Vacances et loisirs des salariés : "Les CE doivent se réinventer"

Vacances et loisirs des salariés : "Les CE doivent se réinventer"

16.10.2017

Représentants du personnel

L'essor de sites comme Airbnb, signe de la volonté des individus de s'affranchir des intermédiaires et experts du tourisme, invite les CE organisateurs de voyages à revoir leurs pratiques : "Il y a du positif dans le collaboratif, assure Bernard Rabillet, chargé de missions du réseau Cezam. Le rôle des élus est d'y mettre de l'éthique et d'encourager les initiatives solidaires".

Dans le cadre de la deuxième édition de l'Observatoire, journée d'ateliers et débats organisée à Angers le 12 octobre, le réseau Cezam Pays-de-Loire et ses adhérents représentants du personnel se sont interrogés sur le rôle du comité d'entreprise en matière d'organisation de voyages collectifs. Difficile, en effet, d'obtenir l'adhésion de salariés qui réservent aujourd'hui leurs vacances sur Internet à des tarifs très compétitifs.

"L'homme ne se définit par son travail que depuis la révolution industrielle"

En introduction, l'anthropologue Saskia Cousin est revenue sur quelques éléments historiques : "La question du loisir ne date pas du 19e siècle. Elle est au contraire au fondement de nos sociétés. L'otium, l'oisiveté en latin, fonde le temps romain et grec. Le loisir dans l'antiquité est un temps important, on y fait de la politique, de la philosophie, on étudie les sciences. L'homme libre se définit alors par ce qu'il fait pendant son temps libre", affirme l'enseignante à l'Université Paris-Descartes. Sur ce point, la révolution industrielle marque un tournant fondamental pour les sociétés occidentales. "Le développement des usines a amené l'homme à se définir par son travail. Cela a changé notre rapport au temps, pour les travaux agricoles il n'y avait pas de notion de durée du travail ou d'horaires de travail. La société industrielle a aussi supprimé les temps religieux pour mettre davantage les ouvriers au travail", complète-t-elle. Dans ce contexte, le tourisme de masse apparaît comme un phénomène récent : "La première exposition universelle de 1851 à Londres marque la naissance du tourisme de masse. Ce phénomène a été amplifié par l'octroi de congés payés à partir de 1936 et de la division par deux du temps de travail entre 1880 et 1984".

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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De la démocratisation des vacances à la démocratie touristique

Et qu'en est-il aujourd'hui ? Si les CE ont joué pendant la seconde moitié du XXe siècle un rôle important d'intermédiaire pour démocratiser les vacances, Saskia Cousin invite désormais les élus à tenir compte de l'essor des plateformes de réservation de séjours et des réseaux sociaux : "Tripadvisor, Airbnb, etc. sont partout. Et cela provoque un changement fondamental : l'individu ne se réfère plus au guide ou au professionnel du tourisme pour organiser ses congés mais va davantage se fier aux avis d'autres touristes, ses pairs, analyse l'anthropologue. On passe de la  démocratisation des vacances, c'est-à-dire les vacances pour tous, à la démocratie touristique, où tout le monde est légitime à dire ce qui mérite de faire l'objet de vacances. La dérive qui en résulte, c'est qu'à Paris, certains Mc Donald's, du fait de la forte fréquentation d'américains sur Tripadvisor, se retrouvent mieux notés que beaucoup de restaurants classiques !".

Cette évolution signe également la fin de la légitimité des experts du secteur et des intermédiaires : "Airbnb prend une dimension mondiale, avec pour effet pervers d'avoir totalement asséché le marché locatif des studios pour étudiants. À Paris, dans 90% des cas le logement entier est loué, on est donc bien loin du séjour convivial chez l'habitant. Pour un anthropologue cette révolution touristique est très importante car la maison était jusqu'ici le lieu de l'hospitalité non marchande. Avec Airbnb, on assiste pour la première fois à une marchandisation de l'espace familial", résume Saskia Cousin.

"Le CE doit saisir cette opportunité pour se réinventer"

Pour Bernard Rabillet, chargé de missions du réseau Cezam, les élus du personnel n'ont pas d'autre choix que de tenir compte de l'essor du collaboratif, mais en y mettant de l'éthique : "En volume, très peu de comités d'entreprise proposent des voyages aux salariés. 90% de nos adhérents sont de petits CE qui disposent d'un budget annuel moyen de 150 à 200€ par salarié, observe le responsable des actions sociales, solidaires et citoyennes des comités d'entreprise adhérents. Les pratiques ont évolué, la grande masse des salariés part en vacances par ses propres moyens. Mais cela ne signifie pas pour autant que les élus n'ont plus un rôle à jouer pour favoriser les loisirs des travailleurs, tempère-t-il. Il y a énormément d'initiatives locales et collaboratives, de voyages collectifs solidaires à encourager. Par exemple, l'association Tacte à Doué-la-Fontaine (Maine-et-Loire) qui organise du transport collectif. Au sein du réseau Cezam, nous sommes en train de construire un annuaire de ces initiatives collaboratives et éthiques. C'est un travail de fourmi mais je recense actuellement, département par département, toutes les structures collaboratives à recommander à nos adhérents".

Développer les initiatives collaboratives et éthiques, ce sera notamment l'objet du salon To-collaboratif qui se tiendra les 17 et 18 novembre au parc d'activités Terra Botanica d'Angers : "Emmener ses collègues à la rencontre d'un apiculteur ou monter un cours de bricolage, cela intéresse maintenant beaucoup plus que de partir à quarante en car à Paris, assure Bernard Rabillet. Pour les élus, c'est la panique à bord parce qu'il faut réinventer le comité d'entreprise. Mais il faut aussi se féliciter des aspects positifs du collaboratif. Il y a maintenant des épiceries entièrement tenues par des bénévoles, c'était impensable il y a encore dix ans !" Et le chargé de missions de s'interroger : "Plutôt que de payer un car à moitié vide, pourquoi ne pas plutôt encourager une initiative collaborative d'un salarié ?"

Julien François
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