Une entreprise doit être gérée "en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité"

Une entreprise doit être gérée "en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité"

12.03.2018

Environnement

Nicole Notat et Jean-Dominique Senard, auteurs d'un rapport sur l'entreprise et l'intérêt collectif, recommandent que les entreprises définissent leur "raison d'être". La RSE ferait son entrée dans le code civil, qui demanderait aux dirigeants d'avoir conscience des opportunités et risques sociaux et environnementaux de leur entreprises. Sans obligation de résultat.

Aller au-delà des bénéfices, se préoccuper des impacts sociaux et environnementaux de l'entreprise. Et l'inscrire dans le code civil, dans les articles qui charpentent la clé de voûte du droit des sociétés. C'est ce que défendent Nicole Notat, présidente de Vigeo-Eiris et ancienne secrétaire générale de la CFDT, et Jean-Dominique Senard, président du groupe Michelin.

Le binôme a remis son rapport ce vendredi 9 mars 2018 à Bercy, en présence de pas moins de quatre ministres : Bruno Lemaire (économie et finances), Muriel Pénicaud (travail), Nicolas Hulot (transition écologique et solidaire), et Nicole Belloubet (justice). Les recommandations doivent alimenter le projet de loi Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), prévu en conseil des ministres le 18 avril.

"Méfiance"

"Frappés par le niveau élevé des attentes suscitées par la mission", Nicole Notat et Jean-Dominique Senard ont constaté que "l'entreprise est vue comme faisant partie des problèmes sociaux et environnementaux posés à nos contemporains". Un sondage d'Elabe – par ailleurs assez positif sur la perception globale des entreprises par les Français – a montré en janvier que le premier mot qui vient à l'esprit est "méfiance" (42 %), quand "confiance" ne vient aux lèvres que d'une personne sur trois.

Vu qu'elle reste "considérée comme un affichage, un supplément d’âme, ou un exercice formel de conformité à une grille de questions", la RSE qui se développe depuis quelques années n'y ferait rien, exposent les rapporteurs. Et de prédire que la méfiance subsistera tant que l'on n'ira pas creuser dans le dur, tant que la loi "figurera une entreprise libre et irresponsable". "Ce serait la première fois que l’on inscrirait dans le marbre le concept social et environnemental, en modifiant le code civil, ce n’est pas banal", martèle le patron de Michelin.

Article 1833

Avec Nicole Notat, ils suggèrent d'ajouter une seconde phrase à l'article 1833 du code civil :

Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l'intérêt commun des associés.

La société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité.

Pour entrer dans cet article – qui est, en substance, inchangé depuis 1804 –, "chaque mot a été pesé", insistent-ils. "En considérant" doit ainsi se lire comme une obligation de moyens et non de résultat. "Les enjeux" renvoient au fait que "les dirigeants doivent avoir une considération pour les risques sociaux et environnementaux et les opportunités sociales et environnementales de leur activité". "Son activité", en parlant de l'entreprise, permet de cadrer les enjeux : "il ne s’agit pas de discussions vagues sur les tenants et les aboutissants d’un phénomène social ou environnemental, mais d’une attention proportionnelle au modèle économique de l’entreprise".

"Raison d'être" dans le code du commerce…

Deuxième des recommandations hiérarchisées : aller gratter dans la pierre du code de commerce. Un article clé, le L.225-35 serait amendé pour responsabiliser les conseils d’administration et de surveillance en leur demandant de déterminer la "raison d'être" de l'entreprise.

Le conseil d'administration détermine les orientations de l'activité de la société en référence à la raison d'être de l'entreprise et veille à leur mise en œuvre, conformément à l'article 1833 du code civil.

Il s'agit de "redonner de la substance à l’entreprise". Pour le dirigeant qu'est Jean-Dominique Senard, c'est cette "perspective" qui permet notamment de "créer l’engagement des équipes des entreprises dans le monde". "Expression d'un futur désirable pour le collectif" et transposition de la notion de "purpose" anglo-saxon, la "raison d'être" doit libérer la stratégie de l'entreprise des résultats financiers court-termistes en lui permettant de voir plus loin.

"Ce n'est pas en soi un objet nouveau, préviennent les rapporteurs. C’est son introduction dans le droit et dans la gouvernance des entreprises qui est particulièrement innovante."

… et dans le code civil, pour les entreprises "à mission"

Jean-Dominique Senard et Nicole Notat, après plus de 200 auditions en deux mois, dont de nombreux juristes, ont choisi de ne pas créer un nouveau statut d'entreprises "à mission", à côté de celui de SA ou SARL, comme cela a pu être évoqué. Ils ouvrent tout de même une brèche en proposant de "confirmer à l’article 1835 du code civil la possibilité de faire figurer une 'raison d’être' dans les statuts d’une société, quelle que soit sa forme juridique, notamment pour permettre les entreprises à mission".

Les statuts doivent être établis par écrit. Ils déterminent, outre les apports de chaque associé, la forme, l'objet, l'appellation, le siège social, le capital social, la durée de la société et les modalités de son fonctionnement.

L’objet social peut préciser la raison d'être de l'entreprise constituée.

L'objet social est "devenu un inventaire technique", déplore le binôme. La "raison d'être" permettrait d'exprimer "ce qui est indispensable pour remplir l’objet de la société".

Les entreprises qui le souhaitent pourraient dès lors devenir des "entreprises à mission", poursuivant des objectifs autres que la croissance de leurs bénéfices, sans pour autant devoir batailler avec leurs actionnaires et investisseurs sur des investissements, alors justifiés par leur "raison d'être".

Ces sociétés auraient 4 critères à remplir : inscrire leur "raison d'être" dans leurs statuts, avoir un "comité d’impact doté de moyens, éventuellement composé de parties prenantes", faire évaluer par un tiers le respect de la "raison d'être", publier une déclaration de performance extra-financière quelle que soit la taille de l'entreprise. La mission se montre pusillanime sur la place des parties prenantes, alertée notamment par les organisations patronales qui ne veulent pas que fournisseurs, sous-traitants, clients, etc, aient un rôle trop important dans les décisions de l'entreprise.

Les salariés, "partie constituante de l'entreprise"

"Les salariés doivent également être reconnus comme partie constituante de l’entreprise, car ils investissent dans l’entreprise par leur travail et subissent les risques de son activité." Aujourd'hui, les sociétés de plus de 1 000 salariés doivent avoir 1 ou 2 administrateurs salariés dans leurs conseils d'administration ou de surveillance, en fonction de leur taille. Sans pour l'instant toucher aux seuils, le rapport propose un nouvel équilibre en passant à 2 administrateurs salariés dès que le conseil compte 8 non-salariés, et à trois salariés à partir de 13 non-salariés.

Abaisser le seuil de 1 000 à 500 salariés, aller encore plus loin dans la représentation salariale dans les conseils ? Peut-être, mais pas avant un an ou deux. Nicole Notat rappelle que "l'abaissement du seuil de 5 000 à 1 000 salariés demeure très récent, il faut laisser cette nouveauté s'appliquer, donner aux acteurs en entreprise le temps de l'apprivoiser".

En revanche, les SAS (sociétés par actions simplifiées) de plus de 5 000 salariés pourraient s'aligner sur les dispositions applicables aux SA (sociétés anonymes) et avoir un conseil d’administration ou de surveillance avec les mêmes proportions d’administrateurs salariés. Idem pour les autres statuts d’entreprises tels que les mutuelles.

Et après ?

"Nous allons étudier les propositions du rapport et vous dirons rapidement quelle décision nous prendrons quant à la traduction dans la loi, a déclaré vendredi Bruno Lemaire. L'entreprise occupe une place essentielle dans la société, qui ne se limite pas à la création de profit. Elle a une dimension environnementale et sociale."

Jean-Dominique Senard a assuré n'avoir aucune idée du sort qui sera réservé au rapport et Nicole Notat a prévenu : "Nous nous serions déçus si notre travail était laissé de côté par l'exécutif. Nous avons la conviction que nos propositions sont nécessaires". "Il y aura, promet le ministre de l'économie, un avant et un après rapport Notat-Sénard."
 

Soft law
Le rapport Notat-Senard formule aussi plusieurs recommandations hors du cadre juridique, de l'ordre de la soft law.
  • Quelle que soit leur forme juridique, les grandes entreprises devraient être incitées à se doter d'un "comité des parties prenantes" indépendant du conseil d'administration, lequel serait informé des réflexions qui y sont menées par les dirigeants de l'entreprise. Quant à la stratégie RSE, elle ferait partie des "attributions de l’un des comités ou d’un comité ad hoc du conseil d’administration". "Ces deux bonnes pratiques pourraient figurer dans les codes de gouvernance", font-ils remarquer, dans un clin d'œil au Medef et à l'Afep qui consultent actuellement pour faire évoluer leur "code de gouvernement d'entreprise".
  • Dans la rémunération variable des dirigeants, l'introduction de critères RSE est "une bonne pratique déjà répandue dans le CAC 40". Nicole Notat et Jean-Dominique Senard estiment qu'elle "gagnerait à être diffusée".

Environnement

La mise en place d’une stratégie environnementale cohérente s’impose de plus en plus aux entreprises du fait de la complexité de la législation pour la protection de l’environnement et de la multiplicité des réformes. En effet, de nombreuses lois et réglementations ont récemment impacté les activités économiques (autorisation environnementale, concernant notamment les ICPE, loi de transition énergétique, loi biodiversité)

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Élodie Touret

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