Une mission sur le syndicalisme pour corriger l'effet produit par les ordonnances ?

Une mission sur le syndicalisme pour corriger l'effet produit par les ordonnances ?

20.09.2017

Représentants du personnel

La ministre du Travail confie au DRH d'Air France et au DG de l'association Dialogues une mission sur la discrimination syndicale et la valorisation des parcours des élus du personnel. De quoi nourrir les futurs décrets des ordonnances ?

En provoquant la recomposition du paysage des institutions représentatives du personnel (IRP) en une instance unique (le comité social et économique, CSE), et en mettant en oeuvre une nouvelle décentralisation des négociations collectives, les ordonnances vont bouleverser la donne dans les entreprises, à la fois pour la représentation du personnel et les organisations syndicales, sans parler ici des employeurs. Les membres du CSE devront ainsi maîtriser une très grande variété de sujets, depuis les conditions de travail aux spectacles culturels en passant par les comptes de l'entreprise ou encore le droit du travail via les réclamations individuelles des salariés. Côté délégués syndicaux, l'élargissement du champ de la négociation collective supposera aussi la maîtrise d'un plus grand nombre de domaines, d'autant que leur engagement dans un accord collectif majoritaire pourra avoir des conséquences tangibles pour la vie des salariés, l'accord s'imposant désormais sur leur contrat de travail. 

Les missions sont renforcées mais pas les moyens

Si l'on regarde le texte des projets d'ordonnance, force est pourtant de constater que ces évolutions ne s'accompagnent pas pour l'instant d'un renforcement des moyens et de la formation des élus du personnel. La balance est même plutôt négative si l'on examine par exemple des points comme l'absence des suppléants aux réunions de l'instance ou le co-financement élargi à certaines expertises.

Un des rares points d'amélioration figurant dans les ordonnances, avec la future mutualisation des heures de délégation, concerne la reprise partielle d'une proposition formulée dans le rapport remis par Jean-Dominique Simonpoli à Muriel Pénicaud début août. Elle concerne les entretiens professionnels de fin de mandat des élus, qui seront généralisés pour les élus des entreprises de plus de 2 000 salariés et, en deçà, pour les élus dont le temps de délégation représente au moins 30% de leur temps de travail. Une avancée limitée, d'autant que les propositions formulées par le CESE (conseil économique, social et environnnemental) dans son rapport sur les discriminations n'ont pas été reprises dans le texte. Le CESE suggérait par exemple d'enrichir la base de données économiques et sociales (BDES) pour détecter les discriminations syndicales.

La question du nombre d'élus et du crédit d'heures

Autant dire que la question, qui commence à être débattue en coulisses entre le gouvernement et les partenaires sociaux, du nombre d'élus de la future instance unique et de leur crédit d'heures est cruciale. Dans quel sens vont pencher la dizaine de textes réglementaires qui doivent être pris d'ici la fin de l'année par le gouvernement dans la foulée de la publication des ordonnances ? Peuvent-ils être l'occasion pour le gouvernement de procéder à un certain rééquilibrage au profit de la représentation du personnel et des organisations syndicales ? C'est sans doute à la lumière de ces questions et d'un contexte politico-social délicat pour le gouvernement qu'il faut comprendre l'annonce hier, par la ministre du Travail, d'une nouvelle mission sur le syndicalisme. Muriel Pénicaud a en effet confié hier une mission sur le syndicalisme à Jean-Dominique Simonpoli, directeur général de l'association Dialogues, et à Gilles Gateau, DRH d'Air France et ancien directeur adjoint du cabinet de Manuel Valls quand ce dernier était Premier ministre. Les deux hommes doivent rendre leur rapport avant la fin 2017.

Dans son communiqué, la ministre du Travail précise que Gilles Gateau et Jean-Dominique Simonpoli devront "approfondir, mettre en place et oeuvrer" (sic) à la réussite de trois voies prioritaires :

  • favoriser la formation et plus largement l'employabilité des élus du personnel et des délégués syndicaux : "Des dispositifs de valorisation des compétences des élus et des délégués syndicaux seront élaborés, les salariés concernés bénéficieront d'un bilan de compétences en fin de mandat qui leur permettre des évolutions de carrière dynamiques, des formations à la négociation réunissant employeurs et salariés seront encouragées";
  • développer le dialogue social dans les TPE-PME : "Des binômes d'appui à la négociation employeur-salarié seront mis en place, les branches se voient confier un rôle clef pour soutenir le dialogue social, et les salariés des petites entreprises pourront davantage participer aux négociations de branche grâce au remboursement des frais induits";
  • mettre en place un observatoire du dialogue social : "En lien avec les instances existantes, il suivra le développement de la négociation et de ses pratiques, identifiera les meilleures pratiques, favorisera leur diffusion dans l'ensemble des entreprises et des branches et établira un état des lieux en matière de discrimination syndicale".

 

Mais quelle est, au juste, leur mission, alors que Jean-Dominique Simonpoli a déjà remis un rapport début août à la ministre sur la valorisation du parcours des élus du personnel ? Le doute persiste à la lecture du communiqué de la ministre du Travail. "Le développement syndical est une condition de succès de la mise en œuvre de la loi sur le renforcement du dialogue social. Pour un dialogue social de qualité, il faut des délégués syndicaux et des élus du personnel qui soient formés et en mesure de jouer pleinement leur rôle. Les rapports du CESE et de Jean-Dominique Simonpoli nous ont permis de nourrir la loi, aujourd’hui, chacun doit se l’approprier. Jean-Dominique Simonpoli et Gilles Gateau sauront décliner ce plan d’actions à la hauteur de notre ambition : réunir toutes les conditions pour que le dialogue social devienne un gage d’équilibre à la fois pour les salariés, entreprises et syndicats", estime Muriel Pénicaud dans ce communiqué qui fait d'un dialogue social de qualité "un facteur décisif de la compétitivité des entreprises et de l'engagement des salariés".

Les projets d'ordonnances sont timides sur ces questions

Autrement dit, il s'agirait de décliner des mesures qui figurent dans les ordonnances. Le dossier de presse du 31 août du ministère du Travail sur les ordonnances vantait ainsi plusieurs mesures censées apporter "des garanties pour les syndicats et les élus du personnel qui s'engagent dans le dialogue social" : "des moyens garantis et des formations renforcées pour exercer son mandat, un accès à la formation professionnelle et au bilan de compétences renforcé pour concilier engagement syndical et évolution professionnelle, une plus grande facilité à nommer un délégué syndical, la création d'un observatoire de la négociation", etc.

Le problème est que la plupart des points évoqués dans le dossier de presse sont absents des textes des ordonnances, hormis l'observatoire de négociation (*). Les ordonnances ne comportent pas de véritable plan d'action contre la discrimination syndicale ou de plan en faveur d'une meilleure reconnaissance et valorisation des parcours syndicaux. La question d'un assouplissement des conditions de désignation d'un DS, en l'absence de tout candidat à ce mandat chez les élus, n'y figure pas non plus. 

Le gouvernement lancerait-il sa mission afin que ces éléments soient intégrés plus tard, par exemple dans les décrets pris en application des ordonnances ? C'est l'impression donnée par la ministre, et c'est aussi ce que laisse entendre Jean-Dominique Simonpoli. "Nous devrons créer l'ingénierie des mesures que le gouvernement souhaite mettre en place, c'est-à-dire donner le contenu et le détail des propositions", nous explique ce dernier. Sera-ce le cas ? Alors que les syndicats tentent de peser sur le contenu des décrets, et que l'opinion peut basculer vers une défiance à l'égard des ordonnances, le gouvernement a intérêt à donner le sentiment qu'il cherche à rééquilibrer la balance entre flexibilité et moyens donnés au dialogue social.

Donner des gages ?

Le moment choisi pour l'annonce de cette mission coïncide en effet avec le développement de mouvements sociaux. Pour l'instant, seuls les syndicats de fonctionnaires ont tous appelé à une grève le 10 octobre, le pouvoir d'achat en constituant l'un des mots d'ordre. Dans le privé, les syndicats restent divisés mais la grogne contre les ordonnances semble s'amplifier. Après la première mobilisation de la CGT et de SUD lors de laquelle des élus du personnel ont dit leur opposition à l'instance unique, avec des militants FO et CFE-CGC présents dans les cortèges, une deuxième manifestation est prévue demain, tandis que la France insoumise mobilise l'opposition politique le samedi 23, au lendemain de l'adoption des ordonnances en conseil des ministres. De son côté, la CFDT métallurgie a demandé à sa confédération d'organiser une manifestation nationale tandis que les syndicats CFDT et CFTC du transport ont manifesté lundi leur opposition à ces projets.

Entre l'annonce de mesures favorables aux élus du personnel, mais qui arriveraient après les ordonnances, et la mobilisation lancée en ce moment par les syndicats et mouvements hostiles aux ordonnances, la course de vitesse serait-elle lancée ?

 

(*) Le projet d'ordonnance n°1 prévoit la création d'un observatoire d'analyse et d'appui au dialogue social et à la négociation tripartite dans chaque département, composée de représentants d'employeurs et d'organisations syndicales et de représentants de l'Etat (futur art. L. 2234-4 et 5). Cet observatoire établira un bilan annuel du dialogue social par département et apportera son concours et son expertise juridique aux entreprises du département. Cette définition semble donc éloignée des missions évoquées dans le dossier de presse, l'observatoire de la négociation devant "apporter des informations sur la progression de la négociation" et suivre également "les pratiques de discrimination syndicale".

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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