrait d’une telle décision, même en l’absence d’annulation, de sorte que les dispositions critiquées ne sont pas de nature à porter atteinte aux droits et libertés invoqués ». On demeurera ici, en revanche, plus perplexe devant cette deuxième partie de l’arrêt. L’article L. 242-4 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) prévoit que « sur demande du bénéficiaire de la décision, l'administration peut, selon le cas et sans condition de délai, abroger ou retirer une décision créatrice de droits, même légale, si son retrait ou son abrogation n'est pas susceptible de porter atteinte aux droits des tiers et s'il s'agit de la remplacer par une décision plus favorable au bénéficiaire. » Une personne ayant fait l’objet d’une mesure de soins illégale qui en demande le retrait répond-elle bien aux conditions énoncées par ce texte ? Ainsi, il ne s’agit pas véritablement de remplacer la décision illégale par une autre « plus favorable ». De surcroît et surtout, le retrait n’est dans ce cas de figure pas obligatoire pour l’administration (au contraire du retrait prévu par l’article L. 242-3 du CRPA qui, concernant la seule décision illégale, ne peut intervenir que dans un délai de 4 mois à compter de la prise de celle-ci) qui peut refuser de satisfaire à la demande de retrait. Autrement dit, il n’est pas certain que l’administration accepte nécessairement de supprimer sa décision de l’ordre juridique. Et en cas de contestation du refus de retrait de la décision illégale, qui sera le juge compétent : juge judiciaire ou juge administratif ? Bref, cet arrêt de la Cour de cassation, loin de clore le sujet, ne fait que nourrir l’imbroglio.
 

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Mathias Couturier, Maître de conférences à l'université de Caen
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