Soins sans consentement : le juge ne doit pas substituer son analyse à celle du psychiatre

27.10.2017

Droit public

La Cour de cassation censure une ordonnance d'un premier président de cour d'appel ayant prononcé la mainlevée d'une mesure de soins psychiatriques sans consentement au motif que ce dernier aurait dénaturé dans sa décision la teneur des éléments médicaux constatés par les psychiatres ayant établi des certificats et avis dans le cadre du processus d'admission et aurait substitué son analyse des troubles psychiques du patient à celle de ces psychiatres.

Un homme vivant chez ses parents (avec qui il avait des difficultés relationnelles non précisées) avait, après plusieurs jours d’errance sur la voie publique, fait l’objet sur demande de sa mère d’une admission en soins psychiatriques en urgence sous forme d’hospitalisation complète sur décision du directeur de l’établissement d’accueil, sur le fondement de l’article L. 3212-3 du code de la santé publique. A l’occasion du contrôle judiciaire obligatoire à 12 jours, le juge des liberté et de la détention puis, en cause d’appel, le juge délégué par le premier président de la cour d’appel avaient ordonné la mainlevée de la mesure de soins tout en décalant l’effet de la mainlevée de 24 h afin de permettre la mise en place d’un programme de soins. Sur pourvoi de l’établissement, la Cour de cassation censure la décision d’appel en se fondant sur deux considérations.

Droit public

Le droit public se définit comme la branche du droit s'intéressant au fonctionnement et à l’organisation de l’Etat (droit constitutionnel notamment), de l’administration (droit administratif), des personnes morales de droit public mais aussi, aux rapports entretenus entre ces derniers et les personnes privées.

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Le juge ne doit pas déformer le contenu des documents médicaux
La Cour de cassation reproche au juge du second degré d’avoir déformé les propos tenus par le corps médical pour fonder la nécessité de la mesure. La décision d’appel avait affirmé qu'il n’était pas précisé dans les documents médicaux ayant émaillé l’admission en soins de cette personne en quoi ses troubles mentaux, « à les supposer établis, seraient de nature à constituer un danger pour lui-même ou pour autrui et qu'il n’était nullement fait mention de risque de suicide, de mise en danger, ou d'hétéroagressivité ». La Cour de cassation, s’appuyant sur le contenu du certificat initial d’admission, ainsi rédigé : « apparition d’un comportement incohérent avec agitation, agressivité verbale, idées délirantes, hallucinations auditives, en errance depuis le 10/7/2016. Mise en danger de lui-même. Refus de soins », soulignait que le premier président avait dénaturé le contenu de ce document qui mentionnait bien que les circonstances prévues par la loi pour justifier une admission en urgence étaient réunies.
 
La Cour de cassation ne reproche ici pas tant au juge d’avoir prononcé la mainlevée que de l’avoir prononcée en oblitérant des indications pourtant présentes dans les documents médicaux (quant à la « mise en danger » du patient par lui-même notamment). Indépendamment de savoir si les constatations médicales qui lui sont transmises sont fondées, il importe donc pour le juge de motiver avec soins et de ne pas balayer d’un trait de plume les affirmations présentes dans les certificats et avis médicaux qui lui sont transmis. L’arrêt ne suscite pas de réserves sur ce point.
Le juge n’est pas compétent pour faire le travail du psychiatre
Pour fonder la mainlevée, l’ordonnance du délégué du premier président avait repris à son compte le fait que, lors de l’audience en première instance, le JLD avait observé « que les constatations médicales apparaissent pour le moins imprécises et que le discours du patient à l’audience s’est révélé quant à lui construit, clair et dénué de toute emprise persécutoire ». En cause d’appel, le délégué du premier président avait affirmé que les documents médicaux « font état de constatations médicales imprécises, en discordance avec les propos tenus par l’intéressé ce jour à l’audience » et que, loin de refuser toute intervention médicale, l’intéressé s’était « dit en mesure de contacter les services sociaux susceptibles de lui trouver un hébergement [et] prêt à voir un psychiatre », ce qui fondait selon lui la nécessité de la mainlevée des soins. A ceci, la Cour de cassation répond, censurant à nouveau le raisonnement, que « le juge qui se prononce sur le maintien de l’hospitalisation complète doit apprécier le bien-fondé de la mesure au regard des certificats médicaux qui lui sont communiqués » et que, « par des motifs relevant de la seule appréciation médicale, le premier président, qui a substitué son avis à l'évaluation, par les médecins, des troubles psychiques du patient et de son consentement aux soins » aurait violé les articles L. 3211-12-1, L. 3216-1, L. 3212-3 et R. 3211-12 du code de la santé publique.
 
La Cour de cassation reproche ainsi au juge d’être sorti de son rôle en effectuant sa propre évaluation des troubles mentaux du patient sur la base d’éléments qu’il avait pu croire découvrir lors des audiences, notamment s’agissant de la capacité du malade à consentir aux soins ou non. On peut d’ailleurs souligner que la décision de mainlevée, en 1ère comme en 2nde instance, n’avait pas pour objet de nier toute réalité aux troubles psychiques de l’individu mais plutôt d’en réduire l’ampleur. En atteste le fait que les ordonnances avaient prononcé non pas une mainlevée pure et simple mais assortie d’un effet retardé de 24 h pour la mise en place d’un programme de soins, ce qui reconnaissait ainsi implicitement que l’état du malade justifiait tout de même des soins. Selon la Cour de cassation, s’il avait voulu pouvoir justifier une mainlevée, le juge aurait dû le faire en puisant dans des éléments issus du corps médical (par exemple des contradictions ou divergences d’opinions entre les certificats et avis des médecins) et, à défaut de pouvoir les trouver dans les documents produits par les médecins impliqués dans le processus d’admission, il aurait pu les trouver dans une expertise que, en application de l’article R. 3211-14 du code de la santé publique, il peut toujours ordonner lorsqu’il est pris d’un doute. Le raisonnement est compréhensible mais il n’est pas sans poser question : quelle est la nature exacte de l’office du juge en matière de contrôle du fonctionnement de la psychiatrie ? Notamment, faut-il le considérer comme lié, en toute situation, par l’opinion des médecins ? Par ailleurs, à quoi sert l’audition obligatoire du malade (sauf motif médical impérieux s’y opposant) prévue par la loi si le juge ne peut puiser dans ses déclarations pour fonder sa décision ? Cet arrêt peut donc ouvrir débat.

 

Mathias Couturier, Maître de conférences à l'université de Caen
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